La somme de mes incompétences
Je repense à Aline dans le bus pour aller à l’école. On a quinze ans
Je repense à Aline dans le bus pour aller à l’école. On a quinze ans et elle hurle à la cantonade: «Hier mon mec s’est fait une branlette espagnole.» La branlette, je capte. Mais espagnole? En plus je m’appelle Gonzalez, je devrais savoir. L’Atari familial est dans le couloir, on est sur Netscape Navigator 2.0 avec un modem qui hurle à la mort à chaque connexion, bref: pas moyen de chercher. Donc niveau sexe, j’ai commencé à me sentir incompétente à l’âge de quinze ans.
Je repense à Valérie dans son break orange. On a vingt ans et on roule jusqu’à Berne sans avoir rien dit à nos mecs histoire de s’acheter incognito un vibromasseur. Alors qu’elle parque son vieux tank derrière le sex-shop, elle me confie, songeuse: «J’hésite avec les boules de Geisha.» Les boules, je capte. Mais de Geisha? Je vérifierai plus tard sur Yahoo avec mon iMac turquoise. Donc niveau sexe, je continue à me sentir incompétente à vingt ans.
À vingt-cinq ans, forte et fière de ma première expérience lesbienne, je peux enfin épater mes copines hétéro qui n’ont jamais regardé de près une autre vulve que la leur. Par contre, le Gouinistan observe mes premiers pas dans le royaume avec une légère tendresse, «la pauvre, elle a tant tardé». Oui, bon, ça, c’est dans ma tête. Dans ma tête d’incompétente donc.
Admettre qu’on ne sait pas tout, qu’on doit apprendre, qu’on a foiré, qu’on a mal géré, qu’on est en retard, qu’on a pas envie, c’est possible et valorisé quand tu parles de ta déclaration d’impôts. Mais en matière de sexe, alors là non-non-non, il faut un double Master ès Cul spécialisation coïto-désirabilité. Vivement qu’on se vante dans le bus de la somme de nos incompétences. Bon, je vous laisse, je dois juste aller vérifier un truc. («OK Google, c’est qui Geisha?»).