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Le savant, la pomme et la multinationale

Peu d'adeptes de Macintosh le savent: derrière le culte qu'ils vouent à la petite pomme arc-en-ciel et son slogan - "Think different" - se cache la fabuleuse histoire d'un homosexuel, Alan Turing, inventeur de l'ordinateur moderne qui s'est donné la mort en 1954 en croquant... une pomme au cyanure. Pour avoir entretenu des relations avec un homme, la justice britannique l'avait condamné à la castration chimique...

Le destin exceptionnel d’Alan Mathison Turing débute à Londres où il naît le 23 juin 1912. Son père, Julius Turing est collecteur d’impôt aux Indes. Sa mère, Ethel Sarah Turing élève ses quatre enfants en Angleterre. A l’âge d’un an, Alan est confié à des amis par sa mère qui rejoint son mari. Le couple ne reviendra en Angleterre qu’à la retraite de Julius. C’est donc privé de la présence de ses parents qu’Alan entame une scolarité plutôt médiocre dans la public school de Sherbone régie par une stricte discipline et d’inévitables brimades.

A l’internat, Alan Turing se rapproche d’un autre garçon, Christopher Morton qui partage les mêmes centres d’intérêt que lui: les mathématiques, la physique et l’astronomie. Le temps qu’ils passent ensemble suscite chez l’adolescent un mélange d’admiration intellectuelle et d’amour. Christopher donne à Alan la rigueur et la méthode qui lui font alors défaut. La double révélation de son homosexualité et de sa passion pour les mathématiques débouchera sur une période intense et heureuse.
Hélas pour Turing, elle ne dure que quatre ans puisque Christopher Morton meurt en février 1932 à l’âge de 19 ans. Jusqu’en 1934, pour tenter d’oublier, il se jette dans les études au King’s College de Cambridge où il se spécialise dans les problèmes de probabilités et de logique.

Premier ordinateur
Solitaire, il travaille loin des grands centres de recherche qui, plus de dix ans après son idée de « machine universelle », mettront au point la première génération d’ordinateurs. Ce concept de cerveau électronique à qui il laissera son nom est reconnu par la communauté scientifique dès 1936. Au cours de son doctorat à l’université de Princeton aux Etats-Unis de 1936 à 1938, Turing entreprend la construction d’un ordinateur.

Peu de temps avant son retour à Cambridge, il assiste à la projection de Blanche-Neige et les 7 nains. Il est alors frappé par une scène, celle où la sorcière prépare la mixture empoisonnée qu’elle injectera dans la pomme destinée à tuer la princesse. Il y fera fréquemment allusion par la suite et conservera dans ses notes la complainte nostalgique « Dip the apple in the brew/ Let the sleep through ».

La Seconde Guerre mondiale lui offre l’opportunité de mettre en pratique ses théories: il est affecté au Bureau de Décryptage britannique à Bletehley, avec pour mission de percer les codes utilisés par la marine allemande. Son principal succès sera la découverte de celui d’Enigma, fleuron des codeurs du IIIe Reich. Sa contribution dans la victoire alliée sur la Kriegsmarine lui vaudra l’estime de Churchill qui le charge d’élaborer un système de communication ultra secret pour être en relation permanente avec Roosevelt. A cette occasion, il séjourne aux Etats-Unis où il rencontre l’inventeur du fameux bit.

C’est également durant la guerre qu’Alan Turing épouse Joan Clarke… par amitié. Peu conventionnel, le mathématicien est décrit par ses contemporains comme un excentrique toujours dans la lune. Absorbé par son travail, il consacre rarement du temps à sa vie privée. Excepté pour séduire des inconnus dans la rue.

Chasse aux sorcières
La guerre finie, Turing intègre le National Physical Laboratory où, en concurrence avec les projets américains, il achève la réalisation de l’ordinateur. Or à cette époque, l’Amérique est dévorée par le maccarthysme qui vise sans distinction communistes, homosexuels et autres marginaux. La chasse aux sorcières dépasse les frontières et le gouvernement américain exerce une forte pression sur les Anglais afin de les amener à éliminer les sujets dangereux. Alan Turing est étiqueté comme tel en raison de son homosexualité et il est bientôt écarté des grands projets gouvernementaux britanniques.

En 1948, il occupe sous haute surveillance un modeste poste de chargé de cours à l’université de Manchester, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre en parallèle ses propres recherches. « Ce qui m’intéresse, écrit-il alors, n’est pas de mettre au point un cerveau puissant, rien qu’un cerveau médiocre dans le genre de celui du président d’ATT ». Deux ans plus tard, le premier ordinateur moderne naît de sa collaboration avec les professeurs Williams et Kilburn.

C’est à ce moment qu’il rencontre Arnold Murray sur Oxford street lors d’une période de drague intensive. A l’époque, le procédé est excessivement risqué, l’homosexualité étant considérée comme un crime au Royaume-Uni. La base de leur relation repose sur l’argent mais Turing n’y voit aucun inconvénient.

En 1952, la maison du mathématicien est cambriolée par un ami de Murray. Turing soupçonne une complicité et porte plainte. Au cours de l’enquête, il est amené à parler de la nature de ses relations avec Murray qu’il détaille sur cinq pages, sans présumer des conséquences de ses révélations. Finalement, il tombe sous le coup de la loi de 1885, celle-là même qui a condamné Oscar Wilde, et se voit proposer un marché eu égard aux services rendus à la Couronne: pour éviter la prison, il doit accepter la castration chimique à base d’injections d’œstrogènes. Il vit ce traitement comme une humiliation et entre dans une terrible dépression. La psychanalyse supposée le remettre dans le droit chemin s’avère une voie sans issue. Les autorités l’épient dans ses moindres gestes y compris lorsqu’il se rend à Corfou et en Scandinavie pour trouver des partenaires masculins.

Au bout d’un an de médicamentation forcée, il décide, le 7 juin 1954, de mettre fin à ses jours en croquant dans une pomme trempée de cyanure.

Une célèbre société informatique lui rend un hommage quotidien à travers le logo dessiné par Rob Janoff, une pomme entamée aux couleurs de l’arc-en-ciel et un slogan « Think different ». Avec le succès, la légende a été corrigée: la pomme serait un « private joke » en référence aux années de galère des fondateurs Steve Jobs, Ron Wayne et Steve Wozniak. Politiquement incorrect.

Alan Turing, « The Enigma », par Andrew Hodges, éditions Vintage, 1983 (traduction française chez Payot, 1988)