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Un corps au poil

Un corps au poil

L’été est là, avec sa cohorte de corps bronzés… et (quasi) pas un poil à l’horizon, car tout le monde ou presque a fait de la lutte anti-pilosité sa priorité. Mais le combat ne date pas d’hier.

Certain(e)s chanceux/ses se battent contre lui toute leur existence tandis que d’autres le regardent prospérer avec joie ou indifférence: qu’on l’aime ou qu’on veuille sa peau, le poil est une constante de notre existence. Normal: nous disposons du même nombre de follicules pileux – la cavité dans laquelle naît le poil – que notre cousin le singe. Heureusement, nos poils sont devenus bien plus fins que les siens au cours du temps, grâce semble-t-il à la découverte du feu qui nous a réchauffés autrement que par notre pelage originel. Ouf, car nous craignons toujours d’être confondus avec les primates dont nous descendons: laser, rasoirs, cire, tout est bon pour se débarrasser d’un poil que nous ne saurions voir.

Du poil, mais pas trop
«Ces dernières années, les soins se sont développés au point que tout le monde vient se faire épiler. L’usage du laser et la multiplication des centres low-cost ont créé un énorme buzz», constate Florence Masson, dermatologue au Centre de dermatologie de Cornavin à Genève et à Annemasse depuis une dizaine d’années. Certaines femmes, surtout hétérosexuelles adoptent l’épilation intégrale, une solution qui peut faire réfléchir, le poil pubien étant tout de même ce qui distingue le sexe d’une femme adulte de celui d’une fillette prépubère…

Du côté des lesbiennes, il semble que la tendance soit plutôt à l’épilation partielle. D’ailleurs, la nouvelle coupe qui fait fureur en 2016 selon le «New York Magazine», c’est le Full-Bush Brazilian, soit le fait de n’ôter que les poils qui dépassent de la ligne du maillot ainsi qu’au sud du pubis, sans toucher à leur quantité.

Manscaping périlleux
Chez les hommes, on se préoccupe de plus en plus de sa pilosité. Chez les hétéros comme chez les homos, la tendance est à la barbe comme la portent les bears ou les otters, même si le reste du corps est toujours plus épilé. «Les messieurs demandent facilement à ôter les poils des aisselles, parfois du dos ou des épaules, des zones du corps plus délicates. L’intégrale, en revanche, ce n’est pas très commun. Il y a peut-être une gêne à demander», suppose la dermatologue.

Snapchat, Tinder et le recours au sexting pour draguer poussent cependant certains hommes à s’entretenir dans les moindres recoins. Aux Etats-Unis, on appelle ça le manscaping, ou «aménagement du paysage masculin». Une activité à risque notamment pour les testicules, mais que ne ferait-on pas pour plaire?

«L’histoire ne tient qu’à un cheveu»

L’éclairage d’un spécialiste sur la délicate histoire du poil.

L’historien Joël Cornette  ©DR
L’historien Joël Cornette ©DR
Le poil, ça le connaît: Joël Cornette, historien spécialiste de l’histoire moderne (XVIe et XVIIe siècles) à l’université Paris VIII, en a carrément fait une encyclopédie avec sa consœur Marie-France Auzépy. L’occasion de constater l’intérêt en tout temps et en tous lieux pour cette folle excroissance.

360° – Pourquoi se préoccupe-t-on tellement de ses poils?
Joël Cornette – Parce que c’est le seul élément du corps, avec les ongles, dont on est maître et que l’on peut travailler. Se mettre en valeur passe forcément par le cheveu, l’épilation ou au contraire, la pilosité. On le voit dans toutes les sociétés du monde. En Afrique, certaines ethnies utilisent le chignon ou la tresse pour envoyer un message. Au Soudan par exemple, une femme qui porte une tresse couchée ou qui se rase la tête indique qu’elle est veuve. Mais il n’y a pas besoin d’aller si loin pour constater que le cheveu est un indicateur de groupe. Alors que les footballeurs de l’équipe nationale française portaient les cheveux longs en 1998, ils ont aujourd’hui le crâne rasé. Les exemples ne manquent pas!

–Chez les juifs, les musulmans ou certains religieux chrétiens, le port de la barbe est obligatoire. Le poil au fond, c’est un signe de pouvoir masculin?
– Oui, et un révélateur de sainteté. Loin de moi l’idée que les talibans soient des saints, mais par leur excès pileux, ils entendent exprimer leur rapport au djihad et à Dieu. On retrouve le même lien au poil dans l’Ancien Testament qui le légifère strictement. Les nazirs – une catégorie de juifs qui avaient un statut religieux à part et avaient fait vœu d’ascétisme – n’avaient pas le droit de se raser. C’est l’histoire de Samson, qui tirait sa force de sa longue chevelure jusqu’à être trahi par Dalila qui fait couper ses cheveux; il est alors mis en prison. Il y a une symétrie dans le rapport entre excès et absence de pilosité. Alors que chez les chrétiens byzantins portent la barbe comme signe religieux, ce n’est pas le cas chez les chrétiens romains et le bouddhisme fait même l’inverse: c’est le crâne rasé qui est signe de sainteté. Cependant, l’absence de cheveux peut aussi signifier l’indignité. Voyez ces femmes qui avaient couché avec des Allemands et dont on rasait la tête au sortir de la seconde Guerre Mondiale, ou les bagnards qui avaient le crâne rasé! Le cheveu est une diversité incroyable, une grammaire infinie.

–Reste qu’un sexe poilu est toujours tabou…
– Oui, parce que le poil est synonyme de sexualisation. Les représentations d’un Christ nu avec un sexe poilu sont une vraie rareté et voyez comme le tableau de Gustave Courbet, L’Origine du monde, a choqué: on y voyait des poils pubiens, c’était considéré comme obscène! Aujourd’hui, le poil est nettement plus censuré que l’acte sexuel lui-même et ce, jusque dans le cinéma. L’apparition de Sharon Stone dans «Basic Instinct» reste à ce titre dans tous les esprits: on a osé suggérer que sous sa jupe, il y avait du poil… ce tabou est commun à toutes les civilisations. On voit par exemple dans des tableaux du XVIe siècle décrivant le harem que les femmes ont beau être nues, elles n’ont pas un seul poil! Une femme à barbe, c’est un monstre. On est entre la répulsion et la valorisation.

– Dans le poil, il y a donc un grand potentiel subversif!
– Oui, comme le montrent la révolte des femmes dans les années 1920 qui affichaient une coupe à la garçonne et les jeunes hommes chevelus des années 1970! J’entends encore mon père me crier: va te faire couper les cheveux! (rire).

– Le poil est un instrument de liberté. Il est aujourd’hui menacé par le laser, les rasoirs… le poil a-t-il un avenir?
– Absolument, car son existence même est liée à celle de l’humanité qui ne cesse de le raccourcir, de l’allonger, de le façonner. En ce sens, l’histoire ne tient qu’à un cheveu! Propos recueillis par AJ

» «Histoire du poil», Joël Cornette et Marie-France Auzépy, éditions Belin, 2011