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Migrant·e·x·s LGBTQI+: «Les exigences du SEM ne collent pas à la réalité»

Migrant·e·x·s LGBTQI+: «Les exigences du SEM ne collent pas à la réalité»

Au terme de périples migratoires traumatiques, le malaise des personnes LGBTIQ+ demandant l’asile en Suisse perdure souvent tout au long de la procédure, parfois au-delà. En cause, une prise en charge inadaptée à tous les niveaux.

«Il y a encore quelques années, la problématique des requérants d’asile LGBTIQ+ était invisible, les professionnel·le·x·s des associations et institutions concernées avaient très peu d’information pour détecter les situations de ces personnes, qui n’osaient pas s’exprimer. Ainsi ces cas passaient sous les radars», explique Sab Masson, de la permanence Rainbow Spot à Lausanne. «Maintenant que l’on a rendu ce problème visible, on est débordé·e·x·s!»

L’association créée en mars 2019 manque cruellement de ressources pour faire face à la demande toujours croissante, et espère obtenir un soutien de l’État, comme son équivalente genevoise, Asile LGBTIQ+. «Il nous manque aussi un local, un espace où l’on pourrait se rencontrer hors de ce cadre administratif», souligne Hanna Secher, qui assure la permanence du lundi avec Sab. «Il y a des assos LGBTIQ+ dans le canton, mais les personnes vivant dans un foyer ne s’y sentiraient pas forcément les bienvenues. Oser se rendre dans des lieux où l’on peut être vu et où tout le monde a beaucoup plus d’argent n’est pas évident. En créant Rainbow Spot, on espérait aussi pouvoir bâtir des ponts entre la communauté LGBTIQ+ locale et les migrant·e·x·s».

Manquements dans la procédure, cadre de vie inadapté dans les centres fédéraux et les foyers, les problèmes rencontrés par les personnes LGBTIQ+ demandant l’asile en Suisse sont multiples. «Certains auditeur·ice·s du SEM (Secrétariat d’État aux migrations) semblent au fait de ces thématiques, et d’autres pas du tout», constate Anis Kaiser, coordinateurice d’Asile LGBTIQ+. «Lors des dernières auditions auxquelles j’ai assisté, les auditeur·ice·s ont agi plutôt correctement en demandant par exemple le genre de la personne requérante d’asile, et s’y sont ensuite tenu·e·s durant toute l’audition. On a toutefois constaté dans certaines décisions d’asile, des confusions entre le travestissement et la transidentité, et les auditeur·ice·s ne semblent pas du tout avoir réalisé l’existence des identités non binaires et queer», déplore Anis.

«Il n’est pas rare qu’iels ne disposent pas de mots pour se définir»

Dès le dépôt de la demande d’asile, les requérant·e·x·s doivent présenter un profil clair, un récit cohérent et précis, dont chaque point jugé contradictoire par les autorités devra être élucidé. Si l’auditeur·ice en charge du dossier considère certains éléments comme invraisemblables, la crédibilité des motifs d’asile invoqués sera alors mise en doute.

Pour Anis Kaiser, cet état de fait n’est pas adapté aux personnes LGBTIQ+ dont l’orientation sexuelle, l’identité et/ou l’expression de genre relève d’un processus long et complexe: «Iels n’ont pas compris que pour les personnes LGBTIQ+ et d’autant plus en situation de migration forcée, il est rare de pouvoir se situer précisément et dire ‘je suis ça’. Les choses évoluent et bougent, surtout lorsque l’on vient d’un pays où l’on n’a pas forcément eu la liberté de se penser et de se nommer en dehors de l’hétéro-cis-normativité, et où les seuls termes existant pour se définir étaient péjoratifs. Quand les gens arrivent ici [à la permanence], on ne leur demande jamais ‘qu’est-ce que tu es?’, car c’est très violent comme question. Il n’est pas rare qu’iels ne disposent pas de mots pour se définir. Parfois, cela demande des semaines ou des mois pour qu’iels puissent dire par exemple: ‘je ne sais pas si je suis un homme ou une femme, mais je sais que je suis plutôt attiré par des hommes’, et plus tard, peut-être au bout d’un an, après avoir vu de multiples personnes et réalités différentes, iels vont avoir plus d’éléments à disposition pour mettre des mots sur leurs expériences et réalités, qui ne sont pas fixes, uniformes et homogènes. Le SEM attend toutefois de ces personnes qu’elles disent ‘je suis ça, voilà le mot pour me désigner, et je le suis depuis tel âge’. Ces exigences ne collent pas à la réalité du parcours de ces personnes», déplore Anis.

«L’identité et l’expression de genre des personnes requérantes d’asile LGBTIQ+ ne correspond pas à l’imaginaire stéréotypé et occidental du SEM. Le droit à l’autodétermination, tel que suggéré par les lignes directrices internationales, notamment du HCR, devrait être systématiquement appliqué. Dire à une personne qui a fui une situation de persécution et mis sa vie en danger qu’au final, elle n’est pas ce qu’elle prétend être est extrêmement violent!»

Interprètes mal à l’aise
Aude Martenot, chargée de projet à l’ODAE romand (l’Observatoire du droit d’asile et des étrangers) dénonce également une prise en charge inadéquate des requérants d’asile LGBTIQ+. «Il arrive que ces personnes se voient répondre qu’en dissimulant leur orientation, elles pourraient vivre en sécurité dans leur pays. Au niveau des droits humains, de l’ONU, devoir cacher sa situation est pourtant reconnu comme une forme de violence inacceptable, et ce type de réponse est donc assez choquant de la part du SEM. On remarque aussi que les interprètes sont souvent mal à l’aise avec la thématique LGBTIQ+ et les propos qu’ils doivent traduire à la première personne. Cela nuit malheureusement à l’ambiance générale de l’audition et à la traduction.»

Léo, originaire de la Côte d’Ivoire, a fait l’expérience de cette procédure, en déposant une demande d’asile au centre fédéral de Boudry en juin 2021. «J’ai quitté mon pays en avril 2017, et en arrivant ici, je n’étais pas bien. Même de l’Italie jusqu’ici, c’était très dur. Là-bas, tu es obligé de coucher avec n’importe qui, si tu n’as pas envie de dormir à l’extérieur, car tu as besoin d’un toit, d’argent et de sécurité. C’était horrible… Trouver le soutien d’Asile LGBTIQ+ en arrivant ici, me poser un peu et me remettre les idées en place m’a beaucoup aidé. Iels m’ont aussi préparé avant que j’arrive au SEM. Grâce à Maggie, l’avocate de l’association qui est très directe, j’étais prêt à affronter le pire!» s’exclame le trentenaire.

«Le plus pénible dans les centres, c’est la fouille extrême que tu dois subir à chaque fois que tu rentres»

Transféré au centre fédéral de Chevrilles (FR) deux semaines après le dépôt de sa demande d’asile à Boudry (NE), Léo ignorait que la prise de ses empreintes par les autorités italiennes faisait de lui un «cas Dublin», susceptible d’être renvoyé à tout moment vers l’Italie. «Le plus pénible dans les centres, c’est la fouille extrême que tu dois subir à chaque fois que tu rentres, jusque dans tes chaussures et ton caleçon! Ça ne m’était jamais arrivé avant. C’est comme si on me déshabillait et que je revivais les mêmes scènes d’horreur que par le passé… En plus, quand tu ne fumes pas et bois rarement, que tu sais que tu n’as rien, mais qu’on te fouille comme ça, tu as l’impression qu’on te fait quelque chose de mal… Heureusement, je peux appeler Anis et Laura qui me remontent le moral. Grâce à elleux j’ai pu me sentir mieux».

Une fois le délai du renvoi Dublin échu, s’il n’a pas été renvoyé en Italie, Léo passera en procédure nationale et sera transféré dans un foyer cantonal, à Genève espère-t-il. En attendant, il doit effectuer un long trajet pour venir du district de la Singine jusqu’à la permanence des Pâquis. Le centre de Chevrilles étant très isolé, il n’arrive généralement pas à être de retour avant 17h, ce qui lui vaut une sanction.

«Au centre de Chevrilles, les chef·fe·s de Protectas et de l’ORS sont sympas, ils me sourient, c’est plutôt avec ‘les éléments du bas’ que j’ai des problèmes. Il y en a un qui me regarde toujours avec de la haine, comme si je lui avais fait quelque chose, ou que j’étais heureux d’être là! Heureusement, j’ai pu obtenir une chambre individuelle, mais les autres se demandent pourquoi. Je leur réponds ‘je suis malade! (Rires) Et je suis très contagieux!’ Là-bas, je n’ai dit à personne que j’étais de l’association Asile LGBTIQ+, sinon je ne serais pas bien reçu! C’est ma joie de vivre et ma bonne humeur qui fait que tous connaissent mon nom. Peut-être que les assistants ou l’imam ont compris pourquoi j’étais seul dans une chambre. J’y ai mis mon drapeau arc-en-ciel aussi, c’est peut-être pour ça qu’ils ont su!»