Lactation induite: allaiter sans avoir accouché
Pratique courante dans plusieurs communautés à travers l'Asie, l'Afrique ou encore l'Amérique Latine et de plus en plus répandue en Amérique du nord, l’allaitement induit demeure largement méconnu dans notre société.
«Notre imaginaire collectif tend à croire que seule une mère qui a porté l’enfant a la capacité d’allaiter, alors que l’allaitement n’est ni une question de grossesse, ni d’accouchement. Les deux hormones responsables de la lactation, ocytocine et prolactine, ne sont effectivement pas rattachées directement à ces deux expériences», explique Nathalie Lancelin-Huin, psychologue spécialisée en périnatalité en France, auteure de PMA • GPA • Sous X, quelques lettres qui ne disent pas l’essentiel.
L’allaitement ou la lactation induite se définit par le fait de «lancer une production lactée sans grossesse préalable». De nombreuses femmes lesbiennes, trans* ou cis s’apprêtant à devenir mères sans avoir porté leur enfant ne sont malheureusement pas suffisamment informées des différentes possibilités qui leur permettraient d’allaiter. «Les mères qui se lancent dans une telle aventure doivent fréquemment faire face à la méconnaissance et à l’incompréhension non seulement de leur entourage, mais aussi du milieu médical», regrette Vanessa Lasne, animatrice de La Leche League.
«Le principe d’induire un allaitement se fait depuis des siècles»
Lorsqu’elle accompagne des couples de femmes, Tiphaine Folger, consultante en allaitement à Genève, demande à la deuxième maman si elle souhaite allaiter aussi et lui explique comment procéder: «Le principe d’induire un allaitement se fait depuis des siècles, parmi les femmes qui élevaient des enfants qu’elles n’avaient pas mis au monde. Cela consiste à mettre l’enfant au sein, et au bout d’un certain temps, le lait vient, et le système hormonal suit. Des médicaments peuvent rendre cela plus efficace, mais la base de l’induction de l’allaitement est vraiment la stimulation, que ce soit par tire-lait, par le bébé lui-même, ou par stimulation manuelle».
Induire une lactation est en effet possible sans soutien médicamenteux ou hormonal, mais un protocole mis au point par le Dr Jack Newman, pédiatre canadien et référence en matière d’allaitement, permet de favoriser le processus: il s’agit d’associer une pilule contraceptive combinée à la dompéridone, un anti-nauséeux commercialisé sous le nom de Motilium, dont l’un des effets secondaires est d’augmenter le taux de prolactine.
Pour Verena Marchand, directrice suisse de l’Institut Européen pour l’Allaitement Maternel et la Lactation (EISL), ce protocole nécessite toutefois un suivi médical autre que celui d’une sage-femme. «C’est là que commencent les difficultés: la lactation induite n’est pas quelque chose de très connu, et il se peut que cette demande déconcerte le médecin. Trouver un praticien qui pourra vous soutenir et assurer le suivi du traitement peut se révéler ardu. Il est toutefois possible de se passer de ces substances et d’effectuer une stimulation éventuellement associée à la prise de fenugrec, ou d’une autre plante aux effets galactogènes».
Deborah Demeter, maman d’un petit garçon d’un an, aurait souhaité être davantage informée de ces possibilités: «C’est ma compagne qui a porté notre fils, et peu avant l’accouchement, une amie m’a dit: «Deborah, tu pourrais aussi allaiter si tu en as envie!». Ne connaissant pas cette pratique, j’ai été me renseigner sur internet, raconte la jeune maman. Lorsque j’ai vu qu’il était question de traitement hormonal, je ne m’y suis pas davantage intéressée, car à l’époque, j’avais des problèmes de thyroïde et ne voulais pas mettre ma santé en danger».
«Si on avait reçu les informations avant, on aurait pu y réfléchir»
Durant tout le suivi de la grossesse, personne n’évoque l’allaitement induit auprès de Deborah et de sa compagne. «Si on avait reçu les informations avant, on aurait pu y réfléchir, et peut-être choisir cette solution, mais quand l’enfant naît, que c’est le premier, il y a tant de choses à organiser auxquelles on n’avait pas forcément pensé! Être un couple de femmes paraissait déjà un peu extraordinaire aux équipes médicales, même si elles ont été formidables, alors qu’elles me suggèrent d’allaiter aussi… C’est encore une autre étape!», remarque la tessinoise d’origine.
«Après la naissance de notre fils, une amie m’a expliqué qu’en mettant le bébé au sein, après un mois, mon niveau hormonal changerait, mais je ne l’ai jamais fait. La mise en place de l’allaitement était déjà difficile pour ma compagne, alors si ça avait marché avec moi, peut-être que ça aurait été une déception pour elle… Je trouve tout de même dommage qu’il n’y ait pas plus de communication à ce sujet!».
Pour Nathalie Lancelin-Huin, «il y a évidemment des bienfaits dans l’absolu, à envisager un allaitement induit chez la partenaire. Cependant, il faut garder à l’esprit que tous les cas de figures sont possibles, du plus harmonieux au plus catastrophique, avec par exemple un allaitement se passant de manière plus aisée pour l’une que pour l’autre, ou un bébé qui tètera plus volontiers l’une des deux mamans». La psychologue souligne donc l’importance de s’interroger au préalable sur ce que cela implique, humainement parlant, dans le ressenti maternel de chacune. «Ensuite, on peut s’interroger sur nos propres motivations: Pourquoi le fait-on? Pour compenser le fait de n’avoir pas porté? Se soutenir dans l’allaitement? Et pour qui? Pour l’enfant, pour soi, par pression familiale ou sociale? Mais on peut aussi ne rien se demander du tout et le faire juste parce qu’on en a sincèrement envie».