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Aimons-nous? Lettre ouverte à notre communauté

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Ce qui suit s’appuie sur le travail de bell hooks, Angela Davis, Ching-In Chen, Dulani, Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha, Bessel Van Der Kolk et Margeaux Feldman. Ce texte est nourri par mon expérience personnelle en tant que personne blanche, assignée femme à la naissance, queer et pan.

 «Comment c’est possible que tu te comportes de façon si violente avec moi mais pas avec tes potexs et ta famille?
— C’est normal car je t’aime. Plus que tout! Et avec elleux c’est différent.»1
 

C’EST QUOI L’AMOUR?

Il n’y pas de sujet plus au centre des chansons, textes et films que nous consommons. La culture pop, les media et notre société capitaliste, raciste, validiste, sexiste et cis-hétéronormative nous gavent d’images mystifiées de l’amour comme étant une passion dévorante que personne ne peut contrôler ni comprendre. Le sacrifice, la dépendance, la jalousie et la possessivité sont perçus comme les preuves mêmes de l’intensité des sentiments des amoureusexs. On nous fait croire que l’autre doit nous compléter, satisfaire tous nos besoins affectifs et sexuels et donner du sens à notre vie. Dans ce jeu amoureux, tous les moyens sont permis, au nom de l’amour. Mais qu’est-ce qui se cache derrière cette représentation du grand love?
 
Si nous ôtons nos lunettes roses, il s’agit d’une vision transactionnelle de l’amour qui valide, romantise et célèbre des comportements destructeurs envers autrui et nous-mêmes. Du point de vue queer-féministe, nous sommes touxtes d’accord pour lutter contre toute forme d’oppression sociale. Or, quand il s’agit de relations interpersonnelles et amoureuses, les comportements de domination sont souvent minimisés et ignorés sous prétexte qu’ils appartiennent à la sphère privée. Pourtant, dans nos intimités, nous ne sommes pas à l’abri des rapports de force et autres pathologies sociales comme la masculinité/féminité toxique, l’individualisme, le narcissisme… Si nous voulons créer une société juste et bienveillante, où chacunex aurait les mêmes droits, protections, libertés et opportunités, il ne suffit pas de remettre en question la domination au niveau socio-politique. Il faut la questionner sur le plan personnel également.
  

C’EST QUOI L’ABUS?

Bien que MeToo ait ouvert une conversation publique sur le sexisme et les abus sexuels dans des contextes professionnels, la violence domestique reste un sujet tabou, chargé de honte et de culpabilité. Sur les médias sociaux, nous utilisons facilement les adjectifs «toxique» et «abusif» pour cancel des personnes aux comportements problématiques. Mais au fait, c’est quoi exactement l’abus au sein d’une relation?
 
L’abus décrit une situation relationnelle asymétrique où une personne est en position de domination au détriment d’une autre, qui est maintenue dans un climat de vigilance et de peur constantes. Toutes les actions – positives ou nocives – de la personne abusive sont soumises à une volonté consciente ou non d’établir et de maintenir le contrôle sur l’autre personne afin de satisfaire ses propres besoins sexo-affectifs ou ses aspirations personnelles. Les violences plus ou moins visibles peuvent être psychologiques, émotionnelles, verbales, sexuelles ou physiques. Les stratégies abusives comprennent le minage ou non-respect des limites de l’autre, les mensonges, l’intimidation (lever le ton, éclater de rage, briser des objets), le chantage affectif, les menaces (abandonner l’autre, se faire du mal à soi-même ou à autrui), les projections (faire des fausses accusations, dépeindre l’autre comme la cause et responsable des actes violents), l’antagonisme (constamment critiquer l’autre, s’opposer à la résolution de conflits), les insultes (souvent déguisées comme de l’humour ou du souci), le dénigrement, les triangulations, le gaslighting (forme de manipulation cognitive qui sert à faire douter l’autre personne de sa mémoire, de sa perception du réel et de sa santé mentale), l’isolement (réduire les libertés de l’autre, lui interdire de parler à des personnes tierces) ainsi que les actes de violence physique et sexuelle.
 
Comment est-il possible qu’une personne reste volontairement dans une situation si destructrice, voire mortelle? Le fait est qu’on ne tombe pas amoureusex d’une personne qui est immédiatement et ouvertement abusive. Les comportements de contrôle et de violence s’installent en général de façon très lente et subtile, après la création initiale d’un lien intime de confiance extrêmement fort, voire fusionnel. Les manipulations et critiques constantes détruisent au fur et à mesure la confiance et l’amour-propre de la personne qui subit les abus. L’alternance entre les beaux moments et les violences créent une addiction physique et psychique comparable, en puissance, à l’addiction à l’héroïne. En outre, les personnes justifient souvent les actes violents par leurs souffrances personnelles, se peignent comme victimes et misent sur l’empathie pour empêcher l’autre personne de les quitter.
 
Dans nos communautés militantes, le sujet de l’abus au sein de relations intimes est particulièrement tabou, car il y a la volonté de prouver que les relations entre personnes queer sont saines et éthiques, afin de contrer les stéréotypes queerphobes. Cependant, diverses statistiques montrent que les personnes queer et trans* ont un plus grand risque d’être victimes de violence domestique (par exemple 61% des femmes bisexuelles comparé à 35% des femmes hétérosexuelles2). Ceci n’est pas surprenant si l’on considère que la communauté LGBTQIA+ regroupe des personnes qui ont touxtes accumulé des traumas à cause de violences interpersonnelles vécues en privé ou causées par l’expérience d’oppressions systémiques. Iels peuvent donc les reproduire dans leurs relations sexo-affectives. En outre, certaines personnes queer instrumentalisent les discours politiques de wokeness et du care ou utilisent leurs identités marginalisées pour justifier leurs actes violents envers autrui.
  

AIMONS-NOUS!

L’abus dans notre communauté est omniprésent. Or, les remèdes institutionnels et thérapeutiques adéquats et sensibilisés aux expériences spécifiques des personnes queer dans des situations de violence domestique sont quasi inexistantes. Si nous voulons combattre l’abus et rendre les espaces queer plus safes pour nous touxtes, il est urgent de réunir nos forces pour nous organiser collectivement de l’intérieur et adresser ensemble les questions suivantes:
 
Comment pouvons-nous créer plus de sensibilisation pour débanaliser et prévenir la violence intime? Que faut-il faire pour que les victimes d’abus soient crues, validées, protégées et soutenues dans leur guérison? Par quels processus collectifs de justice restauratrice et transformatrice les personnes à comportements abusifs peuvent être responsabilisées et accompagnées humainement? Comment pouvons-nous reconnaître nos traumas respectifs comme une vulnérabilité partagée afin de nous tenir mutuellement responsables de nos comportements? Comment ne pas infliger la même violence que nous avons subie dans nos passés aux personnes que nous aimons aujourd’hui? Comment pouvons-nous apprendre à nous aimer les unexs les autrexs – avec bienveillance, courage, respect, générosité, sans peur et avec tout notre cœur?
 

[1] retranscription d’un échange avec unex anciennex partenairex queer à comportements psychologiquement et émotionnellement abusifs
[2] chiffres issus de l’étude An Overview of 2010 Findings on Victimization by Sexual Orientation, conduite par les Centers for Disease Control and Prevention (États-Unis) dans le cadre du National Intimate Partner and Sexual Violence Survey