Les malheurs de Sinéad
La longue dérive de Sinéad O’Connor a connu cet été un retentissant rebond: seule via Facebook, elle a fait vibrer une corde sensible en partageant ses idées noires.
Les yeux en larmes, le regard infiniment triste, le ton hésitant et les propos incertains, Sinéad O’Connor a défrayé la chronique en postant sur Facebook sa désormais célèbre vidéo: isolée dans une chambre de motel du New Jersey, on la voit sangloter sa solitude et sa lutte quotidienne contre ses démons et ses troubles de bipolarité. Arrêt sur image. Le cri au secours de la chanteuse a provoqué une vague d’empathie planétaire sans précé- dent à son égard. Depuis plusieurs années, ses déboires et son état psychologique fragile font plus parler d’elle que sa musique, pourtant cette fois-ci, son message a bouleversé les réseaux sociaux.
À contre-courant
Sur Facebook, ses fans – tout à coup très nombreux – et Annie Lennox lui ont proposé leur soutien pendant que son portrait inondait Instagram, accompagné de commentaires d’encouragement. Parmi eux, certains disaient ne jamais avoir entendu parler d’elle auparavant. Mais ils n’étaient pas moins préoccupés par les mots de l’artiste irlandaise pour autant. Alors, pourquoi plus qu’une autre, cette vidéo a-t-elle trouvé pareil écho? Premièrement parce que son contenu est réellement poignant. Puis en filigrane, on constate que dans la continuité de son art, Sinéad O’Connor s’exprime toujours à contre-courant, envers et contre tout. A jamais seule, comme un fatal mauvais sort. Son destin hanté ne semble pas la lâcher: en 1990, sa manière de poser chaque mot de façon âpre et grave sur «Nothing Compares 2 U», la chanson composée par Prince qui l’avait propulsée sur le devant de la scène internationale, l’avait scellée dans une bulle artistiquement, presque hermétique. Déjà, elle chantait la solitude après une rupture amoureuse avec une férocité unique.
Solitude mortelle
Vingt-sept ans plus tard, sa carrière en berne, en rupture avec sa famille et ses amis, elle a choisi Facebook pour crier son SOS, comme si en dernier recours, c’était le seul endroit où elle pouvait se faire entendre. Les réseaux sociaux. Où tout est beau, où les égos se gonflent pour ne montrer que la partie visible de l’iceberg, où le vague à l’âme indispose les followers autant qu’une recette à base d’avocat les ravit, où la marginalité emmerde, où la vie sociale – à la plage, en vacances où pour une petite bouffe entre amis – est célébrée, c’est là que Sinéad O’Connor déverse sa solitude mortelle sur les écrans du monde.
Jusque dans ses derniers retranchements, qu’elle le veuille ou non, elle reste rebelle. Qui ose dire tout haut ce que d’autres craignent en silence ou ne veulent pas voir. Dans le bourdonnement amnésique des réseaux et au détriment de sa dé- tresse, elle a réussi le tour de force de faire taire les haters tout en inscrivant sa complainte dans la maigre liste des événements qui feront mé- moire dans l’histoire de Facebook, au même titre que le fameux craquage de Britney Spears en 2007. Soigne ton âme Sinéad, et souviens-toi que face au cynisme ambiant, ton honnêteté l’a emporté.