«Lady Gaga me fout dans la merde!»
Il arrive qu'une barbe change le destin d'un homme. Rencontre avec l’artiste chorégraphique Benjamain Dukhan, mannequin fétiche de Jean Paul Gaultier.
Les défilés, j’aime bien. Même s’il est difficile de s’exprimer en tant qu’interprète sur un podium. Mis à part ce que faisait Alexander McQueen ou actuellement Rick Owens, les mises en scène des shows restent très traditionnelles et consistent en un aller-retour, sans galipette, ni fille portant des chaussures dépareillées», observe Benjamin Dukhan – entièrement vêtu de noir drapé de blanc sur le torse et deux longues traînes frangées latérales jusqu’au sol – dans la frénésie de la fête de lancement de Kokorico, le nouveau parfum masculin de Jean Paul Gaultier, à l’issue de son défilé haute couture à Paris le 6 juillet dernier.
Signe distinctif
Dukhan a l’allure de ses modèles peints ou sculptés par Le Caravage, Delacroix et Laocoon. Hors norme et pourtant sans arrogance. On décèle chez lui une simple envie de jouer et de déjouer. Il est une créature. Mais serait-il le même sans sa barbe? «Elle a déclenché pas mal de choses, c’est vrai. Mais c’est quand même moi qui l’ai laissé pousser en rentrant de Berlin en 2009!», explique-t-il en rigolant, comme pour se réapproprier un signe distinctif qui lui appartient. «Des photos de moi ont circulé au moment de la Fashion Week en 2010 et sont arrivées chez Jean Paul Gaultier. Il m’a engagé sans me faire passer de casting. Alors que je n’avais jamais défilé, il m’a choisi pour l’ouverture. Un honneur. C’était pour la collection en hommage à Yves Saint Laurent à Marrakech. Je pense que ma barbe l’a inspiré.»
Touche-à-tout
Plus qu’un mannequin, Benjamin Dukhan est un artiste chorégraphique. «Mon rêve de gamin, c’était d’être danseur étoile. J’ai vécu une enfance avec ma maman parisienne et mon père juif algérien à Montpellier, entre le conservatoire et la danse classique dès l’âge de six ans», résume-t-il. Adolescent, il arrête la danse, se consacrant à ses études de chimie et de Lettres avant de revenir à ses premières amours à 25 ans. «Mon émancipation du classique me permet d’être un touche-à-tout, en totale autonomie par rapport à mes propres expérimentations, là où les danseurs classiques se voient souvent figés dans leur art, incapables d’échapper à la technique. Je fais de la vidéo, je chante et je fais des performances.»
Il voyage beaucoup et a notamment travaillé à l’Arsenic à Lausanne et en Allemagne. C’est à Berlin que le déclic a lieu. «L’année que j’y ai passé en 2008 m’a permis de prendre de la distance par rapport à ce qui se passe en France culturellement. C’est là que j’ai compris que l’expérimentation est sans limites. Cela m’a ouvert l’esprit, ne serait-ce que dans la manière d’aller vers les gens et de se créer des opportunités pour créer des projets. Revenu à Paris chargé de cette énergie libératrice, tout m’a paru possible.»
«Mister Gaga»
Dans l’effervescence de ses nombreux projets, il est un qui lui tient particulièrement à coeur: The Burger Girl, initié il y a un an avec le musicien genevois Edouard Desyon (voir vidéo ci-dessous). «Nous faisons de l’electro pute. Notre première chanson s’intitulait «Juicy Spermy», la deuxième, c’était «Burn My Vagina» et la troisième, c’est «Slut Machine». Les paroles, c’est de la poésie de cul actuelle, celle qu’on lit beaucoup sur les sites de rencontres gay.»
Alors, Lady Gaga n’aurait-elle plus qu’à se rhabiller? «Elle me fout dans la merde! Grâce à son équipe, elle a au moins 200 idées par clip! Du coup, si tu veux faire un clip dans un champ ou une forêt, elle l’a déjà fait. Maintenant, il y a même un site qui m’appelle Mister Gaga…», ajoute-t-il en rigolant. A la différence près que contrairement à son illustre rivale, Benjamin Dukhan ne cherche pas la célébrité à tout prix. Sa préoccupation est de parvenir à réaliser des projets qui ont la gueule de ce qu’il a envie de faire. Et si nous rebaptisions l’autre Lady Dukhan?