Clubs gays et R&B: le choc des cultures?
R&B et homo, deux mondes que tout oppose. Le parloir du MAD – tous les deux mois – tente pourtant de marier ces deux modes de vie.
Voitures de sports rutilantes, jeunes filles légèrement vêtues, lourdes chaînes en or sur le torse de ces messieurs, le phénomène R&B joue sur l’image. Plus accessible que le hip-hop de par l’insertion de mélodies et la douce utilisation de textes politiquement plus corrects, ce nouveau genre musical représente une véritable aubaine pour l’industrie du disque. Les radios en raffolent, les disquaires s’en frottent les mains, la mouvance dorée de cette nouvelle génération de contestataires enregistre un indéniable succès populaire. Néanmoins, sous cette sagesse apparente se cache une imagerie assurément «macho». Nombreux sont les clips mettant en scène de belles demoiselles qui se dandinent un peu bêtement sur les capots des bolides, pendant que les mâles jouent du regard et imposent leur domination. Homo et R&B? Deux mondes différents, mais qui, étonnamment, se retrouvent tous les deux mois au MAD de Lausanne lors des désormais célèbres soirées «Jungle».
En effet, depuis le printemps de cette année, une innovation de taille est venue quelque peu changer les habitudes de nos clubbers dominicaux: un parloir baptisé «Urban soul». Ce récent mariage entre musiques électroniques et sonorités de rue trouve sa source dans les milieux hype de notre chère planète: «Un soir à Paris, je suis allé dans une boîte qui proposait une programmation R&B. J’ai trouvé l’idée originale et de là est né le concept de proposer le même genre d’ambiance à Lausanne. Dès lors, il nous a fallu trouver quelques idées sympas pour que le floor soit agréable», se rappelle Cédric Bruederli, co-organisateur des soirées Jungle au MAD.
Mâles à l’aise
Mêlant harmonieusement le côté chic de la mouvance R&B – scintillement de carrosseries assuré et port de casquette obligatoire – et l’esprit urbain du Hip-Hop, la réalisation de la décoration du parloir du MAD a permis de relever les premiers malaises entre les milieux homo et R&B: «Nous avons fait appel à un taggeur pour qu’il réalise une fresque décorative. Pour le remercier de son travail, nous l’avons naturellement invité à l’inauguration du parloir Urban Soul. Sa réaction n’a pas tardé, il est resté au grand maximum trois minutes et est reparti! Les gens du milieu hip-hop ou R&B ne sont pas spécialement allergiques à l’univers homo, mais il faut avouer qu’ils s’y sentent un peu mal à l’aise.»
Afin d’amener une touche supplémentaire de sauterie en tout genre, les organisateurs ont opté pour des prestations de breakdance improvisées: «A New York, il est fréquent de voir en club des bandes s’affronter symboliquement en dansant à tour de rôle au milieu de la piste. Nous avons donc pensé approcher ce genre d’ambiance en accueillant une troupe de la région: les Enfants Perdus. Nous avons voulu miser sur le côté imprévisible, les performers se mêlent aléatoirement à la foule au fil de la soirée», souligne Alex Herkommer, co-initiateur du projet.
Bande d’amis avant tout, les membres des Enfants Perdus sont un collectif lausannois de breakdancers formé en 1998. Ils se souviennent sans difficulté de leur premier passage au MAD dans le cadre des «Jungle»: «C’était la galère! Les gens buvaient et renversaient leurs boissons sur la piste. On a failli se tuer au moins dix fois tellement c’était glissant! A part cela, les gens étaient plutôt réceptifs, même si certains paraissaient un peu choqués», raconte Krevette, l’un des membres les plus actifs de la troupe. Et son compère Nice Kid d’ajouter: «Un gars est venu vers moi et m’a demandé pourquoi on était là. C’était un ancien breakeur. Pour nous, il n’y a pourtant pas de différence! On se produit de la même manière pour un public homo ou hétéro. La mentalité est cependant différente, on ne voit pas de bagarres dans les soirées gaies, les gens sont peace.» Quant à Fab, autre danseur du groupe, il confie: «Les gays voient et sentent les hétéros. Et si les gens ne savaient pas comment réagir au début, ils ont apprécié nos shows. C’est un public peut-être un peu plus méfiant car ils ne nous connaissaient pas avant.»
Voilà pour le discours officiel. Mais au-delà de la bonne volonté de l’ensemble de la troupe, certaines phrases rencontrées au détour d’une question ne laissent pas de doute sur un certain malaise: «Le public homo ne me dérange pas puisque même Missy Eliott est – paraît-il – lesbienne. Chacun a le droit de faire ce qu’il veut. Mais pour être franc, les dimanches au MAD, c’est un peu Wood-stock!», éclate de rire Krevette. Si, en apparence, la communion est des plus idéales, certains clichés semblent donc perdurer au-delà des styles musicaux. Et quand on leur fait savoir que l’interview est destinée à un journal à sensibilité homosexuelle, les rires fusent et les ricanements se multiplient. «Non, on n’a rien contre les pédés! Mais bon, on savait juste pas que c’était pour ce genre de magazine!», tente de nuancer Nice Kid.
La prochaine nuit «Jungle» – prévue le 24 décembre de cette année – devrait une nouvelle fois mêler deux ambiances différentes et réunir l’espace d’un soir deux mondes qui ont encore de la peine à se comprendre …