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Le cerveau mou de l’existence

Lausanne, mar 16 avril - dim 21 avril

La cavale algérienne de Mehdi

Menacé par son père à cause de son homosexualité, un jeune Lausannois de 17 ans s’est retrouvé pris au piège en Algérie. Pour regagner la Suisse, il n’a pu compter que sur son courage et celui de son ami… tandis que les autorités suisses s’avéraient impuissantes.

Mehdi, suisse d’origine algérienne, aura bientôt 18 ans. Joachim, lui, approche les 20 ans. Tous deux partagent leur vie entre job et études dans une petite ville romande. Une vie apparemment tranquille pour ce très jeune couple gay, mais qui a déjà plus de deux ans de relation et la tête bien sur les épaules. Il faut dire qu’il y a de quoi, tant la bataille qu’ils ont livrée ces derniers mois les a mis à rude épreuve.

L’histoire commence pourtant de manière banale, par les vacances de Mehdi chez ses grands-parents, en Algérie. S’embarquant le 15 juillet avec sa mère, son frère et un voisin, Mehdi est heureux de quitter la maison. Son père, qui le bat et le menace régulièrement, reste en Suisse. Arrivé à Oran, Mehdi profite de quelques jours de tranquillité, avant que son père ne lui téléphone. Il annonce qu’il est au courant de son homosexualité et lui pose un ultimatum: «Si tu ne changes pas, on en finira avec toi.» Le père n’en est pas à ses premières menaces; aussi, Mehdi reste calme. Chez les grands-parents tout semble normal. Mais quand arrive la date du retour, le 12 août, sa mère le convainc sous un prétexte anodin de rester encore une semaine. Accompagnant sa mère et son voisin à l’aéroport, Mehdi réalise: «J’ai tout compris dans son regard, il était plein de remords et de tristesse.» De fait, la mère emporte dans ses bagages la carte d’identité suisse de son fils, subtilisée quelques jours plus tôt. «Elle m’avait dit qu’elle voulait juste la montrer au grand-père. Et moi qui n’avais toujours pas compris!» Bientôt, le portefeuille, le billet d’avion et le natel de Mehdi disparaissent à leur tour.

A l’approche de la rentrée scolaire de Mehdi, son copain sonne l’alarme auprès du Service vaudois de protection de la jeunesse (SPJ), qui font constater l’absence de Mehdi et engagent des démarches administratives contre ses parents… Mais rapidement, le SPJ montre son embarras. Lors des contacts, toujours plus rares, avec son copain, Joachim tente de le rassurer: «Je ne pouvais pas dire qu’il n’y avait rien en cours. Je disais que le SPJ était en train de réfléchir et qu’ils allaient me donner des nouvelles, mais ils ne rappelaient pas.» Le SPJ reconnaît que Mehdi devrait s’enfuir, mais refuse de se mouiller.

Comme un film
Ni une, ni deux, Joachim interrompt ses études. Empruntant de l’argent, il obtient un visa en un temps record et s’envole pour l’Algérie. Sans rien connaître du pays, il se débrouille pour rejoindre Oran, où il a donné rendez-vous à son copain devant un hôtel. Miracle, Mehdi est là. A sa famille, il a prétendu qu’il allait au hammam. «C’était un peu comme un film, se rappelle Joachim. Là, c’était le bon moment. Mais une fois que l’on est retournés à Alger, ça a vite foiré.» En effet, l’hôtel de Joachim refuse d’héberger Mehdi sans papiers d’identité. Le même jour, à l’Ambassade de Suisse, l’accueil est réservé, pour ne pas dire glacial. Le consul commence par sermonner Joachim sur les risques inconsidérés qu’il prend. Puis il expose la situation: Binational, Mehdi est exclusivement considéré comme algérien par les autorités locales et risque d’être arrêté pour être remis à son père. Quant à Joachim, il est passible de prison pour détournement de mineur. En outre, l’Ambassade refuse de cacher ou de faire héberger le jeune couple, invoquant des «risques trop importants».

«Mettez vos sentiments de côté…»
Aidés, conseillés et soutenus par les parents de Joachim, ainsi que par plusieurs ONG, associations et particuliers, Joachim et Mehdi ne peuvent pas en dire de même des services sociaux, tant leur santé, leurs besoins et leur couple semblaient peu préoccuper leurs contacts au SPJ. Ceux-ci priaient sans cesse Joachim de «mettre ses sentiments de côté»… «On séquestrerait votre femme au pôle nord, vous mettriez vos sentiments de côté, vous!?», a rétorqué une fois le jeune homme.
Quant à l’Ambassade de Suisse à Alger, Joachim pense qu’elle semblait surtout préoccupée par le traité de libre-échange entre la Suisse et l’Algérie, actuellement en négociation. «Ils n’allaient pas gâcher ça pour la vie d’un gamin, qui plus est homosexuel!» «Je crois que ni à l’Ambassade, ni au SPJ, ils n’ont compris que l’on s’aimait, conclut Joachim. Tant qu’on leur laissait le choix, ils agissaient d’abord dans leur propre intérêt.»

Lâchés dans Alger, Joachim et Mehdi passent d’un foyer de femmes battues, où ils échappent à un contrôle de police, à des familles et des particuliers, plus ou moins au courant de leur situation… et de l’avis de recherche bientôt lancé sur Mehdi.

Mettre la pression
15 jours plus tard, l’Ambassade fait rapatrier Joachim d’autorité, non sans lui avoir garanti le retour de Mehdi au bout d’une semaine. De fait, le 2 octobre, l’Ambassade annonce à Mehdi son rapatriement pour le lendemain. Mais au matin du départ, tout tombe à l’eau. Le scénario se répète la semaine suivante.

Seul à Alger, Mehdi plonge. Il perd du poids, songe à en finir. Ses contacts avec l’Ambassade et le SPJ se font de plus en plus espacés et les réponses de plus en plus évasives. Déprimé, Mehdi va dormir quelques jours dans la rue. «J’en avais tellement marre, il fallait que je leur mette la pression», avoue-t-il. «Franchement, résume Joachim, il fallait dramatiser les choses, car le DFAE nous répondait sans cesse qu’ils avaient des affaires plus urgentes, avec des morts ici ou là. Mais Mehdi, pendant ce temps, il était encore vivant!» Le DFAE laisse alors entendre que l’affaire pourrait prendre plusieurs années – le temps que Mehdi soit majeur… à 21 ans en Algérie.

Les deux jeunes échafaudent un nouveau plan: Mehdi se rendrait au Maroc, où il pourrait pleinement faire valoir sa nationalité suisse et regagner le pays. Pour passer clandestinement la frontière algéro-marocaine, officiellement fermée, Joachim et Mehdi parviennent à contacter un passeur via Internet.

Passage clandestin
En rase campagne, le franchissement de la frontière est rocambolesque: «Des gendarmes m’ont regardé, ils ont demandé: ‘C’est tout ce qu’il y a?’ On a donné l’argent et ils nous ont dit: ‘Allez, courez!’ Tout autour, il y avait des tours d’observation avec d’autres gendarmes armés de mitraillettes qui faisaient semblant de regarder ailleurs.» Quelques centaines de mètres plus loin, Mehdi est sur territoire marocain, hors de danger. Il faudra encore quelques jours pour se faire établir un nouveau passeport, et enfin regagner la Suisse – le 7 décembre, près de 5 mois après son départ en «vacances».

D’abord placé dans un foyer pour mineurs à Lausanne, Mehdi a dû encore se bagarrer pour faire admettre aux services sociaux qu’il habiterait chez son ami – la moindre des choses. Aujourd’hui encore, rien n’est évident pour ce jeune couple. Pas même de se promener ensemble, car les menaces de mort proférées contre Mehdi sont encore très vives dans leur esprit. «S’ils sont assez fous pour nous tuer, conclut Joachim, ils le feront. Mais je crois qu’ils n’en ont plus rien à faire – ils ne considèrent plus Mehdi comme leur fils, ils veulent qu’il change de nom. D’un côté, c’est rassurant.»

Illustration: Adrienne Barman

 

«L’intégrité et la sécurité de la personne aurait dû passer avant toute autre considération»

Pour le co-président de Pink Cross Yves de Matteis, qui a suivi l’affaire de près, la relative impuissance de la diplomatie suisse dans cette affaire n’est guère étonnante, compte tenu des impératifs liés au droit international et des moyens très modestes à la disposition d’une représentation comme celle d’Alger. «S’il s’était agi simplement d’un mineur, on aurait trouvé de nombreux soutiens dans la société civile. Mais dès lors que l’on parle d’homosexualité, il n’existe plus aucun relais dans ces pays-là.» Dans de telles conditions, aurait-on pu attendre de l’Ambassade qu’elle héberge Mehdi? «Si l’on considère que l’intégrité et la sécurité de la personne étaient en jeu, cela devrait passer avant toute autre considération. Mais hélas, c’est rarement le cas.»

Des gays algériens particulièrement vulnérables

Au mieux ignorés par la population, les homos algériens n’ont ni structures pour les défendre, ni lieux pour se rencontrer. Même si les lois punissant les actes «contre-nature» d’un maximum de 3 ans de prison semblent peu appliquées, c’est au sein de la société, et souvent de la famille, que les hommes perçus comme homosexuels peuvent être l’objet de sévices, voire d’atteintes à leur vie. Ces dernières années, plusieurs d’entre eux ont été amenés à fuir le pays.