La liberté, mais pas n’importe laquelle
Le Genevois Manuel Tornare a été élu au Conseil national pour une deuxième législature. Rencontre avec un humaniste et esquisse de ses convictions.
«Un portrait de moi… ça me fait chier, un portrait. C’est pas intéressant.» Bon, on parle de quoi alors? «Pourquoi pas d’Eddy Bellegueule [Édouard Louis, ndlr.]? Vous connaissez? Il publie son deuxième roman le 6 janvier. C’est un jeune homme de 22 ans, très brillant… c’est un peu mon fils adoptif.» Une autre fois, volontiers. Aujourd’hui, on va parler de vous, M.Tornare, de vos idées et de vos convictions au moins. On ne fera pas une bio, promis.
Qu’est-ce que vous jugez digne d’intérêt alors? «Ce qui se passe autour de l’article 261 bis du code pénal, par exemple». L’article en question condamne les propos ou actes qui incitent à la haine ou à la discrimination envers une personne en raison d’une appartenance raciale, ethnique et religieuse, tout comme l’antisémitisme. Depuis peu, «grâce au travail courageux de Mathias Reynard», conseiller national PS, il s’applique également aux discriminations homophobes. Avec la nouvelle majorité du parlement, son existence est en danger, ce qui inquiète Manuel Tornare: «En gros, tout ce qu’il y a de plus homophobe au parlement, va essayer de le balayer».
Que répond le président de la LICRA-Genève à ceux qui l’accusent de vouloir bâillonner la liberté d’expression? «Je vous rappelle que les jeunes homosexuels se suicident cinq fois plus que la moyenne. La liberté d’expression a ses limites.» À ses yeux, c’est une question de vivre ensemble: «La discrimination engendre la violence et la haine. Exacerbée, on sait très bien où ça conduit». À l’arsenal pénal, il faut encore ajouter l’information. Raison pour laquelle, il a lancé une action de sensibilisation dans les clubs sportifs, lorsqu’il était maire de la Ville de Genève. La liberté, c’est l’une des valeurs essentielles à ses yeux, mais pas celle de «dire n’importe quoi, de mentir et de manipuler».
S’il faut se battre pour les libertés, autant se battre pour celles des minorités, comme celles des couples homosexuels à avoir les mêmes droits que les couples hétéros. Oui, il est pour un mariage pour tous en Suisse, même si, à 64 ans, il est «trop vieux pour ça» et que, personnellement, il n’aurait pas choisi cette voie. «Certains accusent les homosexuels de vouloir singer la famille traditionnelle et bien quoi? C’est leur droit». Il ajoute: «Le PACS, comme le mariage, donne des droits légitimes: vous partagez la vie de quelqu’un·e pendant X ou Y années, il disparaît et vous vous retrouvez sans droit?»
Les conservateurs ont perdu
Peu importe les opposants à ces réformes, ils ont, selon lui, perdu d’avance. «Malheureusement pour les conservateurs, le peuple ne les suit pas: la vision papa, maman, enfant, ça ne correspond plus à la réalité.» Manuel Tornare s’amuse de les voir s’agiter pour conserver un modèle de société qui n’a plus cours.
«Il y a un temps politique.» Parfois, il est temps d’agir, parfois il est temps d’attendre, au risque d’essuyer un échec devant les chambres ou le peuple. C’est la raison pour laquelle, le conseiller national n’avait pas souhaité défendre l’ajout de la transphobie à l’article 261 bis: «La politique c’est l’art du possible. Il faut parvenir à construire des majorités. Si on ajoutait cette clause-là, on savait que l’ensemble du projet capoterait…». Partie remise. Manuel Tornare a toujours refusé d’utiliser son homosexualité comme étendard, même s’il ne s’en est jamais caché: «Je ne veux pas être considéré comme un politicien uniquement étiqueté gay. Je ne suis pas monomaniaque». Son engagement politique dépasse sa simple identité, il découle de ses valeurs: liberté, engagement et autonomie, des valeurs chères à Camus, penseur qu’il admire depuis l’adolescence.
La lutte pour les droits LGBT fait partie d’un tout, avec le combat contre le racisme, le sexisme et toutes les autres formes de discrimination. Ces luttes-là s’inscrivent elles-mêmes dans une vision plus large de justice et de cohésion sociale, de respect; un respect envers les humains, les animaux et la nature aussi. «Il n’y a pas de hiérarchisation des thèmes en politique, tout est important.»
Une dernière question M. Tornare, à vous qui évoluez dans les hautes sphères du pouvoir: Que penser du fameux «lobby gay» et de son influence grandissante dénoncée avec véhémence par les nouveaux réacs du net? «Depuis 2011 que je suis à Berne, j’ai surtout vu la puissance du lobby des assureurs, de l’UBS et des marchands d’armes. S’il y en avait un, je serais plus riche même si je n’ai jamais accepté de ma vie d’être ‹ acheté ›.»
Bistrots et bons bouquins
«Mon QG c’est le restaurant du Jet-D’Eau à la rue des Eaux-Vives», son quartier. «J’y emmène mes amis, Delanoë quand il est de passage». Un endroit que Manuel Tornare apprécie parce qu’il est simple et populaire, sa cuisine familiale et «pas prétentieuse».
Il aime également se rendre au «Nathan Café», un bar gay genevois. Il connaît bien le patron, Yves-Olivier, qui a été son élève, lorsqu’il était professeur de français et de philosophie au collège.
Féru de littérature, le politicien apprécie tout particulièrement les petites échoppes, «celles dont les libraires lisent des livres et en son amoureux». Sa favorite, «La librairie Le Parnasse», rue de la Terrassière.
Oui, on aura pigé qu’Eddy Louis est devenu la nouvelle coqueluche du militantisme radical LGBT et qu’il incarne en lettres majuscules, toute l’arrière-garde des gender studies en France et en Belgique.
Une vraie tête de gondole — à claques– au service de cette secte germanopratine des adorateurs fouco-bourdivins.