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Le nouveau look des femmes de pouvoir

Fini les lunettes à la Max Frisch et les jupes passe-murailles. Les femmes occupant des postes à responsabilités affichent aujourd'hui leurs différences: jupes courtes, foulards multicolores... En quinze ans, l'image des femmes à poigne du pays a beaucoup évolué.

«Elle est si fraîche.» Les parlementaires bernois ont été conquis par le sourire de la nouvelle conseillère fédérale Ruth Metzler. Le jour de son élection, l’Appenzelloise de 35 ans jouait la carte de la sobriété: une veste à col Mao d’un bleu sombre, des boucles d’oreilles discrètes, un maquillage léger. Celle que Chappatte a appellé la «Spice Metzler» dans «Le Temps» du 12 mars, avait habitué le public à un look moins austère pendant les semaines de sa campagne. Sur les photos des quotidiens et magazines, la jeune femme n’hésitait pas à s’afficher en pantalon de cuir et pull en laine de camionneur. Ses jupes s’arrêtaient en dessus du genou et les foulards osaient les couleurs vives. En plus de son «désarmant sourire», Ruth Metzler a su jouer de ses atouts et de ses atours pour séduire le peuple et ces messieurs de la Coupole. Une stratégie que ses prédécesseuses n’auraient certainement pas osée. Pourquoi?

«Les Dreifuss et Jaggi ont dû avoir les couilles qu’avaient les mecs», explique Jean-Claude Mercier, conseiller en image et relookeur. L’homme a façonné l’image de nombreuses élues sous la Coupole, dont Yvette Jaggi, actuelle présidente de Pro Helvetia, ainsi que celle de responsables économiques du pays. Il ne s’étonne pas de voir que, dans la course au Conseil fédéral, les candidates de cette fin de décennie, qu’il s’agisse de Rita Roos ou de Ruth Metzler, ne ressemblent pas à celles d’hier. «Dans les années quatre-vingt, les femmes ont dû imposer leur rôle par un costume pas trop féminin. On les préférait non-mariées et austères, loin du cliché de la jolie fille: l’image de la religieuse», poursuit-il. «L’habit faisant le moine, elles assumaient leurs charges dans un habit de fonction, un habit de scène.»

Avec le relookage, les jupes remplacent les grosses lunettes.

Avec le temps, ces femmes, sur les recommandations de leur entourage, sont cependant allées demander conseil à Jean-Claude Mercier: «Quand Yvette Jaggi est venue me voir, elle avait les cheveux gris et portait de grosses lunettes. Je lui ai suggéré de teindre ses cheveux, de changer de montures et de préférer les jupes aux pantalons suivant les circonstances», raconte le relookeur. Il reconnaît d’ailleurs que cette première génération de dirigeantes est venue le trouver alors qu’apparaissait celle des Rita Roos, Jacqueline Fendt ou Micheline Calmy-Rey, dont l’allure changeait l’image des femmes à responsabilités en Suisse: «Depuis le début des années nonante, on assiste à une évolution évidente. Les prises de position vestimentaires sont plus affirmées. Il y a une interaction entre la rue et les hautes fonctions.»

De son côté, Corinne Melly, rédactrice image à L’Hebdo, se souvient du «mini-tollé» qu’avait provoqué la candidature de la très (trop) féminine Liliane Uchtenhagen au Conseil fédéral, au début des années quatre-vingt. «Il y a quelque temps, on me reprochait de ne publier que des photos représentant des dirigeantes d’entreprises l’air dur et carré. Aujourd’hui, elles offrent une image plus décontractée. On assiste dans les milieux économiques au même type d’évolution qu’en politique.» Un changement que constate également Marc Sauser-Hall, iconographe au quotidien Le Temps: «Ruth Dreifuss a pas mal évolué depuis son arrivée au Conseil fédéral, elle se maquille et a diversifié sa garde-robe.» Il se souvient d’une anecdote significative: «Je devais illustrer un papier sur Anita Rion, ministre de l’éducation jurassienne. J’ai utilisé une photo d’archives. Après publication, elle m’a appelé pour me signaler qu’elle s’était fait relooker dans l’intervalle!» L’Anita Rion nouvelle avait en effet troqué ses grosses lunettes et ses larges foulards pour des talons hauts et des costumes cintrés.

«La popiste genevoise, Amélie Christina, s’habillait comme un sac!»
Mais si Marc Sauser-Hall et Corinne Melly constatent l’évolution de l’image des dirigeantes suisses, ils l’expliquent plus par l’intérêt accru des médias pour le monde politique que par le simple écart de génération séparant les Dreifuss-Del Ponte des Roos-Calmy-Rey: «L’intérêt des médias pour l’image des dirigeants est un phénomène récent en Suisse. Il touche d’ailleurs aussi bien les hommes que les femmes», tempère Corinne Melly.

Un avis que partage en partie le photographe Jean-Bernard Sieber, fondateur de l’agence ARC, habitué des portraits de politiciens. L’homme voit dans Ruth Dreifuss et Yvette Jaggi «les restes des suffragettes». «Quand Yvette Jaggi était à la Fédération romande des consommatrices, c’était l’horreur! Comme la popiste genevoise, Amélie Christina, qui s’habillait comme un sac», se rappelle-t-il en riant. La médiatisation n’est cependant pas tout: «Hier, ce qu’on pardonnait à un homme, on ne le pardonnait pas à une femme», note le photographe. Pour faire leurs preuves, les premières femmes à briguer des postes jusqu’alors occupés par des hommes ont renoncé à porter leur féminité en bandoulière. Malgré l’évolution, Jean-Bernard Sieber confie que de nombreuses femmes politiques tiennent encore à faire passer une image de sérieux et de rigueur lors des prises de vues, notamment au travers d’accessoires comme des lunettes ou un tailleur sombre.

Les femmes ont des qualités que les hommes n’ont pas. Car, comme l’explique Françoise Piron, déléguée à l’égalité de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), «les femmes continuent à être jugées selon des critères masculins. Les sphères de pouvoir et de responsabilités étant encore à majorité masculine, les hommes exercent une certaine pression. On le voit bien en ce moment avec la course au Conseil fédéral: les femmes papables sont « clean », c’est à dire sans enfants.» Celle qui vient de publier «Carrières de femmes, passion d’ingénieure» (livre qui présente aux jeunes filles des modèles d’ingénieures leur montrant «que l’ingénierie n’implique pas d’adopter un comportement masculin») reconnaît cependant que ses consoeurs diplômées de l’EPFL n’adoptent pas la même démarche que leurs aînées: «Tandis que la génération précédente copiait les hommes pour accéder aux postes de professeurs, de chercheurs ou de directeurs, les femmes de trente-quarante ans ne veulent pas lâcher leur féminité. Elles affirment un look plus cool et féminin, assument leur carrière et leur vie familiale.» La déléguée à l’égalité ajoute que le discours des femmes s’inscrit désormais dans une optique de complémentarité plutôt que dans celle du mimétisme: «Les femmes ont des qualités que les hommes n’ont pas. Elles sont plus compréhensives, ouvertes et humaines. C’est ce qu’elles mettent en avant aujourd’hui. Elles revendiquent leur spécifité», conclut Françoise Piron.

Politologue et maître-assistante à l’unité de recherche en Études-genre de l’Université de Genève, Lorena Parini discute cette vision de la féminité réappropriée et tente une explication historique et sociale du phénomène. Longtemps confinées à un rôle de séduction, les femmes n’ont eu de cesse, avec le féminisme des années soixante et septante, de se libérer de ce carcan réducteur. Dans leur tentative de redéfinition identitaire et de sa représentation, elles ont tenté, dans les années quatre-vingt, de se battre sur le même terrain que les hommes, avec les mêmes armes. Ce qui signifiait souvent négocier une vie de mère avec sa carrière. Bien souvent, ce sont les femmes qui n’ont pas eu à choisir entre une chose et l’autre qui ont pu accéder aux charges importantes et ouvrir la voie à celles qui ne sont pas en dehors des schémas classiques de la représentation féminine.

Les spécificités féminines à l’encontre de l’égalité?
La politologue souligne cependant: «Pour entrer dans le monde des hommes, les femmes doivent toujours accepter les mouvements d’allégeance qui le régissent. Si les hommes sont moins réticents qu’hier au partage du pouvoir, les mouvements d’allégeance existent encore, ils sont plus subtils et plus latents. Mais c’est aux femmes de s’y adapter.»

Enfin, Lorena Parini attire l’attention sur les dangers qu’il y a de revendiquer une représentation équitable des femmes en basant cette exigence sur un savoir spécifique (sensibilité, compréhension, humanité…) plutôt que sur une base d’universalité. Or, remarque-t-elle, aujourd’hui, le courant des «différentialistes» opère un retour en force et se retrouve majoritaire, tant en politique que dans la recherche. Il tend à effacer la diversité de définitions à laquelle ont abouti les femmes après le féminisme au profit d’une féminité normative et restrictive qui s’exprime dans l’image médiatique d’aujourd’hui.

Ainsi donc, les Ruth Dreifuss et Yvette Jaggi ont ouvert la brèche dans laquelle d’autres ont pu depuis s’engouffrer. L’abnégation des premières pour leur carrière s’est sans doute traduite par l’image d’une féminité moindre, en marge du schéma classique. Le regain de féminité affichée par les nouvelles dirigeantes doit beaucoup à la médiatisation. Pour preuve: la génération des pionnières se met au diapason en consultant des conseillers en image. Cependant, cette médiatisation reste une explication circonstancielle et le credo des «spécificités féminines» qui l’accompagne pose une question majeure à laquelle devront répondre les femmes dans les années à venir: la complémentarité ne nie-t-elle pas dans ses fondements même le principe d’égalité?