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mer 15 mai - sam 25 mai

Nike piégé à Vienne

Cet automne, un collectif d’artistes a fait croire aux Viennois qu’une place de leur ville allait être rebaptisée «Nikeplatz». Caricaturée dans sa stratégie publicitaire, la multinationale dépose plainte mais se fait prendre à son propre jeu.

L’histoire commence début octobre, lorsque les Viennois découvrent qu’un étrange pavillon, baptisé «nikeground – rethinking space», a pris ses quartiers sur Karlsplatz, l’une des plus importantes place de la ville. Il les informe qu’au 1er janvier 2004 leur célèbre place s’appellera dorénavant «Nikeplatz» et qu’en guise de sculpture, un gigantesque «swosh» rouge de 18 mètres par 36 trônera en son milieu. Dans le pavillon, une maquette en 3D en fait la démonstration et des hôtesses, tout de Nike vêtues, expliquent encore aux visiteurs que la légendaire marque Nike sera désormais présente partout dans les rues, les places, les parcs et les boulevards, créant ainsi «l’événement culturel de 2003 » à Vienne. Ils apprennent aussi que des Nikesquare, Nikestreet, Piazzanike, Plazanike ou Nikestrasse fleuriront dans toutes les grandes capitales du monde ces prochaines années!
Quelque 100’000 flyers sont aussi distribués dans les rues pour annoncer les grands changements sur Karlsplatz. Et comme pour donner du crédit supplémentaire à la nouvelle, un site Internet très design (nikeground.com) fait même la promotion internationale de l’opération, annonçant qu’elle va s’étendre à Rome, Paris, Londres, Toronto, New York, Chicago, Los Angeles. Des lettres de Viennois, indignés de savoir leur ville bientôt «bradée à une multinationale», arrivent à la mairie et auprès des journaux locaux. Nike est alors contraint de réagir: «Cette opération est un faux; nous n’avons rien à voir avec cela. Elle porte atteinte à notre copyright», explique à la presse autrichienne une porte-parole de la firme.
Domaine public?
Les autorités viennoises et les médias ne tardent pas à découvrir qui se cache derrière cette opération: non pas la grande multinationale, ni «la Caméra invisible» d’un Jacques Rouland autrichien, mais une organisation au nom imprononçable, 0100101110101101.org. Il s’agit d’un collectif d’artistes subversifs majoritairement italiens qui «utilise des tactiques non conventionnelles de communication pour obtenir la visibilité la plus large avec un minimum d’efforts », selon la définition qu’il donne de lui-même sur son site Internet. Un art en trompe-l’œil qui se joue de tout le monde: d’ailleurs, même certaines des lettres de Viennois envoyées aux journaux s’avèrent de son propre cru!
«Le but de nikeground était de créer une grande performance urbaine, une sorte de show théâtral», lit-on encore sur le site de 0100101110101101.org. «On voulait produire une hallucination collective capable de toucher à la perception que les Viennois ont de leur ville au plus profond d’eux-mêmes.» Une démarche entreprise en collaboration avec Public Netbase, une institution viennoise qui promeut la webculture et dont les crédits, comme ceux de nombreux acteurs culturels autrichiens, ont été définitivement coupés depuis le passage au pouvoir de Jörg Heider. Konrad Becker, le directeur de Public Netbase, explique: «C’est notre rôle d’intervenir dans l’espace urbain et médiatique pour mettre en évidence la question de la domination symbolique des intérêts privés dans l’espace public. Nous considérons nikeground comme une manifestation de la liberté artistique de manipuler les symboles de la vie de tous les jours.»
Car n’est-ce pas ce que cherche précisément Nike dans ses campagnes publicitaires universelles? Dépasser la notion même de marque pour devenir un symbole banalisé de nos vies quotidiennes, et cela à l’échelle de la planète? Les auteurs du canular viennois le savent trop bien et ce n’est pas un hasard s’ils ont choisi d’attaquer la firme sur son propre terrain de jeu.
Dans son livre «No Logo», Naomi Klein décrit très bien cette stratégie des marques tout en relevant ce paradoxe: les multinationales font tout pour se fondre dans la culture populaire, mais dès lors qu’un tiers s’aventure à utiliser ce qui devient, de fait, du domaine public, elles n’hésitent pas à brandir les lois sur les droits d’auteur et la protection des marques pour casser toute velléité d’utilisation de leur logo. Surtout si elle est dérangeante.

Plainte déposée
Sans surprise, c’est effectivement de cette façon qu’a réagi Nike face à l’opération «nikeground» de Vienne. Le 14 octobre, la firme dépose plainte et, dans un document de 30 pages envoyé à la justice autrichienne, exige le démontage immédiat des installations – réelles et virtuelles – au nom de la protection des marques. Ce qui n’a pas manqué de provoquer des réactions amusées des artistes espiègles: «Où est le fameux Nike spirit? Je m’attendais à avoir affaire à des gens sportifs, pas à une bande d’avocats ennuyeux», ironise un porte-parole du collectif d’artistes. «Bien avant Nike, des artistes, comme Andy Warhol et ses soupes Campbell, ont utilisé des produits de consommation dans leurs œuvres. L’art a toujours utilisé les images puissantes de la société de consommation comme objet de création. Nike envahit nos vies avec ses produits et ses publicités, mais nous interdit de les utiliser de façon créative», fait encore valoir 0100101110101101.org.
Fin octobre, les deux organisations en cause remportaient une petite victoire puisque la justice faisait valoir un vice de forme dans la procédure entreprise par Nike, qui devra s’y prendre autrement s’il veut les poursuivre et espérer obtenir, selon ses menaces, 78 000 euros de dommages et intérêts. A terme, ce canular subversif pourrait certes s’avérer coûteux pour ses auteurs. Mais quelle que soit l’issue juridique de l’affaire, ils auront réussi leur coup: l’opération nikeground n’a-t-elle pas démontré au grand public l’envers du message publicitaire de la firme au «swosh»? Loin d’être un symbole libertaire et intégré dans la sphère publique, Nike apparaît ici comme une multinationale qui n’a plus le goût du jeu lorsqu’on touche à ses intérêts.