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«Il n’y a pas deux humanités»

Jean Ziegler dessine dans «Chemins d’Espérance» les routes qui nous séparent d’un monde plus égalitaire. Pour 360°, le sociologue genevois se penche sur la question des droits LGBT.

Jean Ziegler fait partie de ces personnes que l’on adore ou que l’on adore détester. Il n’en reste pas moins qu’il est l’une de ces figures qui font briller une forme de diplomatie Suisse engagée, altermondialiste diront certains. Haut rapporteur des Nations unies pour l’alimentation et maintenant vice-président du Conseil consultatif du Conseil des droits de l’homme, Jean Ziegler nous a ouvert les portes de sa maison dans la campagne genevoise. Ouvrir des portes et de nouveaux horizons c’est un peu l’histoire de ce Bernois d’origine. C’est aussi ce qu’il propose dans son nouvel ouvrage Chemins d’espérance paru aux Editions du Seuil. Même s’il n’en est pas directement question dans cet ouvrage, à 83 ans Jean Ziegler a voulu nous donner son regard, forcement acéré, sur les thématiques concernant les communautés LGBT.

360° – Jean Ziegler quelle est votre analyse sur la situation des droits LGBT à travers le monde?
Jean Ziegler – Mon analyse est double et contradictoire. Tout d’abord, il y a une prise de conscience. Il y a un progrès dans différents pays. Pas suffisant. Mais il y a un éveil qui se fait tout de même. La discrimination effrayante, qui va dans certains pays africains notamment jusqu’à la punition pénale et à la peine de mort, était plus répandue auparavant et en Europe notamment. Je pense que si quelqu’un se fait aujourd’hui l’avocat ouvert de ces discriminations ce n’est plus tolérable. Plus personne ne considérerait cela comme un discours acceptable. Il faut réaliser que c’est un discours pathologique qui était parfaitement recevable il y a une génération encore. Et là, il y a donc un progrès. Mais il reste encore beaucoup à faire au niveau institutionnel avec le mariage, l’adoption, etc. Des choses qui vont de soi. Pourquoi une pratique sexuelle déterminerait la plénitude ou la réduction de l’exercice des droits civils et politiques? C’est complètement absurde et pas du tout justifiable. Chaque être humain, du fait qu’il est citoyen de ce pays, je parle ici de la Suisse, a le droit, à égalité avec tous les autres, à l’exercice de toutes les libertés et de tous les droits garantis par la constitution. Point à la ligne. Il n’y a pas à dire: oui mais le mariage homosexuel… oui mais l’adoption c’est pas possible… oui mais la procréation médicalement assistée, etc. De quel droit on limiterait des droits constitutionnels qui ont été votés par le peuple et qui sont valable puisque l’article 4 de la constitution fédérale fixe expressément l’égalité devant la loi? Par quelle aberration une institution, un parlement, une majorité parlementaire ou une autre pourrait réduire un article constitutionnel et le rendre discriminatoire? C’est totalement inacceptable.

– Transposons ces problématiques sur la scène international. La Russie a notamment censuré les propos concernant cette thématique dans le dernier discours de Ban Ki Moon. Comment peut-on avancer dans ce contexte-là?
– Il y a beaucoup de démagogie politique. Vous prenez l’exemple de la Russie, je pourrais prendre celui de l’Ouganda ou d’autres pays. Il y a toute une frange de la classe politique qui joue sur les différences d’une partie de la population. C’est exactement comme la xénophobie. «Un homme est un homme» comme disait Brecht. Il n’y a pas deux humanités. Ce que fait Poutine en Russie, essayant de justifier par la loi une discrimination qui n’a pas lieu d’être, est une pure opération démagogique. Il joue sur cette haine, qui est souvent aussi une haine de soi, l’hono- re et la ratifie pour étendre son pouvoir personnel. Je pense que ce jeu-là: aller dans le sens de la pathologie, de l’obscurantisme et de la folie négationniste et discriminatoire, est un jeu qui finit toujours dans le désastre pour celui qui manipule ce discours. Vous allez me dire cela ne change rien à la souffrance des victimes. Vous comprenez, c’est ça qui est horrible. Le temps. Je peux dire en tant que sociologue, en tant qu’auteur et en tant qu’intellectuel qui réfléchit au monde que ces discours sont condamnés à terme. Mais comme disait Kant «le temps c’est de la vie humaine». Les victimes souffrent atrocement. Maintenant. Renvoyées à la clandestinité, à la sanction pénale, à l’opprobre des contemporains. Il faut vraiment se mobiliser très vite sur le plan international pour venir au secours de ces victimes. Et en contradiction radicale avec ce discours démagogique.

– A Genève, le Conseil des droits de l’homme a voté en faveur d’un expert indépendant pour la protection et contre la violence à l’égard des personnes LGBT. Est-ce que le pouvoir d’une telle personne va au-delà de ce que l’on appelle le naming and shaming? Est-ce que cela peut vraiment faire avancer les choses?
– Bon, d’abord, je vais vous contester. Le naming et shaming, ce n’est déjà pas si mal. C’est déjà d’une force formidable. Je vais vous donner une anecdote. Cela se joue à Paris en 1776, lorsque George Washington a perdu la bataille contre le corps expéditionnaire anglais. Il a envoyé un messager à Philadelphie au Conseil constitutif en disant: «C’est maintenant qu’il faut déclarer l’indépendance des Etats-Unis.» Le 4 juillet 1776. C’est un coup de génie! Dans la défaite, il faut aller à l’offensive. Et les pères fondateurs du Congrès de Philadelphie qui ont proclamé l’indépendance, avec en préambule la première déclaration des droits de l’homme, ont décidé d’envoyer à Paris un des leurs. Benjamin Franklin, un ouvrier d’imprimerie, le seul qui ne soit pas un esclavagiste et un grand planteur, avait pour mission d’obtenir l’alliance du roi de France contre les Britanniques. Et il a réussi avec Lafayette. Un soir, Benjamin Franklin – il a beaucoup écrit à ses deux petits-fils c’est pour cela que l’on a un témoignage direct – dîne au Procope qui existe toujours en plein Saint-Germain-des-Prés avec Madame Brillon de Jouy. Franklin aimait bien les belles femmes. C’est là que se réunissaient les révolutionnaires dans Paris qui bouillonnait treize ans déjà avant l’insurrection de la Bastille. Alors qu’ils dînent, quelqu’un l’approche et lui tire sur le veston. Et dit: «Monsieur Franklin vous êtes un imposteur. Tout le monde vous fête comme le messager des droits de l’homme. Même Voltaire s’est levé sur son lit de mort pour vous accueillir à l’Académie. Mais moi à Paris, je ne vois que misère, abus, humiliation des pauvres. Vos droits de l’homme ce n’est rien du tout.» Benjamin Franklin se tourne alors vers ce jeune homme et lui répond: «Jeune homme, vous vous trompez! Derrière ces droits de l’homme, il y a un pouvoir plus grand que tous les pouvoir du monde. The Power of Shame.» Le pouvoir de la honte. Ce jeune homme, c’était George Danton qui sera un des grands leaders de la révolution. Et je le vois aux Nations Unies tout le temps. Le pouvoir de la honte joue.

«Aller dans le sens de l’obscurantisme est un jeu qui finit toujours dans le désastre.» Jean Ziegler

– J’ai été rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008. En 2005, je préparais mon rapport devant l’Assemblée générale sur les réfugiés de la faim nord coréens en Chine. La Corée du Nord est une prison effroyable, une dictature horrible et inhumaine. Mais malgré tout, quand le Yalou, le fleuve entre la Mandchourie et la Corée du Nord est gelé, des gens réussissent à s’enfuir. Les Chinois ont pour habitude d’arrêter ces gens et de les renvoyer à Pyongyang où ils sont fusillés ou disparaissent dans les camps de concentration. Je voulais dénoncer ça dans mon rapport. Mais pour être sûr je suis monté au 38e étage du bâtiment des Nations-Unies à New York voir Kofi Annan qui était alors Secrétaire général des Nations-Unies. Je lui demande alors si je peux dénoncer ces faits en tant que rapporteur ou est-ce que cela gêne sa propre diplomatie secrète? Et Kofi Annan me dit: «Vous pouvez le dire. Vous devez le dire. J’ai négocié pendant 4 ans avec les Chinois pour qu’ils ne livrent pas ces réfugiés de la faim au régime nord coréen. Il n’y a plus rien à faire, vous devez rendre public ce crime.» A 15 heures, je suis descendu dans la salle et tout à coup je vois quelqu’un qui s’agenouille discrètement à côté de moi et me dit: «Ce point 5 de vos recommandations je vous prie de ne pas en parler. Nous devons en parler. Je vais vous expliquer.» C’était l’ambassadeur de Chine. L’ambassadeur de Chine, 1,3 milliards, d’habitants, s’agenouille à côté de moi petit rapporteur qui n’a aucun pouvoir et me supplie de ne pas aborder un paragraphe dans mon rapport. C’est le pouvoir de la honte!

«Karl Marx a dit: Le révolutionnaire doit doit être capable d’entendre entendre pousser l’herbe.»  Jean Ziegler

– J’ai évidemment mentionné ces éléments puisque le Secrétaire général me l’avait demandé. Le crime continue mais au moins la transparence a été créée. L’expert indépendant pour la protection et contre la violence à l’égard des personnes LGBT représente une grande conquête contre certains pays musulmans avec des négociations sans fin. Là les occidentaux ont été bons. Notamment la Suisse a été bonne avec son ambassadeur Alexandre Fasel. Son travail honore la Suisse. Les Poutine ou le gouvernement de l’Ouganda ne vont pas se réveiller demain matin, s’illuminer et se dire «on fait fausse route, les victimes ont raison et pas nous»! Non. Mais de recommandation en recommandation, de débat en débat devant le Conseil des droits de l’homme et devant l’Assemblée générale, les choses avancent et font progresser les consciences. Plus personne n’oserait dire que c’est la fatalité qui tue. Karl Marx a dit: «Le révolutionnaire doit être capable d’entendre pousser l’herbe.» Et cette herbe, elle pousse!

– Les Etats-Unis sont leader sur la progression des questions LGBT. Avec l’élection de Donald Trump nettement moins sensible à ces questions, et c’est un euphémisme, qui peut prendre le relais? La société civile?
– Les mouvements pour l’égalité aux Etats-Unis sont admirables. Ce sont des gens qui se sont battus et qui vont sans doute continuer à se battre. Cette société civile va amplifier son action. Un discours comme celui de Trump est mobilisateur pour la résistance, c’est horrible de le dire. Je pense que l’espoir est là. Comme c’est une démocratie simulative mais élective (le vrai pouvoir ce sont les milliardaires qui l’ont, même si le pouvoir d’État fonctionne par élections) et bien si la conscience collective change, alors le comportement électoral va changer. Cette classe politique, je n’ose même pas parler d’élite, est sensible aux forces électorales. Et je suis vraiment plein d’espérance que ces gens-là, qui ont obtenu des victoires dans des situations puritaines, de refus et de pathologie sociale vont forcer cette résistance à s’amplifier face à Trump. Car Trump, lui, ne va pas changer.

– Terminons sur un «chemin d’espérance», du nom de votre dernier ouvrage. Celui de voir que dans toute situation de prime abord négative, il y a aussi parfois des externalités positives.
– Oui et sur la question des discriminations sexuelles, qui est, je le répète, d’une totale absurdité, il y a des progrès. Et surtout la conscience chez beaucoup de gens que c’est une lutte d’avant-garde. Ce qui est impliqué c’est beaucoup plus, même si c’est déjà pas mal, que le respect égal pour tous les êtres, l’égalité devant le droit quelles que soient leurs préférences sexuelles. C’est une lutte qui profite finalement à tous ceux qui souffrent d’inégalité, de discrimination sociale, politique ou religieuse. Au Conseil des droits de l’homme, l’opposition l’a tout de suite compris. C’était l’Arabie Saoudite, c’était le Koweït, c’était les Emirats Arabes Unis, c’était le Bangladesh qui se sont battus contre toute norme et contre la création de cet expert sur les minorités sexuelles sachant très bien que s’ils perdaient sur la protection de leur pathologie, cela toucherait tout le champ social. Et que ce qui allait être mis en lumière et ensuite en question radicalement c’est l’inégalité des revenus, c’est le système féodal, c’est l’arbitraire de ces monarchies obscurantistes. Ce ne sont pas des imbéciles. Ils ont compris que s’ils cédaient sur le droit à discriminer, si j’ose dire, tout le reste allait suivre. Nous sommes des obligés. Nous devons être reconnaissants et admiratifs de ceux qui dans des situations très difficiles – familialement, psychologiquement, politique-ment et institutionnellement – ont mené et continuent de mener ce combat car ils sont l’avant-garde d’un mouvement beaucoup plus vaste. L’inégalité, l’injustice, le préjugé, la discrimination, la diffamation sont des pathologies sociales qui affectent tout le corps social bien au-delà de ces minorités combattantes.

» Chemins d’Espérance, ces combats gagnés, parfois perdus mais que nous remporterons ensemble de Jean Ziegler, aux Editions du Seuil