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Marques de vie

Alors que les modifications corporelles se démocratisent, qu’en est-il des sensations et des motivations de celles et ceux qui agissent de manière radicale sur leur corps? Annoncent-ils un nouvel âge peuplé de mutants nihilistes? A moins qu’ils ne préfigurent de nouveaux explorateurs de l’intime…

Qui n’a jamais éprouvé un plaisir inavouable à sentir sur son propre corps une excroissance, une blessure, le poids d’un membre plâtré ou à explorer une cicatrice? Des plaisirs presque obscènes, qui rejoignent l’expérience de la modification corporelle délibérée, celle des brandings (marquages au fer), piercings, implants, etc.
Vu du dehors, ces pratiques invitent pourtant à un jugement, le plus souvent négatif. On parle de provocation, de réduire son corps à un instrument sexuel; on trouve ça «crade» ou «kitsch».
A l’inverse, on justifie l’identité «tribale», à l’instar des cultures traditionnelles où l’on coupe, contraint ou marque certaines parties du corps. Reste que lorsqu’on n’est pas né papou ou maori, les modifications corporelles s’imposent selon une tout autre logique.
Engagés dans une démarche personnelle qui relève de l’exploration, de la transgression et de la célébration d’indépendance – face à ses parents, à la société et, peut-être, face au Créateur – Tony, Naton et Cédric nous invitent à la découverte de ces marques indélébiles ou temporaires: celles de la vie. A.G.

Naton

En respirant, ça le rend vraiment vivant
«Je le regarde souvent; des fois, plusieurs fois par jour. Quand je bouge les muscles des épaules, ou juste en respirant, ça le rend vraiment vivant. Je ne pense pas que j’aurai jamais envie de le faire effacer. En fait, mon but c’est de me retrouver comme personne âgée avec ça sur la peau. Je voulais démontrer les deux facettes en moi: l’une méchante et masculine et l’autre, douce et féminine. C’est une réflexion sur mon état d’âme, mon côté masculin et féminin mélangés. Ça marque certaines choses que tu as vécues dans ta vie. Un cap à passer, comme une épreuve initiatique.»

Cédric

Comme un mémento
«Dans certaines ethnies, ces marquages portent l’idée de passage d’un état à un autre. Par exemple, de l’adolescence à l’âge adulte. Moi, au jour le jour, je les oublie complètement. C’est comme des choses qui auraient dû être là depuis le départ.
La scarification, par exemple, c’est un acte brutal, violent – aussi bien physiquement que mentalement. Pourtant, dans l’acte, tu as l’impression que rien ne t’atteint. Tu es dans un état de conscience où tu captes complètement ce qui se passe. Au moment où l’aiguille passe, tout se déroule dans l’intellect. C’est comme quand on dit «Même pas mal!»
Je pense que ce qui m’intéresse, c’est marquer mon indépendance, mais surtout, marquer un événement. J’utilise ça comme un mémento. Il peut y avoir eu un drame, par rapport auquel je vais utiliser la transformation. Je vais choisir un endroit précis. Le piercing entre les yeux, par exemple, c’est quand j’ai assisté à un suicide. Je l’ai vu de mes yeux. Ça a été un traumatisme. Le marquage de la vision était obligatoire parce que ce jour-là, mon regard a changé. Comment, je ne sais pas encore. Mais quand j’aurai compris, je l’enlèverai.»

Tony

Evoluer vers autre chose
«Les gens ont un corps, mais ils ne vont pas plus loin. Ce que je recherche, c’est une évolution personnelle – un changement physique, évoluer vers autre chose. Il y a des personnes qui ont juste des grosses couilles parce qu’ils kiffent là-dessus. Moi, c’est pas pour ça, et même pas pour que les gens regardent. J’avance dans ce que je ressens. La douleur, elle te fait évoluer. Un dépassement des limites personnelles te permet de savoir jusqu’où tu peux aller pour atteindre la perfection, pour aller au bout de ta logique. Aujourd’hui je suis obligé de les soulever avant de m’asseoir! Quand tu marches, tu sens que ça bouge, que ça tire vers le bas. C’est un plaisir… mais ça va au-delà de l’explication.
Je continue à les voir toutes petites… plutôt, je les vois plus! c’est comme si elles avaient toujours été là! C’est pas une question de baise. J’ai totalement changé mon rapport à ça. Avant, je baisais sans m’en rendre compte. Maintenant, c’est différent, j’ai plus envie de baiser de la même manière. J’aime embrasser, caresser, aimer. Quand je suis avec quelqu’un j’aime le contact de cette partie de mon corps, alors qu’avant, je ne m’en préoccupais pas.»

Si je pouvais avoir des arbres qui me poussent dessus…
«Quand on se fait tatouer, on change tout à fait dans la tête. J’ai jeté toutes les photos où je suis pas tatoué. C’est comme si j’avais accompli un passage. Pour ne pas faire de la peine
à mes parents, je ne me suis pas coupé le visage. Sinon, j’aurais fait plein de choses. La langue, je devais la faire couper en deux. C’est un truc courant. Pourquoi? Pour pouvoir la mettre dans les deux narines d’un mec à la fois! Tu sais, si je pouvais avoir des arbres qui me poussent dessus, je le ferais!»