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«A l’armée, on est tous des tapettes»

Pour les gays, l’armée peut parfois être un enfer. Alors ils y apprennent avant tout à revêtir la tenue de... camouflage. Témoignages de soldats romands.

Passer de l’autre côté des grillages, entrer dans un monde inconnu, découvrir un mode de vie déstabilisant et se vêtir d’habits gris-vert, voici ce que vont vivre d’ici un mois une dizaine de milliers de jeunes Suisses. Parmi ces recrues, un certain nombre d’homosexuels serviront la patrie soit par conviction ou par obligation, soit par peur ou par ignorance. Pour les premiers, faire l’armée ne leur pose pas trop de problèmes et ils la font «parce qu’il faut la faire». Les seconds auraient souhaité se faire réformer, mais lors du recrutement, ils n’ont pas osé le demander. «Je ne savais pas que ça existait», raconte Raphaël. «En plus, je me voyais mal dire que j’étais gay, car le chef de section était un grand ami à mon père. Maintenant, je regrette de ne pas l’avoir fait.»

L’argument de l’orientation sexuelle utilisé dans le but de se faire réformer fonctionne encore relativement bien. Yvan raconte que «certains de mes amis gays ne voulaient absolument pas faire l’armée; alors plusieurs ont fait jouer l’argument de la sexualité. En disant que c’était pour eux un enfer d’aller dans un endroit où il n’y avait que des mecs, de dormir avec des mecs. J’ai un ami qui a évoqué cela lorsque son cas a été jugé. Il a dit: «essayez d’imaginer que vous êtes un mec hétéro et que vous êtes dans une chambre où il n’y a que des femmes, comment va être votre réaction?».

La majorité des soldats homosexuels ne fait pas de coming out à l’armée. Les raisons sont multiples. Pour Yvan: «Un hétéro ne dit pas qu’il est hétéro, alors pourquoi est-ce que je devrais m’afficher?» D’autres ont peur des réactions de leurs camarades et par conséquent de leurs représailles. Bernard* préfère ne pas mêler ses sentiments à l’armée et fait abstraction de son orientation le temps du cours de répétition. Enfin, un certain nombre ne s’assument pas encore et donc la question de sortir du placard ne leur vient pas à l’esprit. Pour ces quatre groupes de personnes, l’armée se déroule sans problème vu qu’ils ne sont pas découverts.

Toutes des tantouses
A l’armée, l’effet de groupe influence le comportement d’individus poussés à montrer qu’ils sont de vrais hétéros et pas des tapettes. Cette image et cette homophobie latente est même accentuée par certains gradés. «Entendre du matin au soir “grouillez-vous bande de tapettes, on n’est pas dans un club de danse, bande de tantouses, massez-vous le fion bande d’enculés”, c’est clair que tu reçois le message subliminal 24 heures par jour que les pédés ne sont pas les bienvenus. Et puis ce sont des faibles, des nanas, des connasses, des pétasses, des tapettes, des tantouses, j’en passe et des meilleures. Des insultes et des dénigrements, c’est encouragé pour faire ressortir l’homme», nous dit Stéphane. Ainsi dès qu’il y a une suspicion envers quelqu’un, le rejet de la différence prend, lui le dessus sur la tolérance ou l’indifférence. Raphael a été victime de ce comportement peu glorieux. «Il y en a certains qui ont vite compris que j’étais gay et c’est devenu invivable. C’était des petites remarques, des critiques ouvertes, des critiques par derrière et puis lors des soupers-facs j’étais tout seul.» Le soupçonnant d’être homosexuel, ses camarades n’ont pas arrêté de le brimer. La conséquence de cette pression constante aurait pu être fatale. Un jour, Raphaël a pété les plombs et a tenté de s’ouvrir les veines. C’était au début de sa troisième semaine d’école de recrue. Son acte lui a valu une semaine d’enfermement dans une chambre à l’hôpital et un renvoi de l’armée.

Jean-Marc raconte qu’afin éviter ce genre de problèmes l’armée lui a proposé une protection. «Le médecin m’a dit qu’il pouvait marquer dans mon dossier que j’étais gay et que je pouvais dormir dans la chambre des officiers. Mais j’ai refusé.» Il ne l’a pas regretté. Lors de son service, une recrue qui avait annoncé son orientation sexuelle a dormi dans une chambre avec des supérieurs. Il était systématiquement séparé des autres. Une méthode très discutable tant l’intégration et la reconnaissance dans le groupe sont primordiales dans cette micro-société qu’est l’armée. En règle générale, le soldat homosexuel préfère s’intégrer plutôt que s’isoler. Il n’a pas envie de se retrouver coincé dans un ghetto. Bernard a connu cette expérience: «Une fois ça m’est arrivé, on était trois homos isolés. On était bien ensemble, on parlait de beaucoup de choses mais pas de notre sexualité. Je n’avais pas l’impression de former un ghetto, j’étais simplement avec des gens qui avaient les mêmes affinités que moi.» Mais habituellement, il préfère se mêler aux autres. Argument auquel Laurent adhère: «Plus on est discret et mieux c’est. On se retrouve dans une équipe, mais on est mélangés aux autres.»

Les gags qui passent mal
Lors de l’école de recrue ou des cours de répétition, le temps pour les discussions ne manque pas. Sujets régulièrement abordés: les femmes et les gags sur les pédés, bien sûr. Comment réagissent les soldats homos dans ces moment-là? Concernant les femmes, Laurent a une tactique: «T’es obligé d’aller dans le sens des hétéros. Bon, je ne siffle pas forcément les filles lorsqu’on en croise dans la rue, mais j’écoute les conversations des autres. Je donne mon avis, mais sans exagérer.» Jean-Marc, lui, préfère se taire: «Mon attitude est considérée comme de la sagesse. Comme je ne dis rien, on pense que je suis casé.» En ce qui concerne les plaisanteries lourdes, Raphaël trouve ça «archi-déplacé». Ça ne fait en revanche “ni chaud, ni froid” à Yvan «parce que je plaisante aussi sur les gays, donc ça ne me dérange pas. Cependant, on ne peut pas utiliser le terme de «pédé» comme insulte. Dans ces cas-là, j’essaie de remettre en place la personne.» Laurent va dans le même sens: «Tu as tendance à être dans leur camp, pour éviter qu’il y ait des différences et que tu sois mal perçu. Mais tu te retrouves en contradiction avec toi-même, c’est difficile.»

La promiscuité liée à la vie de groupe dérange et à l’armée, les dortoirs et les douches sont souvent perçus comme des lieux difficiles à gérer. Pourtant, le fait de dormir à côté d’autres hommes ne pose en règle générale aucun problème aux gays: «J’ai fait des colonies de vacances quand j’étais petit, explique Bernard, alors la communauté ne me pose pas de problème.» La douche en commun ne les effraie pas non plus et le stéréotype du soldat homosexuel qui n’attend que la douche pour mater un bon coup n’est pas fondé. Il existe tout de même deux attitudes: ceux qui regardent et ceux qui ne regardent pas. «C’est clair que s’il y a des choses appétissantes sous la douche, je ne vais pas me gêner, mais tout en restant discret», commente Yvan. «Mais je crois que, à l’armée, même les hétéros matent les autres mecs. Ils regardent comment l’autre est “foutu”.» Bernard lui préfère éviter d’entrer en contact ou de mater: «C’est juste une attitude que j’adopte, je suis très fermé. C’est-à-dire que je prends ma douche et je repars.»

Une telle promiscuité débouche parfois sur des contacts et des relations. Mais l’attirance est habituellement sans suite, car l’autre est souvent hétéro. Néanmoins, «s’il y a des aventures c’est surtout lors de l’école de recrue. A cause de la durée d’isolement, du vide affectif et tout simplement du manque sexuel», pense Bernard.

Au cours des 300 jours à accomplir, le soldat homo apprend surtout à se camoufler afin de s’intégrer et d’éviter de passer de mauvais moments. «C’est important de le dire pour montrer qu’un gay, contrairement aux croyances, ne se réjouit pas d’aller à l’armée pour aller mater sous les douches», comme dit Raphaël. «Pour un gay, l’armée ça peut parfois être éprouvant».