«J’ai besoin d’un horizon, sinon je ne tiens pas»
Comme d’autres artisans des nuits romandes, 360° Fever subit de plein fouet les restrictions liées à la crise sanitaire. Des nouvelles du front avec Rolan Delorme, coordinateur de cette institution de la fête pour nos communautés.
«J’ose espérer qu’on reprendra en début d’année prochaine. J’ai besoin d’un horizon, sinon je ne tiens pas.» En sortant du petit local familial de l’association 360, à Genève, ces mots de la fin dans la bouche de Rolan Delorme passent par-dessus les aboiement de mini-chiens et résonnent encore pendant quelques coins de rue, parce qu’ils touchent ce qui peut-être nous plombe tou·te·s le plus insidieusement: la difficulté d’avancer dans le brouillard. Alors concrètement, comment fait-on, quand son métier c’est d’organiser la nuit des autres, de garantir du lien social entre les corps dansants autour de la fête, environ dix ou douze fois par an? Quand les données et les restrictions changent sans cesse, comment s’organiser, comment planifier, comment anticiper? Comment survivre, financièrement, et continuer de contribuer à l’ensemble du travail de l’association 360?
360° Fever est l’une des nombreuses signataires du cri culturel «À bout de souffle» publié sur les réseaux début septembre. Cette lettre ouverte répond publiquement à la dernière prolongation par l’Exécutif cantonal genevois de la fermeture des clubs, jusqu’au 16 novembre prochain. Plombés, certains clubs, associations et collectifs pourraient ne pas s’en relever. Comme si la nuit, avec tous les travailleurs qu’elle fait vivre, n’était pas un bastion de la vie sociale essentiel à défendre, elle se retrouve victime de sa mauvaise réputation de grand cluster de contamination. Mais c’est oublier aussi que les lieux nocturnes participent activement aux dynamiques de traçage de la population.
Les risques sans la fête
Les fêtes sont, depuis les origines, la clé de voûte de l’aventure 360, qui débute le 16 février 1998. Ce sont les premières soirées chez Brigitte qui serviront à lancer le projet 360, puis à le développer vers la forme à trois pôles associatifs indépendants d’aujourd’hui: le volet social de l’association 360, le Magazine «360°» pour le volet média et lien communautaire, et 360° Fever pour l’événementiel. Fever n’est pas subventionnée, mais elle est cruciale pour la vie de l’association. Il ne s’agit pas seulement de la perte d’un temps essentiel de la vie communautaire locale, de son rassemblement et de sa visibilité.
Fever contribue historiquement à une partie non négligeable du loyer général des locaux associatifs. Or l’absence de cet apport, s’il n’était pas compensé par une aide supplémentaire municipale, cantonale ou fédérale, pourrait occasionner une réduction de la surface de travail allouée à l’ensemble des activités. Par ailleurs, le local adjacent qui sert aux activités sociales de 360 n’aurait aucunement la capacité d’accueillir les autres pôles de l’association, dont les postes administratifs et la rédaction de 360° magazine.
«Même en soutenant uniquement des artistes locaux et en réduisant d’autres coûts, à moins de 1000 entrées nous ne pouvons pas rentrer dans nos frais.»
Selon le nouveau calendrier de gestion épidémique, la prochaine 360° Fever pourrait avoir lieu le 5 décembre, mais son organisateur reste sceptique. D’une part, parce que rien n’assure que la date butoir de novembre ne soit pas encore prolongée. Et parce que même en se projetant sur ces bases bien fragiles, le nombre de clients autorisés pour les manifestations publiques depuis le début des mesures Covid-19, n’est pas tenable pour les besoins de rentabilité des soirées. «Même en soutenant uniquement des artistes locaux et en réduisant d’autres coûts, à moins de 1000 entrées nous ne pouvons pas rentrer dans nos frais.» De surcroît, les 360° Fever sont toujours dépendantes des lieux partenaires dans lesquelles elles peuvent exister, lesquels sont désormais d’autant plus soumis à leurs propres priorités et peuvent difficilement partager les recettes avec des entités invitées.
Ces contraintes structurelles impactent directement l’activité et alimentent les inquiétudes de Rolan Delorme, seul salarié de l’entité à 25%, taux d’activité qu’il complète avec un autre 25% administratif pour l’association 360. Il a pu bénéficier a posteriori de RHT, mais pour deux mois seulement. Et même si des dossiers de demande d’indemnisation sont déposés, l’avenir reste, pour l’heure, très incertain. On le comprend, pas seulement pour une personne, mais pour l’ensemble des organes associatifs de 360.