Prévention: la Suisse progresse, mais de manière inégale.

La nouvelle édition 2024 d’EMIS* révèle une Suisse à deux vitesses en matière de prévention du VIH et des IST. Si les progrès sont nets, les écarts entre villes et campagnes, entre ceux qui savent et ceux qu’on ne parvient pas à atteindre, restent criants.
La sexualité gay a changé de visage. Aujourd’hui, un quart des répondants ont eu leur première relation sexuelle (pénétration comprise) avant 15 ans, et plus de la moitié à 18 ans – un âge désormais comparable à celui des hétéros. Une partie des jeunes de moins 20 ans ayant leurs (premiers) rapports sexuels avec des partenaires d’au-moins 10 ans plus âgés. Des chiffres qui plaident pour une éducation sexuelle enfin inclusive, où les rapports sexuels entre hommes seraient adéquatement abordés.
Autre évolution : les rencontres se font désormais majoritairement en ligne. Les applis ont remplacé les bars comme principal lieu de drague, même si les espaces communautaires sexualisés (saunas, clubs, cruising) gardent leur public, notamment pour les plans à plusieurs. Une «nouvelle culture digitale» coexiste donc avec une «culture historique» des lieux de plaisir partagés.
PrEP, PEP, dépistage: de vrais progrès, mais pas pour tout le monde
Côté prévention, les bonnes nouvelles sont bien là.
- La moitié des répondants ont reçu des préservatifs gratuits dans un espace communautaire.
- 70 % des personnes ne vivant pas avec le VIH ont fait un dépistage dans les 12 derniers mois.
- L’accès aux soins s’est accéléré: toutes les personnes ayant découvert vivre avec le VIH (environ 10% des répondant·x·e·s) ont consulté dans les 4 semaines, et plus de 40 % dès la semaine suivant l’annonce.
- La PrEP VIH (prophylaxie pré-exposition, le traitement anti-VIH préventif) progresse aussi (environ 1/3 des répondant·x·e·s), surtout dans les villes où les Checkpoints assurent un suivi communautaire (Zurich, Genève et Lausanne).
Mais ces avancées cachent de fortes disparités régionales.
- Dans les régions plus rurales, moins de la moitié des répondant·x·e·s a fait un dépistage VIH dans les 12 derniers mois, iels ne sont qu’un tiers dans le Tessin.
- Et hors des grandes villes, la grande majorité des personnes n’a jamais reçu d’information sur la PrEP VIH de la part d’un·x·e professionnel·x·le de santé.
Expositions fréquentes, protections incomplètes
Une part importante des répondant·x·e·s ne vivant pas avec le VIH rapportent au moins une exposition potentielle au virus dans l’année écoulée (pénétration anale sans préservatif ni PrEP VIH, avec un partenaire de statut inconnu).
Et pourtant…
- 15 % seulement ont déjà eu recours à un traitement d’urgence contre le VIH (PEP VIH) au cours de leur vie et 4 % disent ne pas avoir pu y accéder, certainement pour des raisons de coût ou de distance.
- Et plus de 10 % ne révèlent pas leur sexualité entre hommes lors des consultations – illustrant une peur persistante de stigmatisation qui rend impossible tout conseil et mesure de prévention adéquats.
«On a aujourd’hui tous les outils pour atteindre zéro transmission du VIH d’ici 2030, mais tout le monde n’y a pas accès», résume un militant présent à la présentation d’EMIS dans le cadre de l’Academy de l’Aide Suisse contre le Sida.
Syphilis et IST: prévention à géométrie variable
La syphilis et les autres IST bactériennes restent très présentes avec près d’un quart des répondant·x·e·s ayant reçu un diagnostic au cours des 12 derniers mois (taux stable depuis plusieurs années).
Chez les personnes prenant un traitement préventif ou thérapeutique contre le VIH, 80 à 90 % ont fait un dépistage IST dans les six derniers mois.
Mais parmi celles ne prenant pas la PrEP VIH et ne vivant pas avec le VIH, moins d’une sur deux a fait un dépistage dans les 12 derniers mois – bien en dessous des recommandations suisses.
Autre phénomène émergent: le DoxyPEP, traitement antibiotique post-exposition contre les IST bactériennes. S’il séduit certains, en particulier en Suisse romande, une part non négligeable l’utilise sans supervision, parfois avec un reste de traitement ou via des importations non encadrées, y compris parmi ceux suivis pour un traitement préventif ou thérapeutique contre le VIH.
2030: pas d’élimination sans équité
Les résultats d’* EMIS 2024 le confirment : la Suisse progresse, mais pas pour tout le monde.
Les grandes villes, fortes de leurs Checkpoints montrent la voie. Ailleurs, des progrès restent à faire pour transmettre les informations et donner accès aux moyens de prévention.
Tant que toutes les personnes vivant avec le VIH ne connaîtront pas leur statut, et que toutes celles ne vivant pas avec le VIH ne pourront pas se protéger efficacement, l’objectif Zéro transmission du VIH d’ici 2030 restera un rêve, pas une réalité.
