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Sida et sexualité : la question de la mémoire

Sida et sexualité : la question de la mémoire

La question de la mémoire de l’épidémie est cruciale quand il s’agit de transmettre les bonnes pratiques de prévention sexuelle. Rencontre avec Fred et Julien,militants séropositifs, qui nous parlent de traumatismes intergénérationnels et de santé publique.

Lorsque je demande aux deux militants ce que leur évoque la notion de sexualité à l’ère post-sida, leur réponse balance: «Parler d’ère post-sida n’a de sens que dans un contexte occidental. Les cas de stade sida en Europe sont rares, ce qui n’est pas le cas dans d’autres régions du monde», défend Julien Ribeiro, curateur et artiste séropositif. Fred Lebreton, militant séropositif et journaliste spécialisé sur le VIH, confirme: «Ici, on a basculé d’une épidémie mortelle à une infection chronique. Il y a encore quelques rares cas de sida bien sûr, mais il y a un contrôle de l’épidémie. Quand on parle d’ère post-sida, je pense surtout à l’ancienne génération de séropositifs dont on parle peu. Les premiers traitements avaient des effets très toxiques sur leur organisme, sur leur sexualité, sur leur santé mentale, ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a une grosse précarité affective et sexuelle les concernant. Ce n’est pas la même chose d’être découvert séropositif en 2022, être dépisté, traité et indétectable au bout de trois mois, et d’être dépisté dans les années 80. Cette différence générationnelle peut être violente».

Ce lien particulier entre les questions de mémoire communautaire et de santé sexuelle, peut à première vue sembler rompu, les études montrant que la propagation du virus est particulièrement importante chez les plus jeunes. Mais les deux activistes, co-créateurs du compte Instagram Séropos vs Grindr, ne veulent pas tomber dans la stigmatisation de la nouvelle génération: «Il faut voir les conditions socio-économiques qui expliquent ce phénomène. Souvent, il s’agit de jeunes issus de parcours migratoires, ou éloignés de la prévention et du soin en raison de leur position sociale», explique Julien. «Il faut aussi garder en tête l’effet Covid, qui a énormément isolé les jeunes. Il y a une vraie précarité relationnelle de la jeunesse, qui fait qu’elle prend plus facilement certains risques». Fred va dans ce sens: «Plus tu seras dans une catégorie privilégiée, moins tu seras isolé et plus tu auras accès à la PrEP, au dépistage…».

Les changements structurels dans la manière d’appréhender le virus expliquent aussi, selon les militants, l’évolution des sexualités gaies et/ou trans* en post-sida. «Le fait d’avoir une charge virale indétectable fait qu’on ne peut pas transmettre le virus, c’est une réalité», reconnaît Fred. Cela a évidemment un impact sur les manières de baiser, mais les ponts entre les jeunes générations et les autres se font malgré tout, notamment grâce au travail des associations communautaires qui assurent la transmission des savoirs: «Aujourd’hui, les campagnes de prévention sont portées par les assos, notamment en ce qui concerne l’accès à la PrEP ou l’importance du dépistage. Parmi les communautés les plus exposées, à savoir les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, l’information circule via les réseaux sociaux, les applis de dating…».

Au milieu de ces enjeux de santé publique et d’accès au soin, comment parler d’amour et de sexualité? Julien considère que cette problématique est centrale lorsqu’on pense aux sociabilités gaies: «Ça me fait penser à How to Have Sex in an Epidemic, un livre sorti en 1983. C’est un manuel fait par des pédés pour des pédés, qui se concentre sur la diminution de la transmission des IST. Il pose la question, à un moment où on ne savait pas grand-chose du virus, de la culpabilité, de la morale, du sex négativisme et de l’amour. Ce sont des questions aussi importantes que celles de la santé. Je pense qu’il faut qu’on ait une approche communautaire et non individuelle de ces enjeux». Des réflexions qui restent d’actualité, dans le contexte de l’épidémie de Covid et de la circulation de la variole du singe, lesquelles ont ravivé bien des stigmates homophobes impactant les sexualités. C’est ce que raconte Fred: «Pendant le Covid, quand les saunas ont été fermés, les mecs faisaient des soirées privées où il y avait moins d’accès à la prévention et à l’information. Certains militent pour fermer les lieux de sociabilité gais depuis l’arrivée de la variole du singe, et ce n’est pas la solution». Julien approuve: «Ça me fait penser aux premières années du VIH, où se posait la question de la responsabilité individuelle qui n’était pas suffisante pour arrêter l’épidémie. Fermer les lieux de sociabilité, autrement dit demander aux hommes d’arrêter de coucher entre eux, c’est une réponse moraliste et culpabilisante à des enjeux de santé publique. Ces espaces sont des espaces de transmission de savoir».

De fait, les deux activistes insistent sur l’urgence de reconnaître l’expertise en santé communautaire des associations. «Baiser à l’ère post-sida, c’est apprendre de notre histoire, c’est informer sans culpabiliser, c’est faire avec les gens et pas contre eux: bref, c’est ce que font les assos au plus proche des populations concernées», défend Fred. Julien rappelle enfin l’importance de la responsabilité communautaire dans la transmission des bons comportements et des bonnes pratiques: «On ne peut plus laisser passer, en tant que non-séropo, des messages du type «Je suis clean» sur les applis de rencontre. Il faut se positionner collectivement».