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Fassbinder: le cinéaste, sa femme et son amant

Rainer Werner Fassbinder aurait eu 60 ans le 30 mai prochain. A l’occasion de la rétrospective qui lui est consacrée à Paris, son ex-épouse, l’actrice Ingrid Caven et son complice de toujours, le réalisateur Daniel Schmid, lèvent le voile sur leur relation, pour le moins triangulaire.

Comment avez-vous connu Rainer Werner Fassbinder?
Daniel Schmid: C’était à l’examen de l’école de cinéma, il y a 2000 ans à Berlin. Je me suis présenté en retard et juste après moi, un mec est venu, un peu maladroit. Il y avait encore une place à côté de moi et il s’est assis. Comme il n’avait pas d’appartement, il a dormi chez moi. Pendant une semaine, on s’est raconté tous les films qu’on voulait faire. Le vendredi soir, il y eut la liste des gens qui étaient reçus et lui, c’était pas un mec pour les examens… Il était très triste et moi aussi parce qu’au bout d’une semaine je m’étais habitué à quelqu’un que je sentais déjà là. Quand il entrait dans une pièce, il y avait comme un courant électrique de plus! Tout devenait plus clair, plus dense.

Quelle était la nature de vos relations?
C’était les années 69-70, on avait la pilule et pas encore le sida… J’avais vingt ans et j’étais amoureux de tout le monde! J’étais amoureux d’Ingrid aussi. Quand il se sont mariés, j’étais le témoin et j’ai fait le voyage de noces avec eux. Il nous a attrapés en Grèce dans la chambre d’hôtel: son ex-amant et sa femme, ça devait l’amuser. Il y avait quelque chose très XVIIIe, «Liaisons dangereuses», on se racontait tout et tout le monde était au courant de tout.

Comment avez-vous appris son décès?
C’était trois heures le matin. On m’a téléphoné. J’étais (silence)… j’attendais ce moment-là. Il était tellement drogué. Il croyait qu’il contrôlait, que la tête était plus forte que le cœur. Mais par dessus tout, il dépendait de la dépendance des autres et ça c’est très compliqué. Ingrid et moi, on était les seuls qui n’ont jamais dépendu de lui. Un an avant sa mort, on l’avait emmené à Londres pour faire une psychanalyse et une cure, mais à l’aéroport, il nous a échappé. Les derniers six mois, c’était très difficile de communiquer. On se sentait tellement inutiles! Mais même drogué comme ça, il avait bien plus dans un petit doigt que bien d’autres gens ont dans toute leur tête.

Qu’est-ce qui vous manque le plus chez lui?
Il me manque plus comme ami que comme cinéaste, parce que dans ma liste de films préférés, il y Pasolini, Visconti… mais pas ses films à lui. Ce qui me manque c’est son esprit réveillé, c’est de l’humour, c’est le changement de têtes, sa méchanceté et sa gentillesse. Sa grandeur et cette espèce de salaud qu’il pouvait être« Très laid et très beau et… chinoise! Parfois, avec son faciès de tartare et son air extrater-restre, il ressemblait à une vieille chinoise.

Quel genre de cinéma pensez-vous qu’il ferait aujourd’hui?
Aucune idée. Peut-être qu’il est mort au temps juste parce que maintenant ce genre de cinéma, c’est très dur. C’était plus facile à l’époque et puis il y avait toute une culture cinématographique qui a presque disparu. Aujourd’hui, c’est les chiffres! Bien sûr la mort prématurée ça sert toujours la légende, mais si Wenders était le cerveau et Herzog les poumons, avec Rainer, c’est le cœur du cinéma allemand qui s’est arrêté et ça ne s’est pas retrouvé, jamais.

En 1970, Fassbinder épouse Ingrid Caven pour divorcer deux ans après. En 1976,
le couple, qui projette de se remarier, est réuni pour la seule et unique fois à l’écran, dans «L’Ombre des anges», que Daniel Schmid réalise d’après une pièce de Fassbinder. Racontée dans le roman de Jean-Jacques Schuhl, à son tour, Ingrid Caven se dévoile.

Formiez-vous un trio avec Rainer Werner Fassbinder et Daniel Schmid?
Ingrid Caven: J’ai eu des rapports dans tous les sens avec Daniel, mais Rainer l’aimait beaucoup aussi. Il voulait absolument que Daniel réalise l’Ombre des anges parce qu’il avait la musicalité pour faire ce film. Rainer avait des amants et moi aussi à l’époque, mais il fallait que je les cache. C’était comme les bourgeois, lui il avait le droit d’aller dans les clubs, mais moi non! Le rapport avec moi, comme femme, c’était sérieux pour lui. Même après le divorce et jusqu’à la fin, j’étais sa femme. C’était impossible qu’on soit amis et je suis restée dans ce langage-là – dans cette littérature, je dirais presque – parce que tout était littérature chez Rainer, il est né comme ça. Aujourd’hui je dirais que Rainer et moi, c’était comme avec une très bonne copine, Daniel c’est plus comme un frère.

Selon Daniel Schmid, Fassbinder était dépendant de la dépendance des autres…
C’est ça! Il a très bien formulé. Et comme avec moi c’était pas possible, j’étais trop sauvage, alors il fallait qu’il contrôle et un peu trop… Il était très jaloux, terrible! Il m’a enfermée parfois, et sa mère aussi. Même dans les films: j’ai eu beaucoup de rôles, bien sûr pas principaux parce que ça n’aurait pas marché, je ne représente pas cette femme allemande, mais dans les rôles que j’ai eu, il me laissait très souvent seule parce qu’il ne pouvait pas regarder comment je faisais, ça l’énervait! Mais quand il voyait le film, il était très content parce qu’il ne m’a donné que des rôles où je pouvais être un peu à côté de la plaque. C’est aussi la raison pour laquelle il est resté accroché à moi je crois.

Quelle était sa conception du cinéma?
On venait d’une éducation ancrée dans la vieille culture européenne humaniste, mais on ne voulait surtout pas faire comme nos ancêtres et jamais on aurait eu l’idée de faire autrement que dans l’art, donc automatiquement on cherchait d’autres formes. Par des atmosphères inquiétantes, Rainer voulait éviter que le spectateur s’identifie aux personnages, même si je n’ai pas apprécié Le Mariage de Maria Braun où je trouve l’aspect marionnette trop exagéré. Parmi les meilleurs je trouve: L’Année des 13 lunes, Le Secret de Véronika Voss, Rio das Mortes et Le Rôti de Satan…

Comment était-il à la fin de sa vie?
Il a préféré continuer avec la drogue jusqu’au bout, plutôt que de vivre une vie dans la dépression. Quand je l’ai vu, et je suis restée quelques jours avant sa mort, je ne savais bien sûr pas qu’il allait mourir là, mais c’était horrible! J’ai dit à sa mère de s’en occuper, mais il ne voulait pratiquement plus la voir. Tout était impossible! Quelqu’un m’a dit que la drogue qu’on lui donnait était rallongée avec de la mort-au-rat (soupir). Moi je crois que c’était trop fort et les autres ont dû pousser un peu plus fort pour que ça se termine. Mais il faut dire qu’il s’était choisi et qu’il était inconsciemment conscient, c’est sûr! Que chacun trouve le courage de suivre ses propres illusions, c’était sa philosophie de vie…

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Réalisateur suisse, Daniel Schmid fonde en 1970, Tango Film avec Ingrid Caven et R. W. Fassbinder: une société de production qui aura contribué à une douzaine de films. Avec la sortie de Beresina ou les derniers jours de la Suisse, en 1999, il reçoit un Léopard d’honneur au Festival de Locarno. Il prépare actuellement Portovero, en collaboration avec Barry Gifford, co-scénariste avec Lynch de Wild at heart et Lost Highway.

Actrice et chanteuse, Ingrid Caven a joué dans un quinzaine de films de Fassbinder qui la considèrera comme sa femme jusqu’à son décès en 1982. Cantonnée à des seconds rôles dans l’œuvre de son mari, elle crève l’écran dans La Paloma (1974) de Daniel Schmid. Après Chambre 1050, album sorti en 1999, elle prépare un spectacle musical, dont la création est prévue à la Cité de la Musique à Paris en 2006.

«R. W. Fassbinder, un cinéaste d’Allemagne», jusqu’au 6 juin 2005
au Centre Pompidou, Paris. Infos: centrepompidou.fr
«Ingrid Caven» par Jean-Jacques Schuhl (Prix Goncourt 2000, Gallimard).
«Excitation Bizarre», Daniel Schmid et Dino Simonett (Editions Simonett),