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Et Warhol créa les médias

Après le Kunstmuseum de Vaduz au Liechtenstein, c’est au tour du Musée d’art contemporain de Lyon d’accueillir l’exposition «Andy Warhol, the late work» consacrée aux 15 dernières années de l’homme à la perruque peroxydée. En marge de la présentation de ses œuvres les plus méconnues, les expériences médiatiques du prophète des fameuses 15 minutes de célébrité ne sont présentées que de façon très anecdotiques. Pourtant, toute la culture et la consommation médiatique contemporaine y plongent leurs racines presque malgré elles.

«C’est dommage, je pensais qu’il y aurait plus de tableaux connus», tente de chuchoter discrètement un jeune Lyonnais bien peigné, tendance urbaine et branchée à la sauce plus M6 qu’Arte, à sa compagne qui réajuste la frange de son dégradé Jennifer Aniston. Pourtant, le libellé de l’expo, sous-titrée «the late work» (l’œuvre tardive, ou en retard, pour signifier la nécessité trop longtemps repoussée de faire connaître au grand public les oxydations à l’urine quand il ne veut se souvenir que des Marylin) avertit d’emblée: pas de traces ici des icônes warholiennes qui ont depuis été imprimées en vrac sur des serviettes en papier ou des t-shirts pour boutiques-souvenirs de musées.
Reste que l’ensemble du public, familial, trop familier des Campbell’s Soup pour être intimidé par la proposition ambitieuse d’un musée, semble, à l’instar de cet avatar lyonnais de Benjamin Castaldi, bouder son plaisir. Si bien que l’espace devant les impressionnantes toiles est vierge de silhouettes, les ouailles venues célébrer le pape du Pop préférant se presser devant les écrans plasma qui jalonnent l’accrochage et diffusent des extraits des spots réalisés dans le cadre de l’Andy Warhol’s TV au début des années 80, avant d’être recyclés (déjà!) par MTV dans «Andy Warhol’s Fifteen Minutes»: des interviews décalées menées par la voix traînante et faussement nonchalante de Warhol ou de ses acolytes, des présentations de clubs à la mode, des extraits de défilés de mode signés par Armani ou Alston, des déjeuners réunissant des artistes et des people tel David Hockney autour d’un buffet à la Factory, des visites d’appartements de célébrités, etc.

Précurseur de la real TV
Ça vous rappelle quelque chose? Pas si étrange, si l’on considère que l’ensemble de ces pistes médiatiques ont depuis trouvé dans notre si mal nommée «société de communication» le statut de boulevards bitumés et sagement balisés, sécurisés. Sortes d’Amédée bouffi et blafard de ce qui chez Warhol émergeait d’une gestation impulsive et spontanée. Pour faire court, slogan: Warhol comme «inventeur» de l’entertainment branché.
Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur le seul véritable succès médiatique planétaire: MTV, seule chaîne étant parvenue à exporter l’ensemble de son contenu, là où les médias classiques ne parviennent à atteindre que la déclinaison internationale d’un titre, chaque fois adapté au nouveau marché. Ainsi, les succès de MTV (inventeur de la real-TV, rappelons-le) existent tous dans la TV que Warhol invente entre 1980 et 1982 quand il se paie une demi-heure sur un media alors à l’état embryonnaire: le câble. Dès lors, il est amusant de constater la «coïncidence» des dates, MTV ayant vu le jour il y a juste 23 ans…
Ainsi, les émissions telles que Cribs, Roomraiders, The Osbournes, Newly weds trouvent toutes leur inspiration, consciente ou non, dans la lucarne warholienne.
Là où Warhol utilise, expérimente, dissèque, détourne au sens premier, essaie, pour dire et montrer la société déjà médiatique dans laquelle il évolue, les médias aujourd’hui jouissent et prospèrent sur les dégénérescences, les travers annoncés, appliqués par l’artiste. Pas étonnant que Warhol se souvenait de Georges Orwell et de son 1984 tandis que lui-même vivait précisément en 1984.
Quand Glenn O’Brien lui demande en 1976 «Quel conseil tu donnerais à une jeune personne qui voudrait devenir artiste aujourd’hui?» la réponse est éclairante, bien qu’elle ne soit pas dénuée de l’ironie avec laquelle Warhol se prêtait de bonne ou de mauvaise grâce aux interviews: «Je lui dirais juste de ne pas devenir artiste. Elle ferait mieux de se mettre à la photographie, à la télévision ou quelque chose dans le genre.» De même, à Gérard Malanga qui lui demande s’il a le sentiment d’avoir transformé les médias, Warhol répond: «Non, je ne transforme pas les médias. Je ne fais pas non plus de différence entre mon art et les médias. Je ne fais qu’ajouter aux médias en les utilisant pour mon travail. Je suis convaincu que les médias sont de l’art.» L’œuvre médiatique de Warhol, c’est de s’être adressé à ses contemporains à travers leurs outils de langage, c’est d’avoir préfiguré, dans tous les sens du terme, l’auto-proclamée société de communication.

L’avant-goût de la conso people
Dès 1974, comme l’explique Glenn O’Brien, engagé en 1970 par Warhol comme assistant rédacteur en chef, «Interview (ndlr. magazine créé par Warhol en 69) s’est transformé (…) en un magazine dédié à l’art de la conversation.» Pas étonnant d’ailleurs de trouver aujourd’hui celui qui a fait ses premières armes dans la rédaction d’Interview, Thierry Ardisson, proposer un zapping culturel et people à des téléspectateurs en mal de sujets de conversation sous le libellé «Tout le monde en parle». Las, sans le contrepoint ironique des Monty Python jouant les désabusés dans «Le Sens de la vie». Dans sa version pantouflarde, cela donne le «Vivement dimanche» de Michel Drucker qui sent bon la sentorette et la toile cirée. Le parallèle entre la papote décontractée sur les canapés «design» de Drucker et le babillage faussement détaché d’un Henry Geldzahler vautré dans l’intimité des appartements new-yorkais de ceux qu’il interviewe pour Andy Warhol’s TV donne le vertige: ne reste des balises expérimentales warholiennes qu’un décor aseptisé et des manies là où l’artiste proposait une façon.
Mais l’influence de Warhol ne se limite pas à l’esquisse, déjà très travaillée, presque aboutie, de l’opulente et repue uniformité des mass-media contemporains. En créant le magazine Interview, et en l’imposant comme l’incontournable bible des célébrités dans les années 70, il préfigure, au-delà de l’émergence ventrue de la consommation people à venir, le lien social de la presse spécialisée, réservée, des élites à venir, celles de la «créativité».

Le concept «workshop»
Ainsi, comme le note Angelo Cirimele, directeur de Magazine, dans les Inrockuptibles, «Interview, du temps de Warhol, était avant tout une plate-forme, un magazine qu’il avait conçu pour rencontrer des gens, pas pour faire de l’information. Ça a créé une mini communauté, une constellation de gens susceptibles à un moment ou à un autre de travailler ensemble, et ça, c’est hypermoderne. Ce principe de workshop est aujourd’hui repris par les meilleurs magazines, de l’allemand 032C à Purple (…) Il envisage le magazine comme un support, au sens artistique du terme, et le contrat éditorial comme une forme.»
Du côté du social, ces «bibles» du design, du graphisme, de ceux qui créent (attention: les créateurs au sens de créatifs…) servent de lien au sens propre, de vecteur d’information, entre élites d’un monde globalisé en même temps qu’elles ont la fonction de désigner ces élites. Elles dessinent les limites d’un monde qu’elles reconnaissent en même temps qu’elles l’inventent. C’est, typiquement, le classement des «40 qui dirigent le design mondial» du magazine ID USA. Le média comme lieu, forum pour se reconnaître et donc envisager la collaboration, ainsi que comme club privé, réservé. Elitiste et élitaire, pour les élites, par les élites.
Les limites de Warhol dans le champ de la projection médiatique sont, évidemment, inhérentes à la réalité technologique de son époque. Quand il meurt en 1987, Internet n’existe pas ailleurs qu’à l’état de possible. Aussi, quand Glenn O’Brien, alors qu’ils discutent de la notion d’«art commercial» chère à Warhol, lui demande «Crois-tu que les artistes du futur créeront des entreprises qui seront cotées en bourse et vendront des actions?», Warhol répond par la négative. Pourtant, une dizaine d’années plus tard, David Bowie, un de ses proches, lance BowieNet, plate-forme de musique en ligne et véritable banque universelle, cotée en bourse. Ironie du sort au double-sens vertigineux : à la même époque, Bowie se travestit en Warhol pour incarner l’artiste dans le film «Basquiat» consacré au jeune protégé du prince pop.
Reste que si l’ignorance technologique indispose le linceul de prophète médiatique dont on souhaite par péché d’enthousiasme couvrir Warhol, le précurseur offre lui-même la conclusion maligne de cette proposition de Warhol en visionnaire médiatique, comme une de ses réponses ironiques et décalées dont il aimait parsemer les interviews qu’il accordait: toujours dans Les Inrockuptibles, la critique Jade Lindgaard rappelle que dans les années 80, au détour d’un de ses spots sur le câble, Warhol lâche: «Tout le monde devrait passer à la télé», avant de conclure, impassible, «C’est vraiment pas drôle».

«Andy Warhol, the late work», jusqu’au 28 mai. Musée d’Art Contemporain de Lyon.
Renseignements: +33 (0)4 72 69 17 00