Pourquoi les hétéros regardent-iels du porno gai?
Les chiffres le montrent: les hommes et les femmes hétérosexuel·les sont particulèrement enclin·es au visionnage de porno gai et lesbien, respectivement. Rencontre avec ces hétérocurieux bien plus nombreux·ses qu’on pourrait le croire.
Quand on pose à internet la question «mais pourquoi diable les hétéros regardent-ils du porno gai?», on se retrouve avec étonnement face à une myriade d’internautes rongés par l’angoisse, qui confient sur divers forums visionner régulièrement voire exclusivement des films érotiques gais. Des hommes assurant pourtant n’être attirés que par des femmes «dans la vraie vie», mais aussi des femmes se demandant pourquoi seul le porno lesbien les excite alors que leur partenaire les satisfait totalement (elles tiennent généralement à l’assurer avec force vigueur).
Les résultats des enquêtes d’usage vont dans le sens de ces questionnements existentiels: les individus sont globalement émoustillés par les personnes du même genre qu’eux. Chez les femmes, le tag «porno lesbien» se retrouve en tête des recherches, d’après les chiffres de Pornhub. Dans le top 10, on note également un attrait particulier pour la position lesbienne des ciseaux. Les hommes ne sont pas en reste: d’après une enquête YouPorn menée en 2018, les hommes hétérosexuels passent près d’un quart de leurs activités récréatives pornographiques à regarder des films gais. Et pour ne rien gâcher, on sait aussi que les femmes hétérosexuelles sont particulièrement friandes de vidéos relatant les folles aventures érotiques d’hommes ensemble, puisqu’un quart des recherches en la matière est réalisé par des femmes.
Mais qui sont ces personnes hétérosexuelles des quatre coins de la planète qui fantasment en secret sur les girls and gays de ce monde? Pourquoi recherchent-iels ce type de contenu? Sont-iels vraiment hétéro ou ont-iels juste internalisé une dose considérable d’homophobie?
Afin de mener l’enquête, j’ai interrogé des hommes et des femmes s’identifiant comme hétérosexuel·les et je leur ai demandé les raisons de ce goût singulier pour les sexualités qu’ils ne veulent a priori «pas vivre dans la vraie vie», comme me l’a expliqué Nathan, 25 ans. Le jeune homme, qui indique ne visionner «que du porno gai» mais n’être sorti «qu’avec des femmes» tout au long de sa vie, précise: «Je le vis à la fois comme un intérêt esthétique et comme une sorte de transgression subversive. Je trouve qu’il y a une sensualité particulière dans le porno gai que je ne retrouve pas dans le porno hétéro, qui reprend constamment les mêmes codes, les mêmes angles, les mêmes narratifs… Je trouve ça chiant, en fait. Il y a quelque chose dans le fait de voir deux hommes baiser ensemble de l’ordre de l’authentique. Je crois que c’est ça qui m’excite». Lorsque je l’interroge sur le caractère transgressif de ce type de visionnage, il ne cache pas que celui-ci est teinté d’homophobie: «Je ne pourrais pas en parler à mes potes hétéro, j’aurais l’impression qu’ils changeraient de regard sur moi. Du coup, je le vis un peu comme un jardin privé, c’est un petit secret bien gardé entre moi et moi-même».
Sarah, 27 ans, se trouve dans une position similaire. Elle indique n’avoir jamais été tentée par le sexe saphique, mais ne regarde presque que du porno lesbien. Elle nuance pourtant: «J’ai bien conscience que souvent, les pornos lesbiens sont composés par et pour le regard masculin. J’imagine que ce n’est pas représentatif de la sexualité lesbienne, mais malgré tout, je m’y retrouve beaucoup plus que dans le porno hétéro, où la femme disparait souvent derrière des gros plans déshumanisants». Contrairement à Nathan, elle explique que sa position est parfaitement acceptée – voire même partagée – par ses amies hétérosexuelles. «On en parle entre nous et on est toutes d’accord: il y a une humanité dans le porno lesbien, une temporalité dans laquelle on se reconnaît». Lorsque je lui demande s’il lui arrive de regarder du porno gai, elle répond par l’affirmative: «C’est un peu plus dur pour moi de m’y projeter, je dirais qu’il s’agit surtout d’un rapport esthétique aux corps masculins. Mais je regarde de fait plus de porno gai que de porno hétéro».
Peut-on vraiment séparer la vie intime effective de l’imaginaire fantasmatique? Suite à ces échanges, j’en discutais avec une amie, laquelle m’a sagement glissé que c’était dur de ne pas voir, derrière le caractère (manifestement) pas toujours adapté du porno hétéro pour son public cible, une forme de fétichisation. «Ce qui serait intéressant, me disait-elle, c’est de savoir combien se sont laissé·es aller à sortir du cadre pornographique hétéro pour explorer leurs imaginaires gais et lesbiens. Combien en ont fait une affaire de vraies personnes, et pas simplement d’images».