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Queer Vanity

La «fatshion» blogueuse berlinoise Hengameh Yaghoobifarah ouvre les portes de sa penderie «plus size» sur son blog.

Elle a le regard un brin mélancolique sur cette photo. Assise au bord de son lit, les lèvres peintes en mauve, vêtue d’un body en panne de velours bleu nuit porté sur une paire de collants noirs opaques. Une perche à selfie dans la main. Mise en abyme de notre usage toujours plus selfish des réseaux sociaux, accros que nous sommes devenus à nous montrer sous notre meilleur jour, notre plus beau profil? Ou revanche sur tous les propos médisants qu’Hengameh Yaghoobifarah a dû affronter dans sa jeunesse? Dans un billet dans lequel elle disserte sur les selfies, la jeune femme de 25 ans explique s’être souvent sentie comme «un élément perturbateur au beau milieu d’une idylle» lorsqu’elle avait le malheur de se retrouver devant l’objectif d’un appareil photo: «Il n’y avait pas que moi pour m’en persuader, cela m’a aussi été signifié par mon entourage: «Si tu perdais du poids/te faisais opérer du nez/te maquillais de la bonne façon/t’habillais comme une vraie femme™, tes portraits seraient bien plus réussis. Ce type de conseils, je n’en ai que trop reçu», écrit-elle.

Queer et musulmane
Née de parents iraniens exilés en Allemagne, à Kiel, Hengameh Yaghoobifarah a suivi des études de communication à Fribourg, puis embrayé sur des études scandinaves, avant de s’installer à Berlin en 2014 où elle travaille désormais comme journaliste au sein de la revue féministe allemande Missy Magazine. En se faisant une place avec son blog Queer Vanity dans l’univers si codifié et si excluant de la mode, elle envoie valser stéréotype sur stéréotype, ne serait-ce que par les multiples identités qu’elle réunit en elle: féministe, non-blanche, queer, ronde, musulmane, non-binaire… «La mode est un formidable moyen d’expression. Les vêtements que je porte me permettent de me démarquer des normes sociales hétéro-normatives, néolibérales, racistes et sexistes, et me permettent aussi d’exprimer mes convictions politiques», souligne Hengameh Yaghoobifarah.

Chacun de ses outfits peut se voir comme une déclaration d’indépendance vis-à-vis des diktats de la mode, des canons de beauté véhiculés par cette industrie, du soi-disant «bon goût», de la consommation à tout-va. Qu’il s’agisse de dézinguer les codes vestimentaires traditionnels du féminin et du masculin, d’avoir laissé quasiment toutes les couleurs de l’arc-en-ciel épouser un temps sa chevelure, de faire une déclaration d’amour par fringues interposées au hard discount de son quartier ou de rendre hommage au witch power par une belle après-midi d’été. «Mon style est très changeant. Des fois, je peux être habillée d’une manière très berlinoise, c’est-à-dire tout en noir, et d’autres fois porter des couleurs vives», explique la jeune femme. «Je m’inspire beaucoup des années 90 et du début des années 2000 ces derniers temps. Je porte beaucoup de vêtements de sport au quotidien, du maquillage flashy et des baskets.»

Partage
Même si elle indique les marques des vêtements, des accessoires et du maquillage qu’elle porte sur ses photos, la fashionista veille également à se démarquer des blogs mode truffés de publi-rédactionnel et de liens vers des sites marchands. Car la mission de Queer Vanity est d’abord d’«empower» ses followers. Il ne s’agit pas de les brimer en exposant des normes esthétiques inatteignables et des produits inabordables, mais bien de les encourager à aimer leur corps, à échanger leurs vêtements ou à les coudre eux-mêmes, et surtout «à ne pas respecter les prétendues règles de la mode», ajoute la jeune femme. Et comme Hengameh Yaghoobifarah ne tourne pas en boucle sur elle-même, son blog est également un lieu de partage, de mise en réseau, un concentré des looks les plus décapants de la communauté queer internationale. Au gré de ses rencontres, elle distille ses style-crushes… À l’instar de Küb, cette Stambouliote venue à Berlin avec une panoplie de dandy dans ses valises, ou de la performeuse indienne Alok Vaid-Menon, qui porte le turquoise-à-lèvres comme personne…

Les interviews (toutes disponibles en anglais) qui accompagnent chaque série de photos montrent elles aussi à quel point la mode peut être libératrice. Mais aussi dangereuse pour qui la porte quand elle s’écarte trop de l’hétéro-normativité. «Pour moi, la mode est une possibilité de dire ’ va te faire foutre ’ à tous les préceptes qui me dictent comment m’habiller. […] Elle me donne le pouvoir de m’échapper de ça et de me sentir tel que je suis vraiment», confie par exemple l’artiste-performer londonien Travis Alabanza. Tout en ajoutant un peu plus loin: «À la fin de la journée, j’ai de nombreuses tenues dans ma penderie que je ne peux pas porter ailleurs que dans mon salon. C’est la triste réalité.»

» queervanity.com