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Dona Decarli:«Pour moi, le Tessin sera toujours un bon point de départ»

Dona Decarli:«Pour moi, le Tessin sera toujours un bon point de départ»

Continuons de dérouler le fil rouge qui unit 360° avec The deep NEsT, le projet initié par Natascia Bandecchi, journaliste RSI. Le deep NEsT est un lieu sûr, sans jugement et où celleux qui nous parlent sont libres de partager des fragments de vie entre douleurs et passions, joies et peurs, victoires et défaites, rêves et cauchemars.

Dona Decarli est née le 21 décembre 1950. Elle est photographe et artiste visuelle. Passionnée par la vie, elle est porteuse d’une énergie agitatrice, c’est la raison pour laquelle son entourage rêve parfois de lui donner une dose de Ritaline, pour la calmer un peu. Elle a grandi à Muralto, sur les rives du lac Majeur, à un jet de pierre de Locarno.

Un jour, son père au tempérament à la fois impétueux et doux, amateur d’aquarelles et bon portraitiste, a jeté son appareil photo à soufflet Voigtländer contre un tas de neige dans un excès de colère, alors qu’il tirait le portrait de ses enfants. Dona a sauvé l’appareil et a conservé la photographie, l’une des rares de son enfance. Ainsi est né le lien indissoluble entre elle et l’art de raconter des histoires par l’image.

«L’art ne reproduit pas ce qui est visible, mais rend visible ce qui ne l’est pas toujours». La pensée du peintre Paul Klee résume bien les sentiments de celleux qui ressentent et vivent l’art au plus profond de leur être. Dona plonge dans son passé en fouillant des morceaux d’elle-même: «J’ai une image de moi petite fille dans les montagnes, assise sur un gros rocher. Je suivais du regard un avion laissant une trace derrière lui dans le ciel. J’avais alors pensé: ‘Quand je serai grande, j’irai je ne sais pas où, mais j’irai.’»

Premiers émois

L’orientation sexuelle, l’identité de genre et la communauté LGBTIQ+ sont des termes couramment utilisés aujourd’hui, mais à l’époque où Dona a grandi, ils n’existaient pas. «J’étais à l’école primaire et lors d’une semaine de ski, j’ai fait mes premières expériences avec une amie. Nous étions très pudiques, mais je me souviens parfaitement de l’émotion.» Depuis ces effusions dans le dortoir du camp de ski, le temps a passé pour Dona. «Mon orientation sexuelle n’était pas problématique dans un premier temps, c’était quelque chose de latent. J’ai eu plusieurs amants avec lesquels j’ai passé des moments très agréables et sincères.» Dona se rappelle avec une grande vivacité être tombée follement amoureuse d’une camarade à l’internat pour filles de Lucerne. «Elle s’appelait Gloria. A la fin de l’école, à 18 ans, je suis retournée au Tessin. Je ressentais un vide cosmique intérieur fou. J’avais capté quelque chose en moi, mais j’ai préféré ne pas approfondir, la douleur était trop forte.»

Le polaroid

De Londres où elle s’était installée, elle est partie à Zurich pour y suivre une formation de photographe avant de revenir au Tessin six ans plus tard. Avide d’art, Dona s’est alors inscrite à l’Académie des Beaux-Arts de Brera à Milan. «Après la mort de ma mère, j’ai eu une relation tourmentée avec une femme et j’ai vraiment vécu mon homosexualité. Cependant, c’est lors d’un voyage en Inde en 1984 que j’ai pleinement compris mon orientation sexuelle. J’ai pris une photo avec un appareil Polaroid et je me suis dit: maintenant je suis prête pour l’amour et je veux rencontrer une femme! Je l’ai rencontrée au Sri Lanka peu de temps après. Avec elle, j’ai vécu pleinement un amour éblouissant et j’ai réalisé que j’avais cherché ce type de vibration toute ma vie.» Après ce fameux polaroïd, Dona a vécu d’autres histoires et depuis 22 ans, elle a une partenaire à ses côtés.

Les frontières ne sont pas géographiques, mais mentales

À la fin des années 1990, Collegati, la première association LGBTIQ+ du Tessin voyait le jour à Bellinzona (elle s’appelle aujourd’hui Imbarco Immediato). Dona en est l’une des instigatrices. «Pour moi, ce fut un moment profond de prise de conscience et de connaissance: pouvoir donner et écouter la voix de celles et ceux qui, avant cela, n’avaient pas osé revendiquer le droit naturel d’être, de s’aimer et de s’accepter tel que l’on est. L’association a donné beaucoup de force et d’espoir à de nombreuses personnes. Elle leur a permis d’avoir une vision différente de la vie et de la famille. C’était une première occasion de créer des rencontres, de se mélanger aux autres. Le concept de honte a été lentement remplacé par une saine fierté et une voix a finalement été donnée à celles et ceux qui chuchotaient à peine.» Que manque-t-il au Tessin pour être plus inclusif? «J’aimerais que certaines personnes qui vivent ici sortent de la mentalité provinciale qui limite tellement la vie au sud du Saint-Gothard. Les frontières ne sont pas géographiques, mais mentales. Pour moi, le Tessin est et sera toujours un bon point de départ.»