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12 ans d’enthousiasmes, de chips au paprika et de bière tiède

12 ans d’enthousiasmes, de chips au paprika et de bière tiède

A l'occasion du 100e numéro de 360°, on ose un petit plongeon dans le passé. Il était une fois…

Genève venait d’accueillir le Congrès mondial sur le sida pendant une semaine. Intitulée Bridging the Gap, cette douzième édition avait largement débordé des halles de Palexpo, et Genève vibrait de moult événements festifs et culturels en résonance avec le sommet sanitaire. Manifestations qui se prolongeaient jusqu’à l’automne, bien au-delà du Congrès, offrant à Genève un panorama d’expositions frondeuses et d’événements créatifs enthousiasmants. Le Centre d’Art Contemporain présentait ainsi Les mondes du sida: entre résignation et espoir, tandis que le Spoutnik s’intéressait au corps gay dans le cinéma. Les soirées genevoises résonnaient d’une riche programmation et certains de ses lieux de rencontres s’en trouvaient comme «re-boostés»: l’ancien Palais des expositions venait de rythmer de façon effrénées les nuits congressistes et le vaste local de Dialogai aux Pâquis, épicentre off de la réunion mondiale, résonnait encore d’un enthousiasme qui allait porter l’association plusieurs années encore…
Parallèlement, la culture des squats battait encore son plein dans la ville du bout du Léman. Artamis concentrait projets créatifs de toutes les disciplines et ateliers d’une économie en devenir d’artisans et de bidouilleurs informatiques prometteurs. Brigitte restait le seul squat homo de Suisse et la ville grouillait de bistrots aussi éphémères qu’improvisés dans les caves et greniers des immeubles occupés.
Lausanne se préparait à accueillir la deuxième édition de la Gay Pride romande, alors que Fribourg était déjà annoncé pour l’année suivante. Les bars à la mode s’appelaient Le Barbie ou le 2e Bureau à Genève, ou le Take 5 à Bienne. Basic.ch inventait la première radio sur Internet de Suisse, essentiellement consacrée aux musiques électroniques, Ruth Dreifuss était Conseillère fédérale depuis 5 ans, Dana International venait de remporter l’Eurovision, donnant à Israël un visage que l’on n’attendait pas, et Fabrice Neaud venait de publier son Journal introspectif et intello de gay paumé dans un Sud-ouest français sourd et désertique.

Sans rédaction fixe
C’était en 1998. Une trentaine d’homos et d’hétéros, enthousiasmés par la renaissance genevoise de la Gay pride l’année précédente, se réunissaient pour créer une revue aussi large d’esprit que curieuse éditorialement, ouverte aux sensibilités de tous bords, aux cultures de tous les fronts. Ainsi naissait, sans rédaction fixe, 360°. Soixante-huit pages à la première édition (qui couvrait les mois de juillet à septembre) qui affirmait sous la plume de sa rédactrice en chef historique Cathy Macherel: «Nous avons acquis la conviction qu’il y a en Suisse romande et jusqu’en France voisine une place durable pour un magazine tel que le nôtre. La curiosité qu’il a suscitée avant même sa parution, le nombre de personnes qui tous les jours s’abonnent, l’intérêt des annonceurs qui ont investi en nombre dans ce premier numéro, tout cela nous conforte encore dans cette certitude.»
Douze ans plus tard, le format du magazine a rapetissé, ses pages se sont étoffées, sa périodicité s’est intensifiée, sa ligne est désormais plus homo que largement ouverte à toutes les sexualités, les annonceurs nationaux se font plus rares (songez: American Airlines ou Body Shop étaient présents dans les premiers numéros!), mais le titre est toujours là. Pour la centième fois.

Une belle histoire de presse
Ce pourrait être une success story alléchante, fruit des amours frondeuses et aveuglément enthousiastes d’une ribambelle d’hommes et de femmes issus des mondes de la communication à un moment où le paysage médiatique romand est en pleine crise et redistribution des cartes. Ce n’est pas tout à fait comme ça que les choses se sont passées. Mais c’est sans doute aussi parce que les titres de la presse généralistes fusionnaient, apparaissaient pour abruptement disparaître, que se sont réunis ces journalistes, graphistes, artistes et créatifs de tout poil, tous portés par une forme de témérité sans peur qui s’exprimait alors par un simple: «nous n’avons rien à perdre» à tenter l’aventure, à nous faire plaisir.

Au moment où 360° s’invente et se fomente, le Journal de Genève et Le Nouveau Quotidien viennent à peine de s’unir pour fonder Le Temps, l’éditeur genevois Roland Ray lance son Info Dimanche sur les cendres de La Suisse, Ringier s’essaie au marché dominical avec Dimanche.ch, Femina tente de se réinventer, bref le paysage romand des médias est en pleine transformation, chaotique mais aussi énergisante.
360° de son côté ne peut se reposer sur un business plan dûment doté par un éditeur aventurier. Tout le monde y travaille gratuitement, les réunions de rédaction se font dans la minuscule cuisine d’un deux pièces sans chauffage de la rue de Lausanne à Genève, les engueulades vont bon train, les articles se rédigent sur des bécanes préhistoriques que l’on transfère via des disquettes grosses comme des i-Pods, les bouclages sont effroyablement chaotiques, les annonceurs nationaux se font vite difficiles à convaincre passés les premiers mois de nouveauté.

C’est à cette époque qu’est institué un rituel qui a valeur de madeleine proustienne pour les premiers à s’être mouillés dans l’aventure de ce radeau médiatique: les chips au Paprika M-Budget et la bière Tell de la Coop deviennent le carburant officiel des séances d’une rédaction sans le sou mais motivée qui se paie néanmoins le luxe d’une enquête en sous-marin dans les milieux de l’extrême droite française alors qu’elle tente de faire capoter le vote sur le PACS à l’Assemblée nationale, d’un frondeur dossier sur l’homosexualité à l’école ou d’un beau et poétique numéro spécial sur les nuits romandes réalisé en carnets d’impressions artistiques. Les couvertures d’un magazine qui paraît encore en grand format sont originales et arty, la ligne éditoriale se fait déjà trop homo pour certains qui préfèrent renoncer, aussitôt remplacés par de nouvelles têtes, de nouveaux élans.

Fever, pôle festif et pilier du mag
360° reste frondeur et signe le premier dossier fouillé sur le transsexualisme en Suisse, longtemps utilisé comme outil pédagogique ensuite. Une aventure éditoriale réalisée pendant l’hiver 2000 avec des mitaines et initiée par un partenariat avec la 20th Century Fox à la faveur de la sortie du film Boys Don’t Cry et la création d’un pôle trans à Espace 360, le pôle social de 360, qui compte également le fameux pôle festif 360 Fever, sans lequel les finances du magazine seraient à sec et la parution clairement compromise.

L’alcool et les cigarettes ont remplacé les compagnies aériennes et les produits de beauté dans les annonces publicitaires, la rédaction s’est trouvé un vrai local à la rue de la Navigation au coeur des Pâquis, il ne reste que quelques fondateurs dans l’ours du magazine, mais le titre continue de paraître. On est en 2003. La rédactrice en chef est toujours là, dont la poigne, la force de volonté autant que l’abnégation permettent aux sommaires de se tenir et à la ligne éditoriale d’être maintenue, si bien que sa rédaction, aussi reconnaissante qu’acide, la surnomme le «Major Macherel». Un Major-capitaine qui tient toujours la barre et le cap donc et écrit à la veille de cet été 2003: «Il y a tout juste 5 ans, une petite équipe fêtait, les yeux un peu cernés, la parution d’un nouveau magazine. Le 1er numéro de 360° venait d’être imprimé et, ce jour-là, ce fut à la criée qu’il se vendit dans les rues de Lausanne. Certes euphoriques, tous ceux qui avaient travaillé des mois durant sur ce projet complètement barge se demandaient bien où il les conduirait.»

Le pacs suisse n’existe toujours pas, les nuits gays sont désormais animées par le Nathan et le Phare à Genève et le 43-10 à Lausanne, on drague encore par téléphone (le magazine compte plein de pubs de 0900), Micheline Calmy-Rey est Conseillère fédérale, Fly Baboo relie désormais Cointrin à Saint-Tropez, et, mystère à ce jour toujours inexpliqué, il y a une pub pour un élevage de chats norvégiens en page 60…

Un nid de talents
L’été 2003 sert de remise en question et 360° se fixe de nouveaux objectifs, preuve que l’aventure reste «euphorique» et «complètement barge»: nouveau format de poche, parution mensuelle, et le plein de nouvelles plumes et talents qui viennent y faire leurs premières piges (eh oui, désormais le titre parvient à défrayer ses journalistes) et seront demain engagés par les titres respectables de la presse généraliste.

Après quelques réglages d’usage, le magazine tel qu’on le connaît aujourd’hui s’affirme au fil du temps: ramassé, plus nerveux et, bien que ce soit toujours une humeur de guerre lasse lors des bouclages, un ton frondeur et même un rien avant-gardiste continue de s’y affirmer. Jugez plutôt à la lecture du sommaire de mois d’avril 2005: Berlin y est catalogué «ville de la loose alternaïve», Patrice Mugny subit les foudres du baromètre, la tyrannie du bio dans l’assiette y est dénoncée, un dossier complet sur l’espace public préfigure la centralité de la question urbaine dans les préoccupations sociales et médiatiques à venir.

De nouvelles impulsions
Les années qui suivent voient arriver successivement Doris Leuthard et Eveline Widmer-Schlumpf au Conseil fédéral et, du côté du magazine, sonne l’heure de la passation à de nouvelles impulsions rédactionnelles et du renforcement des acquis (si tant est que ce mot puisse avoir un sens dans une aventure aussi bancale financièrement ; si bien que l’on n’a jamais vraiment compris ce courrier d’un avocat d’affaires parisien nous proposant de racheter «Têtu». Si, si…). Le Major Macherel et ses fidèles lieutenants passent la main à d’autres, que le titre peut désormais salarier, au moins à temps partiel. En quelques années, se succèdent ainsi Arnaud Gallay, autrefois correspondant improvisé du magazine au Proche Orient, Jonas Pulver, happé rapidement par Le Temps, puis Manon Pulver (aucun lien de parenté entre ces deux-là), laquelle préside aux festivités de ce centième numéro.
Douze ans se sont écoulés, douze ans d’une aventure de débrouille, de bonnes volontés, de désirs et de coups de fatigue, une aventure communautaire qui reste ouverte à toutes et tous. Les chips au paprika M-Budget et la bière Tell de la Coop continuent d’accueillir régulièrement les curieux et les enthousiastes les soirs de fin de semaine dans les locaux de la Rue de la Navigation aux Pâquis, tandis que le Conseil fédéral voit la première majorité féminine diriger le pays et verra, qui sait, les Chambres voter les bases légales de l’homoparentalité…

La belle âme…

Philippe, c’est cette voix qui au standard de 360° massacre depuis près de 12 ans, en bouffant la moitié des syllabes, le fameux «resse 360» qu’il ânonne en décrochant le téléphone de la rédaction (bien qu’il faille préciser une nette amélioration ces derniers mois, rendant presque intelligible le message d’annonce). Philippe, c’est une odeur de gitane sans filtre qui plane dans les bureaux, une humeur égale et aimante, enthousiaste jusque dans les heures les plus noires du titre. C’est les bras des caisses de bières à décharger avant les soirées Fever, c’est des mitaines qui trient les factures dans le réduit sans chauffage des premiers locaux de la rue de Lausanne, c’est le sourire qui redonne du punch aux humeurs capricieuses des journalistes qui pourtant ont la chance d’avoir un autre job pour bouffer, alors que lui n’a que celui-là pour vivre et pourtant n’emmerde jamais personne avec ça. Un physique de petite frappe marqué par quelques excès (surtout de générosité), une pudeur de très grande dame, une élégance particulière qui, sans sourciller, avec un sourire jusqu’aux oreilles, lui fait lever son verre au moment de l’apéro pour aboyer son toast préféré, « la santé du con qui paie» , en direction de son vis-à-vis qui précisément règle la douloureuse. Philippe, c’est le diplomate qui garantit les liens entre les pôles de 360 dans les moments où ça chauffe (notamment quand la rédaction oublie de se souvenir que les soirées Fever aident régulièrement le magazine à boucler ses comptes), c’est celui qui tient la boutique du soir au matin, ses deux corniauds de clebs couchés à ses pieds, c’est lui qui depuis douze ans fait la tournée des annonceurs, négocie avec eux, entretient le réseau commercial et social du titre. Philippe, c’est sans aucun doute la seule personne véritablement indispensable au magazine. Philippe Scandolera est l’âme de 360°.