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Carouge aux rythmes de Pagani

Carouge aux rythmes de Pagani
Le «chanteur pèlerin» Vincenzo Romano. Photo: Irina Popa/Printemps Carougeois

Carouge a pris des airs napolitains lors d’une soirée qui a interrogé la place des rites ancestraux italiens dans le monde contemporain. Ces traditions immémoriales peuvent servir à mieux questionner les binarités aujourd’hui. 

Carouge, surnommée la Cité sarde – par son basculement dans le royaume de Piémont-Sardaigne au XVIIIe siècle, son architecture italienne, la liberté religieuse exceptionnelle dont elle a fait preuve pour l’époque et sa mentalité méditerranéenne, qui ont tant contrasté avec le rigorisme de la cité de Calvin – a résonné de sons et d’énergies ancestrales et vibrantes en provenance de Naples, le soir du 11 mai.

On y a notamment discuté des figures des femminielli, ces personnes assignées hommes à la naissance qui assument socialement des rôles de genre et des expressions conventionnellement considérées comme «féminines» dans la région de Naples. Par leur position sociale particulière, les femminielli prennent part aux rites de la collectivité (naissances, baptêmes, mariages, funérailles), occupent des fonctions de care, et sont liés au monde du spectacle et de la chance (tombola). 

Ce phénomène social et culturel est en voie de disparition dans la société napolitaine. La plupart des personnes de la diversité sexuelle et de genre s’inscrivent autrement dans le contexte socio-culturel de la ville méditerranée et iels ont recours à d’autres terminologies pour se définir et vivre autrement leurs identités. Aussi, le terme femminielli est-il aujourd’hui utilisé comme insulte, à l’instar de «faggot» ou «tapette», même si certain·e·x·s se réapproprient ce nom, renversant ainsi le stigma.

Traditions païennes
À l’occasion de la 58e édition du Printemps Carougeois organisée par la Ville de Carouge et placée cette année sous le thème des «rites et rituels», le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève, dont le siège est actuellement à Carouge, en partenariat avec le festival Everybody’s Perfect et l’Antenne LGBTI de l’Église protestante de Genève, ont présenté le film-documentaire Pagani (2016), de la réalisatrice Elisa Flaminia Inno, qui a été suivi d’une table ronde et d’un concert.

Au pied du Vésuve, à Pagani près de Pompéi (Naples, Italie), une communauté de fidèles de Notre-Dame-des-Poules (Madonna delle galline) perpétue les anciennes traditions païennes mêlées d’éléments chrétiens. Ces rites et rituels collectifs et populaires, guidés par les femminielli, célèbrent la Vierge ainsi que le passage des saisons, avec des chants et des danses ancestrales à la force cathartique. À cette occasion, les femminielli mettent également en scène de manière théâtrales des étapes du cycle du vivant. 

Image du film Pagani

À partir du contexte spécifique de ce film-documentaire, lors de la discussion qui a suivi, il a été question de musique populaire, de spiritualité, de traditions, de cérémonies païennes et religieuses, et dans le cadre de ces dernières, de l’inclusion/exclusion des personnes ayant une orientation sexuelle et/ou affective, ainsi qu’une identité et/ou expression de genre différente de la «norme» majoritaire.

La tammorra, instrument de libération
Le «chanteur pèlerin» Vincenzo Romano, qui joue dans le film et a animé un concert sur la place du Temple de Carouge, a détaillé que la tammorra est un instrument de musique qui s’inscrit dans la tradition agricole. Il reprend la forme du tamis, utilisé pour trier le grain. Employé pour purifier ce dernier, il devient un instrument de musique et de libération du corps. Par ailleurs, la tammorra est décrite comme un objet reliant à la terre tout en menant simultanément dans une dimension supérieure, céleste. Mélange de sacré et de profane, des danses du monde antique se lient au monde chrétien, notamment au culte de la Vierge Marie. La sexualité, comme la fertilité, la nature, l’identité et/ou l’expression de genre sont toujours liées à la danse de la tammorra, dite tammurriata. Cette danse célèbre la terre et témoigne de la liberté, notamment sexuelle. Elle représente et raconte des rencontres et des désirs, et permet une nouvelle façon d’être ensemble et au monde.

Par ses rythmes, son énergie circulaire, ses fréquences qui parlent au plus profond des corps, la musique a le potentiel de rassembler et d’annuler les binarités. Mais, lors de ces rituels à la Vierge (anciennement à des déesses païennes), quelle place est accordée aux personnes de la diversité sexuelle et de genre, tout particulièrement aux femminielli dans la région de Naples?

Federica Tamarozzi, ethnologue et conservatrice responsable du Département Europe au Musée d’ethnographie de Genève et chargée de cours à l’Unité d’histoire et d’anthropologie des religions de l’Université de Genève, a contextualisé le phénomène social et culturel des femminielli. Elle a souligné le fait que les traditions et rituels sont dynamiques et en perpétuel mouvement, intégrant de nouveaux éléments ou en retirant certains au cours du temps. Les femminielli aussi n’ont cessé de s’adapter à des réalités mouvantes et à de nouveaux modèles. De même, il n’y a pas une, mais des communautés de femminielli, dont chacune a ses particularités. Elles font partie du tissu social, mais leurs positions ne sont pas sans difficultés. Leur acceptation se fait dans un cadre spécifique et tant que certaines conditions et règles sont respectées.

À ce propos, la réalisatrice Elisa Flaminia Inno, qui a vécu deux ans dans la ville de Pagani avant de réaliser son film-documentaire, a souligné le rapport ambivalent que l’Église catholique de la région napolitaine a entretenu et entretient toujours avec les femminielli. Juste après la sortie du film, qui a eu une forte couverture médiatique, l’Église a publié un manifeste annonçant qu’elle ne soutenait plus ce projet. Bien que les femminielli soient inclus·e·x·s dans les familles et au cœur des rituels dédiés à la Vierge, notamment en tant que maître·sse·s de cérémonie, l’Église s’est trouvée acculée lors de leur représentation et de leur visibilité au-delà du contexte spécifique de Pagani.

Quel(s) futur(s) pour les femminielli?
Adrian Stiefel, responsable de l’Antenne LGBTI Genève et chargé de ministère à l’Église protestante de Genève, a mené le débat sur une actualité plus locale, en signifiant comment les religions et les Églises, tout en étant des terrains d’inclusion, sont en même temps, et depuis toujours, des terrains d’exclusion de la différence. Le projet de loi déposé récemment auprès du Grand Conseil par le Conseil d’Etat genevois visant à interdire les prétendues «thérapies de conversion» témoigne d’avancements sociétaux, mais aussi d’un phénomène encore bien réel, surtout dans les milieux religieux, visant à amener une personne, au nom de «valeurs religieuses», à changer son orientation affective et/ou sexuelle, son identité et/ou expression de genre, ou encore à réprimer les comportements sexuels non hétérosexuels.

À ce stade, un grand nombre de questionnements restent ouverts: de quelles manières ces rites et rituels ancestraux ont/vont-ils se modifier dans le temps? Quelles places réservent-ils aux personnes ayant une orientation sexuelle et/ou affective, ainsi qu’une identité et/ou expression de genre différente de la «norme» majoritaire? Dans les sociétés où dominent le capitalisme et les valeurs individualistes (malgré les traditions d’entraide qui ont eu un rôle fondamental dans les sociétés agricoles), quelle place sociale est réservée aux femminielli?

De nouvelles recherches anthropologiques et théologiques, au croisement des religions, des arts, des sexualités et de la musicologie seront les bienvenues pour améliorer la compréhension, écrire l’histoire et garder la mémoire de ces phénomènes sociaux, culturels, sexuels et sexués, de Naples comme d’ailleurs. En attendant, et pendant les quelques heures de la soirée carougeoise, les rythmes de la tammorra ont su emporter le public et brouiller les frontières, déroutant les identités sexuelles, de genre, sociales, économiques, géographiques, religieuses et culturelles, tout en interrogeant le monde d’aujourd’hui.

ACTIVITÉS EN COURS AU CMCSS

Exposition Presse gaie
Du 17 mai au 30 juin 2023
Mardi-vendredi 9h-18h
Visite guidée (sur inscription): le 21 juin à 12h15

Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève (CMCSS)
Campus Battelle, Bât. A
Route de Drize 7, 1227 Carouge
unige.ch/cmcss