Une chatte sur un toit brûlant
Au fil des jours, je tente de régler le plus de choses possibles pour pouvoir vivre pleinement l’heure de ma mort sans être encombrée par des pensées parasites.
Dernièrement, le souffle du Dragon m’a frôlée. Son haleine semblait vouloir m’emporter. Suspendue comme en apesanteur sur mon balcon, je sentais le brasier tout consumer autour et en dessous de moi, ne sachant si mon enveloppe humaine pourrait lui échapper. Cinquième étage: dans la nuit, réveil brusque. Cris de femmes dans l’immeuble. Me lever, ouvrir la porte, leur porter secours. Fumée noire, incendie. Impossible de descendre par l’escalier. Refermer, calfeutrer, empêcher la fumée d’entrer. M’habiller, sortir sur le balcon, attendre les secours. Reflets de flammes, bras de fumée qui surgissent du toit, de tous côtés, m’enlacent, me repoussent par moment vers l’intérieur. Sirènes, pompiers en grand nombre, lutte acharnée contre le brasier. Ballet d’échelles qui se dressent, cherchent un passage entre les câbles de l’éclairage pour évacuer les habitants. Nombreux enfants. Dans ma tête, Brigitte Fontaine chante «C’est Normal». Étrangement calme. Le temps suspend son vol. Sensation que les flammes approchent. Arrivée de la nacelle, un pompier me tend le bras. Escalader la balustrade. Pas de vertige. Descente lente vers le sol. Hors de danger, je suis en vie. Dans le bus où on nous a regroupés, en attendant que l’on contrôle ma tension et le rythme de mes pulsations cardiaques, deux images se disputent mon esprit: celle d’une hérétique sauvée in extremis du bûcher et celle d’un oiseau mythique qui renaît de ses cendres. Née sorcière, la première aurait dû me séduire. C’est la deuxième pourtant que j’ai choisie, car s’il manquait encore quelque chose à mes ailes de fée, c’était peut-être bien la flamboyance des couleurs du Phœnix.
«Ce que la chenille appelle la fin du monde, le Maître l’appelle un papillon»
Richard Bach, «Le Messie récalcitrant»