Séropositifs et AI: réinsertion à marche forcée

«Le VIH/Sida est désormais une maladie chronique.» Basée sur le formidable développement des multithérapies, cette affirmation prononcée dans les forums internationaux et dans les médias depuis quelques années suscite des sentiments mêlés parmi les premiers concernés, les PVA (les «personnes vivant avec»), et surtout de vives craintes sur l’avenir de leur prise en charge. A PVA-Genève, une structure d’entraide destinée aux personnes séropositives, Alex* s’en fait l’écho: «Quand ces déclarations sont parues sur le fait que le sida était désormais une maladie chronique, les gens ici ont été scandalisés. On s’est dit qu’en banalisant tellement cette maladie, on arriverait au jour où l’on devra payer 50% de nos médicaments.» «Banalisé», le VIH/Sida est toutefois en passe de l’être dans un domaine en particulier: l’AI, l’assurance-invalidité.

Si l’AI verse une rente à environ 30% des personnes contaminées en Suisse, soit quelques milliers de personnes, ce type d’assistance est devenu depuis quelques années quasiment impossible à obtenir pour les PVA. Jean-Pierre Sigrist, membre du comité de PVA-Genève, explique: «Les dossiers sont de plus en plus sévèrement épluchés par les médecins de l’AI qui appliquent régulièrement leur droit de voir la personne en cas de doute et de donner un avis contraire à celui du médecin traitant – ce dernier ne peut plus guère que faire recours à la décision de l’AI jusqu’à épuisement de la procédure.» Le durcissement des conditions d’octroi de rentes intervient alors que l’AI a, dans le cadre de sa 5ème révision, commencé à réduire ses dépenses, avec pour premier objectif de freiner le nombre de nouvelles rentes accordées.

Rouleau compresseur
L’AI ayant été proposée d’office aux personnes atteintes par le VIH jusqu’au début des années 90, certains touchent aujourd’hui ces rentes depuis plus de 15 ans. Ils ont maintenant du souci à se faire: «Le rouleau compresseur voulu par Couchepin est aujourd’hui plus que jamais lancé. Il cible tout particulièrement la tranche d’âge des 30-50 ans qui risquent d’être remis au travail d’une manière ou d’une autre», avertit Jean-Pierre Sigrist. «Il n’est un secret pour personne que les médecins traitant des personnes séropositives débordent aujourd’hui de demandes en révision et ceci dans des proportions jamais vues depuis des décennies.» Olivier*, contaminé en 1988, est à l’AI depuis plusieurs années. Il s’indigne qu’on le soupçonne d’être un profiteur: «Accepter d’être à l’AI, ce n’était pas évident au départ. Et aujourd’hui, on te fait culpabiliser d’y être. Moi, j’ai l’impression de bien vivre parce que je respecte mon rythme. Je ne pense pas que je serais dans cet état de santé si j’avais été obligé de travailler à 100%.»

Dans un marché de l’emploi hyperconcurrentiel, la réinsertion des anciens rentiers AI prend des allures de casse-pipe: que faire, lorsque son CV a des lacunes béantes, que ses compétences techniques sont dépassées, que l’on a une capacité de travail réduite? Pour la plupart des intervenants et des personnes concernées, les mesures d’aide à la réinsertion mises en place par l’AI sont encore dérisoires. «Il n’y a aucune gestion des cas individuels», confirme Michèle Meyer de la nouvelle association de PVA nationale LHIVE (voir page suivante), «Il faut vraiment donner du temps et des moyens. Personnellement, cela fait cinq ans que j’essaie de revenir dans la vie active. Mais sans diplôme, tout ce que je pourrais faire c’est le service dans un bar et là, je sais que je tomberais vraiment malade.»

Certains membres de PVA n’hésitent pas à parler de l’AI comme d’un «piège». Contaminé en 1999-2000, Alex s’accroche à son boulot actuel: «Une fois qu’on est à l’AI, on est grillé. Les gens ont été laissés de côté pendant des années et tout d’un coup, il faudrait qu’ils travaillent… qu’ils assument la maladie, les médicaments, le stress d’un boulot à 100%, la demande de performance et le regard des autres…» Et Alex sait de quoi il parle. Mobbé par son ancienne patronne qui avait appris sa séropositivité, il a été forcé de quitter son job précédent.

Précarité croissante
Des entreprises privées aux institutions publiques, on ne se presse pas au portillon pour aménager des postes à temps partiel et autres dispositions spéciales à l’intention de personnes sortant de l’AI. Autant dire que l’on risque de retrouver bientôt beaucoup de ces personnes au chômage, puis dans des programmes d’assistance sociale… Or, les associations d’entraide et de soutien aux PVA accueillent une population déjà fortement marginalisée et vulnérable. A PVA-Genève, les quelques bons alimentaires dont dispose l’association sont «pris d’assaut», une situation que Patricia Grigolin connaît aussi à SID’Action Lausanne: «Ce qui augmente de manière significative, c’est la précarité financière. On aiguille de plus en plus de gens auprès des Cartons du cœur, ou des moyens d’obtenir des soins basiques pour les dents, les lunettes ou certains produits qui aident à une bonne qualité de vie.»

Fait significatif, en avril dernier trois Genevois séropositifs bénéficiant de l’AI s’étaient retrouvés privés de traitements pour n’avoir pas pu payer leurs cotisations d’assurance-maladie et leur participation aux frais. L’incident avait mis en lumière la situation extrêmement précaire de PVA touchant une rente AI souvent très modeste. Des cas qui remettent brutalement en cause la banalisation du VIH/Sida et soulèvent de graves interrogations pour l’avenir.

* Noms d’emprunt

PVA-Genève. Association par et pour les personnes séropositives proposant écoute, conseils, activités conviviales et de bien-être. Tél. 022 906 40 30 http://mypage.bluewin.ch/pva
SID’Action Lausanne. Accueille toutes les personnes concernées. Soutien et services aux personnes séropositives. Tél. 021 341 93 33 www.sidaction.ch
Répertoire des organisations régionales actives dans le domaine du VIH/Sida: www.sida-info.ch

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