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Profs LGBTIQ+, à l’école de la visibilité

Profs LGBTIQ+, à l’école de la visibilité
@Jess Bailey on Unsplash

Certain·e·x·s ont quitté l’école avec grand soulagement, alors que d’autres ont choisi d’en faire leur métier. Nous avons rencontré cinq enseignant·e·s LGBTIQ+ qui nous content avec lucidité leur quotidien dans des institutions pas toujours accueillantes. La cloche a sonné, mettez-vous en rang, on retourne en classe.

Sabrina, 42 ans et enseignante d’anglais dans le primaire et le secondaire se souvient de son parcours: «Au début de ma carrière, j’avais très peur du regard des parents. Il me semblait impossible de me promener main dans la main avec ma copine en public. Je craignais qu’on puisse nous voir. Après quatre ou cinq ans, j’ai parlé avec mes collègues, j’en avais marre de remplacer le « elle » par le « il ».» L’enseignante explique se poser clairement comme alliée pour les thématiques LGBTIQ+, mais tempère en soulignant ressentir une forme de lassitude: «Dans un établissement comptant pas moins de cent adultes, je suis la seule personne ouvertement out de l’école.»

Même débuts de carrière réservés pour Robin, 34 ans, enseignant dans le primaire. «Ça va faire neuf ans que j’enseigne. Au début, je n’avais pas envie d’en parler aux élèves et aux parents. En prenant de l’expérience, en devenant plus sûr de moi, je ne le cache plus du tout.» Le jeune homme profite de son aisance pour sensibiliser les élèves à d’autres différences: genre, racisme, sexisme. «J’introduis ces sujets par des lectures, notamment. Cependant les élèves baignent dans une norme sociale hétéronormée, iels ne comprennent pas forcément ce dont on parle.»

À 45 ans, Cédric est le directeur d’un établissement secondaire vaudois. Lors de notre échange, il analyse avec lucidité son parcours: «L’âge venant, j’ai une meilleure conscience de l’exemplarité que je dois avoir, ce que je n’avais pas à trente ans.» Cependant, sa fonction ne lui offre plus de contact quotidien avec les élèves. Ainsi, il explique n’avoir jamais ouvertement parlé de son homosexualité avec eux. «Aujourd’hui, si l’un ou l’une me pose la question, je dirais « oui ». Il y a quinze ans, je n’avais pas envie d’assumer ça devant une classe, tempère-t-il.» Il souligne également une certaine évolution de la part du corps enseignant auprès duquel il parle librement de son orientation sexuelle: «En cas d’insultes homophobes ou de harcèlement, les adultes interviennent, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant.» Malgré ce progrès, il a conscience que son homosexualité est le centre de certaines conversations dans la petite ville où il travaille.

Une condamnation à se faire virer
Mika Alison, enseignante française de 39 ans, relate son parcours de transition dans son livre Vivre sa transidentité à l’école (éd. Double Ponctuation). La maman de deux enfants connue sur les réseaux sociaux sous le pseudo la Transeignante nous partage son expérience: «À la fin des années 90, on parlait d’homosexualité mais pas du tout de transidentité. Je subissais une forte présomption d’homosexualité de la part des autres, alors même que dès la fin de mon collège, vers 14-15 ans, c’était clair que je n’étais pas un mec.»

L’idée de la transition commence à se matérialiser avec l’accès en ligne à des contenus visibilisant des parcours trans*. Cependant, cette transition semble tout à fait inaccessible pour une personne engagée dans l’Éducation nationale en France: «En tant que prof stagiaire et en plus des heures d’enseignement, on participe à des séminaires pour apprendre le fonctionnement de l’école. Début 2007, une formatrice évoque que dans son établissement, une de ses collègues souhaite entamer une transition. Le discours de cette proviseure est très violent. Elle nous dit qu’elle ne sait pas quoi faire de cette personne. Qu’elle ne sait pas si elle va pouvoir le [sic] garder. Moi qui rentrais dans le métier, c’était clair qu’il était hors de question d’entamer une transition à ce moment-là. Ç’aurait été une condamnation à me faire virer de mon métier alors que j’étais dans ma 1re année professionnelle.»

Une heure d’enseignement sur les transidentités
En 2018, Mika souhaite entamer sa transition et en parle avec sa cheffe d’établissement afin de tâter le terrain avant de se lancer: «J’ai eu beaucoup de chance. Elle a dit que ma transition était une démarche personnelle et qu’elle allait m’accompagner au mieux pour que tout se passe bien professionnellement.» Forte de ce soutien, Mika se sent légitimée dans sa démarche et soutenue par son rectorat, qui assure pouvoir faciliter une mutation si quelque chose venait à mal se passer avec ses élèves ou ses collègues.

La rentrée 2018 de la jeune enseignante se fait sous une identité masculine. «Au mois de février, au retour des vacances de printemps, j’étais prête à faire la bascule et à être « madame » et non plus « monsieur » face aux élèves. J’ai expliqué auprès de chaque classe que j’entamais une transition. Après avoir posé les choses pendant les dix premières minutes, j’ai associé les élèves à ma démarche. Je répondais à leurs questions, si les propos n’étaient pas corrects, je reformulais. Je savais la sympathie qu’avaient mes élèves vis-à-vis de moi, donc je n’étais pas trop inquiète non plus. Pour les questions indiscrètes sur les opérations possibles, notamment, je n’y répondais pas. Je détaillais pourquoi cela pouvait être perçu comme intrusif tout en donnant les possibilités offertes aux personnes trans*. Finalement, j’étais dans mon rôle de prof de SVT (sciences de la vie et de la terre). Je leur ai donné une heure d’enseignement sur les transidentités, à ceci près que le matériel, l’échantillon étudié, c’était moi», explique-t-elle en riant.

Identifiée par ses élèves en tant que personne LGBTIQ+, Mika assure apporter une forme de visibilité dans leur quotidien. «Je ne suis pas une célébrité», souligne-t-elle. Sa présence permet de sortir des représentations stéréotypées: «Oui, je suis une personne trans*, mais je suis aussi prof et maman, détaille l’enseignante française. Ce que mon parcours montre, c’est qu’il est possible de s’insérer dans n’importe quelle part de la société, et ceci sans avoir à subir de déclassement. C’est quelque chose que je pensais encore impossible il y a cinq ou six ans.»

«Mon but n’est pas de me mettre en avant, mais de les accompagner»
Marc* est enseignant dans le canton de Vaud. Fraîchement diplômé, il relate avoir rencontré une situation problématique lors d’un de ses stages organisé dans le cadre de sa formation à la Haute École Pédagogique de Lausanne:  «Malgré une entrée en matière aisée, j’ai dû changer mon lieu de stage car mon praticien formateur jugeait la transidentité « trop compliquée à expliquer aux élèves ».» Mis à part cette expérience négative, le jeune enseignant de 23 ans explique ne jamais avoir subi de stigmatisation. «J’ai entrepris une transition sociale, mais ma carte d’identité ne reflète pas mon prénom d’usage. Ma direction est très soutenante et a pris les devants en expliquant la manière dont les courriers devaient m’être adressés, par exemple.»

Marc cite également les politiques publiques mises en place, notamment le plan d’action du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture proposé par Caroline Dayer, lequel vise à lutter contre l’homophobie et la transphobie dans les lieux de formation. «L’un des axes de ce plan suggère à chaque établissement de trouver une personne-ressource pour ces questions-là. Avec un collègue gai, on s’est dit que ça serait sympa de faire un groupe pour se soutenir.» L’engagement du jeune enseignant ne s’arrête pas là, puisqu’il thématise également d’autres différences dans sa classe, comme le handicap par exemple. «D’une manière générale, les enfants sont très ouverts sur ces questions-là, se réjouit-il. Une fille a pu parler à la classe et dire qu’elle avait une sœur transgenre. C’est quelque chose que je ne peux pas leur dire sans m’exposer directement. Mon but n’est pas de me mettre en avant, mais de créer un climat sécurisant et de les accompagner», conclut-il.

*prénom d’emprunt