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Sachez-le, les squats profitent à l’économie

Les squats genevois, Artamis ou les coopératives de logements ne sont pas que des expériences culturelles. Parce que des indépendants peuvent y travailler à faible coût, ils contribuent largement à l'économie.

A 45 ans, Fabien N. a décidé, il y a quelques années, de réaliser le rêve de sa vie: ne plus être un enfant modèle qui a fait de longues études pour occuper un joli métier. Cet ancien chercheur à l’Université s’est lancé dans la déco d’intérieur. Tout seul dans son atelier, il dessine des meubles, trace des plans et compose les couleurs. Fabien N. est un autodidacte, qui, depuis six ans, est parvenu à vivre de son boulot.

Oh, pas seulement parce qu’il a trouvé des mandats – des petits trucs et des plus gros chantiers -, mais aussi et surtout parce qu’il habite à Grenus, dans un appart à 500 francs par mois, et qu’il bosse dans un atelier à 150 francs.

Or, aujourd’hui, Fabien N. doit déménager. Le quartier, après avoir fait l’objet de multiples projets immobiliers, voire spéculatifs depuis la fin des années 70, va désormais être rénové. Depuis plus de quarante ans, les immeubles n’ont jamais été entretenus; certains d’entre eux tombent carrément en ruines.
Alors, même si l’association du quartier de Saint-Gervais a obtenu des rénovations dites légères et le passage des loyers en HLM, l’appart de Fabien montera à 1200 francs, au moins. Et le petit patron de sa PME qu’il est n’aura plus droit à son atelier. Compte tenu de son chiffre d’affaires et de la crise qui frappe la construction, Fabien N. peut, peu ou prou, mettre la clé sous le paillasson.

Les frais fixes de logement ne lui permettent tout simplement plus de tourner… Or, comme il l’explique lui-même, «ce boulot ne me fait pas seulement vivre, moi. Mais, suivant les mandats, je donne du travail à d’autres corps de métier, le peintre, la courtepointière, l’électricien ou la couturière».

L’année dernière, les affaires ont, par exemple, particulièrement bien fonctionné. Fabien dégageait un revenu mensuel de 3000 francs, mais surtout, durant des mois, un peintre en bâtiment a obtenu la moitié de son salaire grâce à ses chantiers.

Et, dans son cas, Fabien N. est loin d’être le seul. A Genève, près d’un tiers du parc immobilier est constitué de logements dits bon marché, c’est-à-dire, en termes économiques, largement au-dessous du prix réel du marché. Le blocage des prix, après la Seconde Guerre mondiale, est pour beaucoup dans cet état de fait, qui vaut également pour un certain nombre de locaux artisanaux ou industriels.

Trente stades de foot de locaux vides
Les faillites dans la machine-outil, les concentrations dans le tertiaire ou le déménagement des Services industriels par exemple ont, de plus, libéré des milliers de mètres carré de foncier. Or, depuis le début de la crise économique, en 1990, et surtout l’effondrement de l’immobilier suite à l’explosion de la bulle spéculative, Genève, en ce qui concerne les locaux commerciaux, croule sous les bureaux ou les usines vides. Leur quantité, mise bout à bout, dépasse les trente stades de foot!

Cette pléthore de locaux a sans doute permis à des centaines, voire des milliers de salariés licenciés et exclus du marché du travail de se lancer comme indépendants. Et donc, de ne plus pointer au chômage, de faire vivre leur famille et, comme dans le cas de Fabien, d’assurer une partie de boulot pour d’autres personnes qui, elles-mêmes, feront vivre d’autres gens.

En théorie économique, cela s’appelle l’effet multiplicateur d’un investissement. On estime communément que pour un franc investi – par l’Etat ou le privé – dans un moyen de production, la collectivité en récolte trois. En outre, dans ce calcul, il n’est même pas pris en compte les économies réalisées par l’Etat en dépenses sociales (quelque 650 millions de francs en 1997 par le seul canton de Genève). Pas plus qu’on ne comptabilise les recettes fiscales fournies par ces travailleurs indépendants.

Couper les ailes à Fabien N., le condamner à la faillite pour le simple fait qu’il ne peut plus se payer un appart est donc une absurdité économique totale… Dans le pire des cas, mais il n’est pas rare, Fabien devra demander une aide sociale à l’Hospice général, car les indépendants n’ont pas droit au chômage et qu’à 45 ans aujourd’hui, on peut oublier réaliser une reconversion professionnelle digne de ce nom.

Microsoft dans un garage
L’existence de locaux commerciaux ou industriels bon marché profite donc à l’ensemble de la communauté. L’anecdote veut que Bill Gates ait démarré Microsoft dans un garage, quelque part en Californie. Il est aujourd’hui l’homme le plus riche du monde et fait travailler des dizaines de milliers de personnes. L’un des rôles de l’Etat pourrait donc être de promouvoir ce type de locaux. Non par altruisme – on l’a vu, un franc investi dans un outil de production en rapporte trois – mais par bon sens économique. Promouvoir, ici, peut signifier le subventionnement des propriétaires qui ont, eux, droit à un rendement équitable. Mais surtout déréglementer…

Le mot, certes, a mauvaise presse. Or, déréglementer peut également signifier cesser de créer des réglementations tatillonnes, des normes d’hygiène insensées et hors de prix, et des obligations de construction délirantes. Si Bill Gates avait été Suisse, jamais il n’aurait reçu l’autorisation de commencer une entreprise dans un dépôt… L’hypocrisie actuelle veut que les squats ou Artamis coûtent de l’argent à la collectivité – le débat lancé récemment quant aux pertes des SI sur l’électricité et le gaz est à la hauteur de ce cliché. La réalité est ailleurs. Il est plus que temps d’entamer une véritable étude quantitative de ce que ces nouveaux indépendants rapportent réellement.