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Dans un nouveau livre, le théoricien Sam Bourcier s’attaque à la normalisation homo à l’œuvre dans l’ère néolibérale. Il ouvre aussi des brèches où puiser une force de subversion reboo(s)tée.

La couverture kitsch de «Homo.Incorporated» tape à l’œil ou pique les yeux, c’est selon. Dessus, une licorne queer se cabre, en colère: elle a digéré l’imprononçable LGBTQI + OC (Of Colors), ce label alphabétique en extension censé faire «communauté». La créature pète désormais cet étendard arc-en-ciel que l’auteur voit comme dépossédé de sa force contestataire, endormi, rabougri, ravalé par le bulldozer néolibéral.

Intérieur queer
sam-bourcier-livreLes pages servent une lecture dense, fluidifiée par l’utilisation annoncée de l’argot, mi-rafraîchissante, mi-racoleuse. Grammaire et orthographe sont sciemment re-genrés façon transféministe, selon la position d’énonciation et du/des genres de celles ou ceux de qui l’on parle. La forme est queerisée, donc. Le fond, aux ambitions analytiques systémiques, est forcément exigeant. Il est bâti par des aller-retours précis entre l’héritage des savoirs théoriques (Wittig, Foucault, Butler…), des vagues de féminismes plurielles et de la théorie du genre, revisités, challengés par les pratiques et les savoirs queer contemporains utilisés comme des outils critiques.

Attention à bien s’accrocher au crin de la licorne radicale. Il faut dire que le constat est rude, comme l’époque. On était prévenus en quatrième de couverture: «Mariage, procréation, travail, patrie, les gais et les lesbiennes sont entrés dans la sphère de la reproduction et de la production.

«Management de la diversité»
Que reste-t-il du sujet politique LGBT lorsqu’il est défini par le droit et le «management de la diversité»? «Pas grand chose», démontre Sam Bourcier tout au long de la première partie de l’ouvrage, à partir d’une réactualisation du triangle biopolitique du philosophe Michel Foucault. Biopolitique? Quoi ? C’est l’ensemble des technologies tournées vers le maintien de la vie (juridiques, sécuritaires, médicales, politiques, de surveillance…) qui exercent une nouvelle forme de pouvoir sur les individus (biopouvoir) à partir du XVIIIe siècle. Dans nos sociétés modernes, la biopolitique discipline les corps et contrôle les populations. Elle agit en eux par les normes. Or, Bourcier argumente qu’à force de se focaliser sur l’égalité, les «gays et les lesbiennes, les bons homos, sont devenus une population consentante (…) une force productive, une multiplicité inerte». En acceptant un épanouissement calqué sur le modèle hétérocentré, les sujets LGBT recodifiés par le droit jouent à plein le jeu du marché. On est passé du «out» au «in»: après les luttes libératrices, c’est l’ère du pinkwashing, de l’homo-economicus. Pire! Ce fameux homo-incorporated. La pseudo-communauté normalisée quand elle n’est pas marketée, défend les privilèges d’un agenda de luttes devenu «rikiki» au détriment d’autres minorités en son sein, racisées, trans, putes et pauvres, dont elle reproduit l’exclusion.

On fait quoi, Sam?
Sans droits, on fait comment ? Bourrés de désirs contradictoires, on tient comment dans et hors du système? Bourcier se défend d’opposer les bons homos- voire les bons trans, même- aux queers et aux transféministes. Il s’agit de «positions» plus que de personnes. Or l’activiste veut «définir des options que tout le monde peut choisir».

On aurait parfois envie d’objecter à Bourcier: est-ce qu’on peut vraiment «choisir» quand on n’a précisément rien, ou si peu, et qu’on désire, par exemple, s’affirmer dans un genre gérable socialement? Pas sûr. Politiquement, plus que d’exiger la simple égalité et l’intégration, Bourcier suggère des ambitions de justice sociale et de redistribution économique plus large. La recherche d’une éthique non privative, éminemment collective, collaborative et politique. Pour documenter son propos, en bon enseignant dissident, il mobilise
à dessein les savoirs d’«en-bas»: films, fanzines, manifestes et autres performances. Il tire sur le levier des savoirs des premières intéressé-e-s, issus de leurs expériences. Et de dénoncer l’arrogance et l’imperméabilité universaliste de l’académisme à la française. Bourcier puise dans sa propre expérience transformatrice au sein du collectif queer italien Smaschieramenti: «la réflexion sur la précarité et le consumérisme gay» est centrale dans des mouvements queer italiens, davantage encore touchés par la crise.

Pas étonnant que l’entremêlement avec les questions du travail y soit devenu fondamental. Le genre n’est plus seulement une performance, une construction que l’on (re)jouerait à l’infini dans toutes les sphères de nos vies, mais bien une production continue. Le genre est un travail. Et si le genre est un travail, alors il faut faire la grève. Et à l’heure où l’on éprouve l’extrême limite du capitalisme, la grève du genre est présentée comme un puissant outil d’autodétermination (empowerment) collective pour «déclencher du travail contreproductif». Une désoccupation. En somme, une logique de dé-possession de la capture du néolibéralisme, pour lui opposer de nouvelles formes de résistance.

BIO EXPRESS

Sam Bourcier enseigne à l’université de Lille et à l’eHeSS Paris. en créant le premier collectif queer Le Zoo en 1996, il fait entrer la théorie queer en France. Après la trilogie Queer Zones, politiques des représentations et des savoirs, Homo Inc.orporated est son dernier ouvrage sorti en 2017 aux éditions Cambourakis, dans la non moins féministe collection Sorcières. A lire sur le même thème : Alain Naze «Manifeste contre la normalisation gay», éditions La Fabrique, 2017.