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My beautiful Britain

Près de vingt ans après le film «My beautiful laundrette», les Pakistanais homos qui vivent en Grande-Bretagne sont confrontés à un double problème: l’hostilité de leur propre communauté vis-à-vis de leur mode de vie et le soupçon qui pèse, contexte politique oblige, sur les communautés musulmanes.

En pleine Angleterre Thatchérienne, le film My Beautiful Laundrette employait les mots justes, les mots qui font mal d’Hanif Kureishi pour décrire le racisme quotidien envers les immigrés pakistanais: 1985, une bande de skinheads dans une rue triste de la banlieue sud de Londres s’attaque à un ancien membre de leur bande, devenu trop proche d’un Pakistanais: «Pourquoi tu travailles pour ces gens, ces pakis? On les a fait venir pour travailler pour nous, pas le contraire.»
Un capuccino Starbucks à la main, le sourire chaleureux, Adnan Ali semble vivre à des années-lumières de cette époque glauque. Décorateur de théâtre trentenaire, il est Pakistanais, vit à Londres et sort depuis trois ans avec un «Européen», de mère suisse et de père portugais. Alors qu’il y a vingt ans, Omar et Johnny devaient s’abriter derrière le miroir sans tain de leur «beautiful laundrette» pour s’embrasser, eux ne se cachent pas lorsqu’ils se retrouvent dans la rue.
Tranquillité apparente? Dès son arrivée en Grande-Bretagne, il y a sept ans, Adnan a pourtant pu s’apercevoir que, lorsqu’on s’éloigne du centre de Londres, cette ville cosmopolite, le racisme, les discriminations et les frictions au sein même de la communauté pakistanaise sont loin d’avoir disparu. En 1999, il fonde la première association britannique pour les gays musulmans, Al Fatiha UK, un poste qui lui a permis de mieux comprendre les difficultés quotidiennes.
Son premier constat: pas de doute, en Grande-Bretagne le racisme plane toujours. Même si les skins étaient très présents dans My Beautiful Laundrette, le parti d’extrême droite britannique, le British National Party (BNP), n’avait pas un grand poids politique à l’époque du film. Mais aujourd’hui, ses membres remportent un nombre croissant d’élections locales et, à cause d’un système électoral peu favorable, le parti n’est pas encore représenté au parlement. Parmi les cibles des racistes, les musulmans pakistanais sont bien souvent en première ligne.

Menaces
La crainte du terrorisme et les arrestations de plusieurs britanniques musulmans en relation avec des tentatives d’attentats donnent une vision négative de l’Islam que certains se font une joie de transformer en véritable «islamophobie». Un phénomène qui se retrouve au cœur même de la communauté gay: «Depuis le 11 septembre 2001, l’islamophobie a augmenté contre les gays musulmans au sein de la communauté homosexuelle britannique, en majorité blanche et laïque», note Andrew Yip, maître de conférence à l’Université de Nottingham Trent et spécialisé dans les rapports entre homosexualité et religions. Il perçoit les jeunes britanniques, musulmans et homos comme faisant partie d’une «minorité parmi la minorité» souvent condamnée à un jeu d’équilibrisme difficile entre Orient et Occident, Islam et athéisme, une vision que partage Adnan.
Au-delà du racisme envers les Pakistanais, le film My Beautiful Laundrette dévoilait également à quel point l’homosexualité était taboue au sein de la communauté pakistanaise. Plus de vingt ans plus tard, cela n’a pas beaucoup changé. Dès la création d’Al Fatiha UK, Adnan a reçu personnellement de nombreuses menaces et coups de téléphone abusifs en provenance de musulmans britanniques. Le pire a été atteint lorsqu’en 2001 un groupe d’extrémistes musulmans basé en Grande-Bretagne, Al-Muhajiroun, a proclamé une fatwa – un décret religieux – contre l’association: Après avoir qualifié les membres d’Al Fatiha d’infidèles, il déclarait: «Jamais un tel groupe ne sera toléré dans l’Islam.»
Face à ces attaques, l’association s’est faite plus discrète et n’annonce plus à l’avance les lieux de ses rencontres. Mais Adnan a décidé de rester en première ligne et de continuer à dire ce qu’il pense, quitte à fâcher: «Lors d’une émission de radio, un britannique d’origine pakistanaise a affirmé que l’homosexualité était une maladie de l’“homme blanc”. Beaucoup ont été surpris que j’ose lui répondre que son opinion était fausse. En effet ce n’est pas parce qu’on parle ouvertement d’homosexualité à l’Ouest, du moins sans interdiction, qu’il s’agit d’une “spécialité” occidentale», raconte-t-il.

Mariage à la rescousse
Adnan est bien placé pour le savoir. Lui a grandi à Lahore, Pakistan, un pays où l’homosexualité est encore interdite à la fois par la loi civile et la loi religieuse, la charia. Mais contrairement à ce que voudraient laisser croire les autorités pakistanaises, il y a bien des homos au Pakistan, même s’ils sont très rarement «out». Parmi les amis gays d’Adnan, beaucoup sont mariés tout en continuant à entretenir des relations homosexuelles. Leurs familles ferment les yeux car, grâce au mariage, l’honneur est sauf en apparence.
Adnan affirme avoir toujours su qu’il ne pourrait jamais vivre dans le mensonge. Lorsqu’il retourne au Pakistan pour des vacances, il ne crie pas sur tous les toits qu’il est homosexuel, mais ne la cache pas non plus. Une liberté relative qui lui est permise uniquement parce qu’il n’habite plus là-bas. Au Pakistan comme dans la communauté pakistanaise britannique, beaucoup de ses amis hétéros pensent que c’est l’influence occidentale qui l’a rendu homo. «Personne ne veut reconnaître qu’il y a des homos pakistanais et que moi-même j’étais gay avant de partir», explique-t-il.
La situation reste difficile au Pakistan, mais depuis qu’Adnan a quitté le pays, l’apparition d’Internet a entraîné une petite révolution chez les jeunes, leur permettant de se rencontrer ou tout simplement de savoir qu’ils ne sont pas seuls. Une chance qu’il n’a pas connu: «Pendant toutes ces années, il n’y a pas eu une seule personne pour me dire: “Peu importe ta sexualité, tout ira bien.” Parfois je suis très en colère en pensant à l’adolescence que j’aurais dû avoir», raconte Adnan dans un de ses rares moments sombres.
Même s’il se sent bien aujourd’hui dans sa vie londonienne, cette blessure ancienne qu’il ne veut pas voir imposée à d’autres ainsi que la volonté de combattre l’islamophobie en Grande Bretagne le poussent à témoigner et débattre sans cesse, en Europe comme au Pakistan. Face à ce dernier combat, Adnan fait preuve du même optimisme généreux que pour la vie en général: «Nous, les homos musulmans, avons été opprimés tellement longtemps à cause de notre sexualité que défendre notre religion n’est finalement qu’une bataille de plus.»