Au lit avec nos aîné·e·s
Quelle place a la sexualité lorsqu’on est aîné·e·s? A la maison, en ligne ou en EMS, conserver une vie intime et sexuelle passé un certain âge peut être complexe.
Souvent moquée, parfois décriée, la vie sexuelle des personnes âgées est un sujet «gênant» encore abordé sous l’angle de l’humour. Quasi no-go zone pornographique mais non moins fantasmatique, le sexe de la vieillesse est le tabou d’un univers domestique hétéro déserté de toute libido. Jusqu’à ses 91 ans, feu Hugh Hefner a tenté de démentir cette prétendue incompatibilité entre sexualité débridée et âge avancé. Symbole d’autosexualisation à l’américaine, le digne créateur de l’empire Playboy aura été à la fois réalisateur et acteur principal de la première utopie érotique multimédia. Héros de sa propre téléréalité à 79 ans, Hefner a pendant 6 saisons médiatisé son intimité charnelle et celle de ses bunnies interchangeables. Au cœur de son manoir – jardin d’Eden artificiel – le Playboy originel a dépoussiéré l’image du conventionnel retraité de banlieue à l’aide d’un savant cocktail mêlant peignoir en soie, polygamie assumée et viagra. Sans complexe et dé-culotté, celui qui repose désormais à coté de la tombe de Marilyn Monroe aura autant été qualifié de vieux pervers lubrique que de (sugar) daddy ultime.
Fruit d’un mythe populaire, la figure du daddy a une place toute particulière dans l’imaginaire collectif homo-érotique. Elle désigne généralement un homme plus âgé avec une personnalité dominante prêt à fournir sa protection (parfois également financière), à partager son expérience et à guider sexuellement un jeune gay. Pédérastie 2.0, la plateforme Grindr a même dédié une catégorie daddy pour mettre plus facilement en lien ces érastes et éromènes contemporains. Cet Œdipe tumblrisé aka daddy issues exclutil pour autant toutes les formes de discrimination et de mépris fondées sur l’âge dans la communauté gay (âgisme)? Pas sûr.
Dans la course à la consommation sexuelle online et offline, certains profils n’hésitent pas à exprimer leur rejet et parfois même leur «dégoût» pour les corps qui ont sur-vécu plus d’un demi-siècle. Culte du corps et peur du vieillissement sont les sources principales de cette dépréciation à l’égard des homos du 3e ou 4e âge. Pour remédier à cette peur chronique, deux solutions s’offrent à vous : mourir jeune ou engager la conversation avec nos aîné·e·s LGBT.
T’as mal où?
Tout comme les jeunes, les aîné·e·s aussi s’organisent. En France, on retrouve le collectif associatif Grey Pride qui agit à la fois comme groupe de soutien et comme groupe de sensibilisation pour informer les pouvoirs publics et la société civile sur les enjeux spécifiques des minorités dans la filière vieillesse. En 2018, Grey Pride lançait Révolution Senior, une campagne de sensibilisation choc pour changer la perception des seniors et de leur sexualité. «Aimer et être aimé-e en 7 positions, quel que soit mon genre, mon âge et mon orientation sexuelle», était le message qui accompagnait les photos de la campagne montrant des seniors tout sourire mimant les positions du kamasutra. Plus localement, les groupes Tamalou (aînés gays) et Babayagas (aînées lesbiennes) de l’association 360 ont pour fonction de promouvoir soutien, partage, entraide et convivialité entre leurs membres. Avec des apéros ou buffets canadiens informels organisés régulièrement ainsi que des sorties, ces groupes permettent de briser l’isolement et la solitude des aîné·LGBT.
Comme décrit par André Lauper, responsable du groupe Tamalou, «il y a une quarantaine de Tamalous, dont les âges s’échelonnent entre 55 et 88 ans. On est avant tout des amis. On s’échange des coups de main, on se téléphone quand ça ne va pas et on rend visite à ceux en séjour à l’hôpital ou en EMS. On veille les uns sur les autres en quelque sorte». Propice aux échanges et aux confidences personnelles, le groupe a une vertu quasi-thérapeutique. André raconte que «chaque tamalou est différent mais on a tous une histoire de rejet, que ça soit avec la famille, au service militaire, dans le monde professionnel ou dans les activités sportives. Alors que certains ont vécus leur homosexualité ouvertement, d’autres ont dû dissimuler ou taire leur orientation sexuelle. Aujourd’hui, il y en a en couple, seuls ou veufs. Il y en a qui ont été mariés qui on eu des gamins. Il y en a qui cherchent encore le partenaire idéal et d’autres qui commencent tout juste à le chercher. Il y en a qui ne veulent plus s’embêter avec des partenaires fixes et qui préfèrent vivre libérés». L’intimité sexuelle est un sujet parfois abordé chez les tamalous, mais le plus souvent sur le ton de la plaisanterie. «Quantitativement et qualitativement, les besoins sexuels ne sont plus les mêmes que lorsque nous étions jeunes, mais heureusement, on a encore les yeux pour regarder», plaisante André.
Rencontres lesbiennes limitées
Du coté des aînées lesbiennes, Christine Barthélémy, responsable des Babayagas témoigne qu’au sein de leur groupe, qui compte une dizaine de membres, «il y a une certaine pudeur à aborder le sujet sexualité». Christine confie qu’elle serait désireuse d’échanger davantage à ce propos: «il faut en parler, sortir de l’isolement, y compris sexuel, faire tomber ce tabou. Beaucoup d’aînées souffrent de solitude car elles ne savent pas comment rencontrer des femmes dans la même situation. Certes, il y a des femmes qui sont seules par choix, mais il y en a aussi qui souhaiteraient faire des rencontres.» Alors Christine se pose la question quelles sont les options qui s’offrent à elle et à toutes celles désirant partager leur intimité avec une autre? En d’autres termes : où draguer ? Les lieux festifs sont généralement l’apanage de la jeunesse. Pour Christine, qui participe ponctuellement aux soirées 360° fever, il faut être lucide, «les personnes de mon âge sortent peu dans ces endroits-là. De même, à partir d’une certaine heure, les lesbiennes n’y sont plus très nombreuses».
Les rencontres en ligne, Christine a essayé, mais sans grand succès, «il y a quelques sites de rencontres réservés aux femmes lesbiennes comme Tasse de thé, Gayvox, Lesbienne proximeety ou encore Her en France. Pour quelques-uns de ces sites, il faut se connecter avec un compte Facebook, ce qui peut se révéler problématique pour certaines aînées mois connectées. On retrouve tous les âges, mais il y a peu de profils actifs sur Genève et ses environs. J’ai eu quelques échanges épistolaires mais qui n’ont pas abouti à une rencontre physique. En effet, des femmes choisissent de ne pas révéler leur identité en ligne car elles sont encore parfois mariées ou ne souhaitent pas être visibles.»
Quelles solutions reste-t-il pour les aînées? Les sex-toys, les saunas, le sexe tarifié ou les petites annonces coquines ? Ce sont des outils généralement conçus par des hommes pour des hommes. Christine explique, qu’«il y a quelques saunas à Genève qui sont mixtes une fois par semaine, mais il est plus probable de rencontrer des couples échangistes que des femmes lesbiennes en quête d’aventure. Concernant les relations sexuelles tarifiées, cela existe depuis toujours pour les hommes mais pour les femmes lesbiennes, je ne sais où en trouver. On m’a dit que c’était possible mais encore faut-il avoir le courage de rentrer en contact et de s’exposer».
Dans les EMS
Quid de la sexualité des aîné·e·s et des LGBT vivant dans l’un des 1558 établissements médico-sociaux suisses (EMS)? En 2017, le projet aîné·e·s de l’association 360 dévoilait les résultats de sa pré-enquête sur les besoins des aîné·e·s LGBT à Genève et notamment en EMS. En charge de cette phase exploratoire, Miguel Limpo rapporte que «cette pré-enquête a révélé clairement que la sexualité des aîné·e·s est problématique et plus particulièrement celle des aîné·e·s LGBT». En effet, il y a des enjeux spécifiques en terme de santé (sexuelle) pour les aîné·e·s LGBT. Miguel cite plusieurs exemples «s’agissant des hormones, il y a une vraie méconnaissance du personnel de santé sur cet enjeu. Chez les aînés gays, le taux de VIH reste aussi relativement élevé mais les dépistages sont rares. Les aînées lesbiennes ont souvent plus de problèmes gynécologiques car elles ont moins eu affaire aux questions de maternité, la maternité fait tout bêtement que tu vas plus souvent chez ton gynécologue».
Peu d’EMS osent aborder la question de la sexualité de leurs résident·e·s de manière ouverte. L’intimité sexuelle est souvent négligée par les proches aidant·e·s ou les institutions car elle est perçue comme secondaire. Selon Miguel, la sexualité fait pourtant partie des grands enjeux de demain pour la vieillesse. «En Suisse, on commence doucement à en discuter. Peu formés à ces considérations, les professionnels sont également parfois demandeurs. De plus en plus de colloques sont organisés et des chartes sur le droit à la sexualité sont mêmes adoptées par certains établissements pour guider le personnel de santé.» Le volet opérationnel de la sexualité est particulièrement compliqué pour les personnes partiellement ou complètement dépendantes vivant en EMS. Comme l’explique Miguel, «une chambre en EMS c’est un espace qui ne connaît pas de séparation entre l’intime et le public.
«Lorsqu’on en parle, on a l’impression qu’il n’en existe pas, les LGBT sont invisibles ou incognitos»
Si un·e résident·e arrive à se masturber dans son lit hyper-médicalisé, un·e soignant·e peut arriver à tout moment sans toquer à la porte. La vie privée n’est pas toujours respectée dans les institutions spécialisées. Il y a une tension entre le quotidien des gens et, de l’autre côté, la santé, qui est prioritaire». De plus, avec les limitations physiques et la perte d’autonomie, il peut être difficile de se masturber seul·e. Faire appel à autrui est une solution, mais le nombre d’assistant·e·s sexuel·le·s est limité et les visites des travailleur-se-s du sexe discrètes. La création de chambres intimes est une solution potentielle venant de l’étranger mais qui demeure seulement théorique en Suisse. La plupart du temps, les institutions étrangères fonctionnent avec une liste d’inscription. Miguel souligne qu’il est important que les membres du personnel n’émettent pas de jugement à l’égard des personnes souhaitant utiliser une chambre intime et surtout, ces dernières doivent être ouvertes à tou·te·s les résident·e·s peu importe leurs orientation sexuelle et leur identité de genre. Aîné·e cherche refuge S’agissant de personnes LGBT en EMS, Miguel confie que «lorsqu’on en parle, on a l’impression qu’il n’en existe pas, les LGBT sont invisibles ou incognitos dans ces établissements. C’est une peur pour les aîné·e·s LGBT de devoir retourner dans le placard au moment de l’entrée en EMS».
En organisant des journées de sensibilisation sur l’homosexualité et la transidentité en EMS, Miguel constate que les retours obtenus sont assez illustratifs de la société actuelle : «Il y a autant de résident·e·s qui sont heureux·ses de parler de leur petite-fille en couple avec une fille que de résident·e·s qui ne comprennent pas». Du côté du personnel de santé, Miguel constate que la réponse est souvent générique: «On accueille tout le monde de la même manière! Après, savoir si le personnel et les autres résident·e·s sont réellement prêt·e·s à accueillir un couple homo, c’est une autre question !».
Face à la crainte d’être isolé et stigmatisé, des EMS réservés uniquement aux personnes LGBT émergent un peu partout en Europe. A Zurich, l’association Queer Altern se mobilise depuis 5 ans pour obtenir une maison de retraite arc-en-ciel. En janvier dernier, plusieurs aîné·e·s LGBT ont manifesté devant le Conseil communal de Zurich pour demander à la Ville de soutenir ce projet. Miguel dévoile quelques inquiétudes si ces initiatives ne viennent pas du public, «faire un EMS, c’est coûteux, si ça sort du privé, cela sera forcément hors de prix. Dans les personnes que j’ai rencontrées, je ne peux pas dire qu’il y avait une demande à cet égard. Pour ma part, je préférerais rendre tous les EMS LGBT-friendly plutôt que d’avoir un unique EMS sélectif réservé à une clientèle LGBT fortunée».