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L’amour version frappé

Le coup de foudre existe-t-il? Question de biochimie, de mythe collectif? Quoi qu’il en soit, son feu reste toujours aussi désirable, et les amant·e·s marqués par son sceau le regrettent rarement.

«Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue / Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue /   Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler / Je sentis tout mon corps et transir et brûler.  /Je reconnus Vénus et ses feux redoutables.» Le feu déjà, Phèdre devant Hippolyte, Racine active la passion ravageuse, bien avant que le terme de coup de foudre apparaisse dans le dictionnaire français, au début du 19e siècle. L’expression a depuis envahi nos imaginaires, notre littérature, nos écrans, nos fantasmes. On se prend même à se croire handicapé si on ne l’a jamais vécu. Ah reconnaître l’autre au premier regard, savoir que c’est lui, que c’est elle, celui  /celle qu’on attend et qui se matérialise là sous nos yeux, soudainement, s’engouffrer sans protection dans une relation…

Inattendu et intense
Profondément intime, personnel, le coup de foudre amoureux se nourrit pourtant d’un discours collectif. Littérature, cinéma, médias alimentent l’idée de ce fantasme amoureux, cette sorte d’apogée du sentiment, destructeur et magnifique. C’est ce que Marie-Noëlle Schurmans, docteur en sociologie à l’Université de Genève, cherche à explorer dans sa «socio-anthropologie de l’émotion». «On associe généralement le coup de foudre à la psychologie et pas à la sociologie car on a l’impression que cela concerne la subjectivité individuelle. Mais ce sentiment s’inscrit sous le regard des autres, en prise avec un discours collectif permanent. Le coup de foudre suscite énormément d’interrogations collectives, notamment à travers les médias. Les gens qui le racontent n’ont pas de doute, ils savent que c’était le coup de foudre parce qu’ils ont en tête des récits entendus et lus, des films, des poésies, des histoires d’amis.»

Les 250 entretiens qu’elle a menés pour son ouvrage Le coup de foudre amoureux. Essai de sociologie compréhensive mènent à une définition partagée. «C’est une expérience stigmatisante, inattendue dont l’expérience semble liée à l’intervention divine. C’est un phénomène rare et inexplicable, avec un effet addictif et qui est souvent considéré comme bénéfique», explique-t-elle. «Il marque et infléchit le parcours de vie, il marque le corps aussi. La plupart de gens le capitalisent comme une expérience qui les a transformés.» C’est ce que raconte Sonia*, 35 ans. «J’étais en couple depuis cinq ans, tout allait très bien. J’ai croisé Laure dans une soirée, on ne s’est rien dit, mais tout mon corps était perturbé. C’était comme un courant électrique, on est parties ensemble de la soirée sans savoir ce qui nous attendait et notre aventure a duré quelques mois, d’une intensité incroyable. Mon couple a volé en éclat, cette histoire s’est aussi mal terminée. Mais je ne regrette rien, connaître cette sensation forte juste une fois dans sa vie c’est merveilleux.»

Pas qu’une question de chimie
Les études scientifiques, notamment en neurobiologie, tentent d’expliquer chimiquement cette foudre amoureuse. Dans le dernier numéro de la revue Journal of Sexual Medicine, Stéphanie Ortigue, professeur en psychologie et neurologie à l’université de Syracuse, y affirme que le sentiment amoureux stimule les aires intellectuelles du cerveau et pas uniquement celles liée à l’affectivité. «C’est bien le cerveau qui tombe amoureux, mais le cœur est sensible à ces messages chimiques venant des neurotransmetteurs cérébraux.» On aurait ainsi dans le cerveau 250 substances sécrétées naturellement qui interviennent aux différents stades du processus amoureux. «Nous sommes de la biochimie», affirme le professeur Jean-Didier Vincent, neurobiologiste, dans le documentaire La biochimie du coup de foudre de Thierry Nolin. «Et ce n’est pas réducteur que de dire ça, c’est dans notre cerveau que s’élabore notre jouissance.» Pour Marie-Noëlle Schurmans ces explications qui «ont l’air rationnelles» constituent bel et bien «une perspective réductionniste puisqu’on ne sait toujours pas pourquoi ces substances envahissent notre cerveau. Cette théorie est déculpabilisante dans un sens, mais pour moi elle n’explique rien.»

Accepter de le voir mourir
Si les amants culpabilisent c’est que vivre un coup de foudre, c’est renoncer au rationnel et se laisser emporter sans réfléchir aux conséquences, s’isolant du regard des autres. «L’immédiateté de la passion va de pair avec la non-médiatisation par le social  : les autres ne disposent pas d’un espace d’intervention. Et cette immédiateté fait fi de la sagesse  : elle semble échapper tant à la raison individuelle, centrée sur la maîtrise de soi, qu’à la raison collective, centrée sur l’organisation sociale», note Marie-Noëlle Schurmans dans un article paru dans la revue Sciences Humaines en 2003. Comment réussir alors à prolonger son coup de foudre, une relation est-elle d’avance condamnée lorsqu’elle démarre aussi intensément? «Il y a trois grandes destinées», résume la sociologue. «La première c’est la mort des héros, c’est Roméo et Juliette. Le coup de foudre désinsère la personne de sa vie habituelle de manière si intense que cela le porte à la mort. Dans mes entretiens je n’ai eu aucun cas même si certains n’en étaient pas loin. La deuxième, c’est la mort de la relation. Cette intensité amoureuse qui rend les choses si exigeantes ne peut survivre sur la longueur et dans le monde qui l’entoure, cela devient insupportable. La troisième destinée est sûrement la plus intéressante, c’est la mort du coup de foudre lui-même. Et là il s’agit d’un travail de réinsertion de sa propre histoire qui a commencé de manière exceptionnelle à l’origine et qui s’apaise dans l’échange habituel avec autrui. On ne peut plus vivre à ce niveau d’intensité dans le temps et l’espace. Les protagonistes doivent renoncer à la permanence de cet état de coup de foudre et le transformer en une relation plus proche du modèle amour-amitié.»
Eteindre le feu ravageur pour entretenir la flamme d’un couple ayant un avenir. Redevenir un animal rationnel et raisonnable, en renonçant au destin des amants maudits. La vraie vie n’est pas une tragédie de Shakespeare.

» Le coup de foudre amoureux, essai de sociologie compréhensive, Marie-Noëlle Schurmans, Lorraine Dominicié, 1998, PUF.
» D’amour et de feu – Enjeux anthropologiques, dimensions socio-historiques et situées de l’interaction sociale, Marie-Noëlle Schurmans, SociologieS, Dossiers, Émotions et sentiments, réalité et fiction, juin 2010.