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Intersex Stories

Intersex Stories
Deborah Abate. Photo © Cédric Feito

Co-fondatrice d’InterAction, Deborah Abate lutte collectivement contre les mutilations génitales sur les personnes nées avec une variation du développement sexuel. Et pour la visibilité d’histoires toujours trop peu connues.

«Intersex is beautiful», «Too cute to be Binary», «Intersexcellence». Quand on navigue sur les réseaux sociaux des communautés intersexes outre-Atlantique, ces quelques slogans colorent une fière gamme de tee-shirts. A Lausanne, Deborah Abate dit que le hashtag de l’artiste et activiste de Chicago Pidgeon Pagonis, «Intersex Stories: not surgeries» («Pas d’opérations mais des histoires intersexes») est le genre de flux qui renforce. «Les photos sont ré-humanisantes», poursuit la co-fondatrice d’Interaction, association suisse pour les intersexes. Parce qu’en plus de les rendre visibles, ces images défont les récits intersexes des représentations pathologisantes qui leurs collent encore aux corps.

Dès leur naissance, le parcours des personnes qui présentent des variations du développement sexuel est chevillé au monde médical. Historiquement, la gestion médicale des naissances intersexes, depuis les premiers protocoles de référence du Dr John Money dans les années 1950, consiste à agir le plus tôt possible, afin de «corriger» une situation appréhendée comme pathologique et perturbante pour le développement de l’enfant, tout en rassurant l’entourage. C’est pour leur assigner un genre selon les cadres binaires en vigueur, que l’on va intervenir sur le corps.

Mais les conséquences physiques et psychiques sont graves. Deborah Abate identifie le pouvoir aux origines d’un tel effort normatif projeté à l’avance sur ces enfants, dont le corps sexué est invalidé: «Sur les corps des personnes intersexes s’appliquent au scalpel des représentations très sexualisantes, chargées de sexisme, d’homophobie, et de transphobie.»

Au nom de la protection de l’intégrité physique et du droit humain à l’autodetermination de son genre, l’arrêt de ces interventions irréversibles et non-consenties est la lutte qui cimente le mouvement intersexe. C’est localement l’un des objectifs d’InterAction, que Deborah Abate et Audrey Aegerter ont créé en 2017. Mais ce n’est pas le seul. C’est un combat pour informer sur des situations historiquement tues – pour les personnes concernées elles-mêmes – et pour créer un lien entre des histoires isolées dans un contexte associatif relativement récent. S’il a trouvé ses visages et qu’il est désormais connecté, l’activisme s’est constitué lentement parce que l’invisibilité des personnes concernées – et donc la connaissance publique des enjeux – est le fruit de la logique normative d’évacuation de la question même de l’intersexuation par le geste et le discours médical.

Dans cet espace de non-dits, de secrets, la découverte de son histoire intersexuée est un long processus qui mènera peut-être à la connaissance des mots «intersexuation/intersexe», puis des associations communautaires. C’est leur raison d’être.

Relier des vies éparses
«Il est essentiel de rencontrer d’autres personnes intersexes» affirme Deborah Abate. Dans «Ni d’Ève, Ni d’Adam», documentaire intimiste de Floriane Devigne dont elle est la protagoniste principale, Deborah, déjà largement documentée sur son intersexuation depuis l’adolescence, fait l’expérience du pouvoir résilient de la rencontre avec trois autres personnes concernées. «Un monde s’ouvre, il permet de panser tes plaies et de t’identifier à une communauté soudée, joyeuse, qui n’est pas dans l’apitoiement.»

Ainsi InterAction propose avant tout un safe space, des ressources et permanences pour les personnes intersexes et leurs proches, des personnes en questionnement ou alliées, afin d’échanger et se retrouver régulièrement autour d’ateliers et d’activités. «Aujourd’hui, on veut rendre le mot intersexe empouvoirant.»

Informer
Tout en militant activement auprès des institutions politiques et médicales, InterAction effectue un travail de sensibilisation, d’information et de pédagogie auprès des professionnels de santé. A l’échelle internationale, ce travail militant d’information a payé et permis de lever le poids du secret autour des naissances intersexes. «Aujourd’hui on informe les personnes concernées, les parents sont au courant des variations, des effets sur le corps, des prises en charge possibles, des pronostics envisagés à l’adolescence. On n’extorque plus des accords d’intervention sur des bases floues», explique Deborah Abate, vis-à-vis des rares cas ayant évolué de façon notoire.

«On n’est pas anti-médecine, mais anti-langue de bois»

Mais le paysage est loin d’être dégagé. Malte est le seul pays à officiellement condamner les opérations d’assignation sexuelles sur les enfants intersexes. En Californie, le vote de janvier pour une législation reculant les opérations à un âge de consentement éclairé vient d’échouer. La Suisse, condamnée à quatre reprises par divers comités de l’ONU pour la pratique d’opérations mutilantes, est guidée depuis 2012 par les recommandations d’une Commission Nationale d’Ethique pour la médecine humaine. Cet organe pluridisciplinaire travaille pour protéger l’intégrité de l’enfant. Mais selon Deborah Abate, cela ne signifie pas que les opérations n’ont plus lieu. Plus que de recommander, il s’agit de légiférer. «On n’est pas anti-médecine mais anti-langue de bois. On veut collaborer avec des gens capables de s’engager dans une vraie réflexion. Systématiser des protocoles, d’accord, pourvu qu’ils soient bienveillants.»

InterAction a donc mobilisé le Grand Conseil genevois avec Ensemble à Gauche pour défendre deux motions en 2018 et 2019 afin de faire reconnaître les torts causés aux personnes intersexes et condamner les mutilations génitales. Si ces motions entérinées le 10 avril 2019 sont des outils précurseurs au niveau cantonal, reste que l’écart entre les textes et la réalité hospitalière est difficile à mesurer, et que la Confédération ne donne pas un cadre légal, en Suisse, pour protéger les personnes intersexes.