Riga à l’heure de l’Europride
C'est la capitale lettonne qui battra au rythme de la pride européenne cette année. Une manifestation qui ne sera pas que de la rigalade...
Du 15 au 21 juin Riga, capitale de la Lettonie accueillera l’Europride 2015. Depuis janvier, le pays exerce la présidence tournante du Conseil de l’UE et se sait par conséquent, sous les yeux attentifs des médias occidentaux. Organisatrice de la manifestation, Mozaika, seule organisation LGBTI de Lettonie, compte bien mettre à profit cet élément afin de garantir la bonne tenue et la sécurité de cet événement. Elle attend de nombreux participants étrangers et les principaux sponsors sont l’Ambassade des Etats-Unis et celle des Pays-Bas…
Houspillés
Les précédentes prides de Riga ont été passablement houspillées par des opposants à leur déroulement. Lors de la première, en 2005, le défilé a été spontanément agressé par des passants et le cortège a dû, comble du sort, se réfugier dans une église avant que la police n’intervienne. Les suivantes ont simplement été soit interdites, soit se sont déroulées à huis clos, au sein d’hôtels ou encore de parcs fermés au public… Ces précédents ont provoqué un schisme dans le mouvement LGBTI, notamment en ce qui a trait aux revendications des droits ainsi que de l’attitude à tenir à l’égard des autorités du pays.
Rappelons justement les déclarations du président, Andris Bērziņš, en janvier, que l’homosexualité ne «devait pas s’afficher ni s’imposer» et que cela consisterait «à mener nulle part». En revanche, le ministre des Affaires étrangères letton, Edgars Rinkēvičs, a fait courageusement son coming-out sur Twitter, en novembre dernier. Une première dans l’espace post-soviétique! Néanmoins, et si l’on se réfère au dernier Eurobaromètre portant sur la matière (EBS 393-2012), la Lettonie plonge au dernier rang de la cohorte européenne quant à la perception des personnes LGBTI.
Sous occupation
Il est important de rappeler – sans pour autant le défendre – que le pays a subi une occupation soviétique lourde et douloureuse pendant plus de cinquante ans et que dans la tradition de l’URSS, gays, lesbiennes & co. n’existaient simplement pas. Un des effets de cette période a été l’absence de constitution d’une communauté de destin LGBTI. Les stigmates de cette occupation ont tendance à saigner de temps à autres et déchirent encore le pays, surtout dans sa population. Quelque 26% de celle-ci est russophone et un tiers de ceux-ci sont privés de nationalité. Malgré tout, il est intéressant à noter que les Lettons nationalistes et les Russophones kremlinistes qui, en temps de paix, au mieux s’ignorent, au pire s’insultent, ont lors des précédentes prides, trouvé une certaine unité contre les «piderasts», une forme de front commun national dans la haine.
La cristallisation des médias locaux à l’endroit des prides a mené à des contre-manifestations monstrueuses (jets d’excréments) ou cocasses (bigotes en furie arrosant d’eau bénite les voitures des participants) qui n’ont pas laissé l’opinion publique – surtout étrangère – indifférente. Le pays a été plusieurs fois rappelé à l’ordre par le Conseil de l’Europe et son commissaire aux Droits humains, lui-même letton…
Il arrive souvent d’entendre dans ces contrées baltes un discours qui va comme suit: «Tu sais, moi je déteste les pédés. Je trouve ça répugnant. Moi, je suis un mec, un vrai. Ah, t’es pédé?! Mais non, pas toi !? Ah, mais toi, c’est différent, t’es mon pote.» Ce propos peut faire bondir nombre de personnes hors de leurs gonds en Europe occidentale, mais lorsque l’on connaît l’histoire de ces pays, il s’agit presque d’un progrès… Toute l’Europe ne vit pas sur le même fuseau horaire historique et sensible. C’est pour cela que lorsque la tenue d’une pride en Europe occidentale s’apparente, si l’on force le trait, davantage à une douce fête de joyeux drilles où les grand-mères amènent leurs petits enfants au carnaval. Toutefois, en Europe centrale et orientale, une pride est un véritable acte de militantisme, de sensibilisation et de combat pour les droits LGBTI. De ce fait, il est plus que jamais nécessaire de participer massivement à cette Europride en soutien à la communauté, pour la sensibilisation de la population ainsi que pour découvrir cette magnifique ville et ses habitants qui, loin d’êtres tous des rétrogrades, comptent également des individus tolérants, créatifs, dynamiques et sincères. Bref, Laipni lūdzam uz Rigu!
Jean-François Delangre est chercheur invité à l’Université de Lettonie
Des bâtons dans les roues
Des embûches se dressent sur la route de la marche des fiertés européenne dans la capitale lettone, rapporte Yagg. Des associations tentent ainsi d’occuper la rue sous les prétextes les plus divers. Ainsi un groupe nommé Antiglobalisti a réussi à inscrire auprès des autorités un pseudo événement «de promotion des drogues et des perversions» quelques jours avant que le festival LGBT dépose sa propre demande. Un autre mouvement veut installer un rassemblement consacré à la défense des valeurs familiales pendant le week-end. Objectif: couper l’herbe sous le pied des organisateurs de l’Europride, qui ont saisi le Conseil municipal. A.G.