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Santé des personnes LGBTIQ+ exilées: entre abandon de l’État et organisation collective

Santé des personnes LGBTIQ+ exilées: entre abandon de l’État et organisation collective

Les personnes migrantes LGBTIQ+ sont exposées tout au long de leur parcours à une prise en charge sanitaire inadaptée. Regards croisés entre la France et la Suisse, où les associations communautaires tirent la sonnette d’alarme.

Dans de nombreux pays, les personnes LGBTIQ+ subissent des violences allant du rejet familial à la mort en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité ou expression de genre. Dès les prémisses de leur chemin de croix administratif visant à obtenir le statut de réfugié·e·x et après des parcours de vie ayant considérablement dégradé leur état de santé, la question de l’accès au soin se pose. Pourtant, les études montrent que la condition physique et psychique des individus continue de s’altérer après l’installation dans le pays d’accueil. «C’est lié à ce qu’on appelle le Healthy Migrant Effect en sciences sociales», explique François Emery, chargé de plaidoyer sur les questions de santé des étrangers chez Act Up Paris. «En cause, l’impossibilité de travailler, la précarité administrative, la difficulté d’accès au soin».

En France comme en Suisse, les demandeur·se·x·s d’asile LGBTIQ+ sont en effet confronté·e·x·s à des problématiques de santé spécifiques mal comprises par les institutions du pays d’accueil, les empêchant ainsi d’avoir accès à des soins adaptés, comme le raconte Giovanna Rincon, directrice de l’association Acceptess-T et membre du conseil d’administration de Sidaction. «Au niveau international, il y a un manque de réponses de nos systèmes de soin lorsqu’il s’agit de personnes migrantes trans*, qui doivent avoir accès aux soins liés à la transition, mais aussi lorsqu’il s’agit de toute la communauté LGBTIQ+, notamment par rapport au VIH».

Davantage exposé·e·x·s aux violences sexuelles

Une situation catastrophique qui concerne autant la santé physique que la santé mentale, comme l’atteste Anis Kaiser, en charge de la coordination de l’association suisse Asile LGBTIQ+: «Ce sont des personnes qui ont été exposées pour la majorité à des persécutions, au rejet de leur communauté, de leur entourage proche. Beaucoup souffrent de stress post-traumatique et de dépression. Iels sont aussi exposé·e·x·s à davantage de violences sexuelles sur la route migratoire, par rapport aux autres personnes migrantes».

Face à cette extrême vulnérabilité, quelle réponse apportée par les États? «La Suisse prend en charge le strict minimum pour les personnes en demande d’asile», lance Anis. «En attendant que la demande soit examinée, la personne a accès à des soins très basiques, comme des anti-douleurs en cas de mal de tête. On ne considère même pas, pour les personnes trans*, que l’hormonothérapie est un soin de base. Pour les personnes qui ont le VIH, c’est compliqué de pouvoir être suivies». Un accompagnement qui ne s’améliore que modestement une fois que les personnes obtiennent le statut de réfugié·e·x, continue-t-iel: «L’État finance l’assurance maladie de base. Mais les soins auxquels les personnes ont accès peuvent être limités. Par exemple, on ne considère pas que l’épilation laser est un soin important, alors qu’elle est parfois vitale pour les personnes transféminines [ndlr: la pilosité, notamment faciale, peut rendre les femmes trans* identifiables comme telles, et ainsi les mettre en danger]. Par ailleurs, cela varie entre les dossiers et les cantons, mais tous les professionnel·le·s ne sont pas bien formés aux enjeux de santé spécifiques de ces populations».

Lenteur administrative et abandon des cas urgents

En France, le dispositif principal pour l’accès au soin s’appelle l’AME, l’Aide Médicale d’Etat. Mais son obtention est entravée par les lois actuelles: «Jusqu’à récemment, il était nécessaire de justifier une présence continue de 3 mois sur le territoire pour en bénéficier. Aujourd’hui, c’est 6 mois. Avec les délais de traitement des dossiers, les personnes migrantes peuvent attendre un an avant d’avoir accès à un suivi de santé», déplore Giovanna. Face à cette lenteur administrative, la militante dénonce l’abandon des cas urgents, comme les victimes de la silicone liquide, un produit industriel et réputé pour son bas coût que les femmes trans* se font injecter en Amérique du Sud. «C’est un fléau sanitaire, avec très peu d’accompagnement médical en France. Nous sommes confrontées à une hécatombe en termes d’infections, de nécroses, d’inflammations chroniques».

Même constat désespéré sur la prise en charge du VIH, comme le raconte François: «plus de la moitié des personnes contaminées par le VIH le sont une fois arrivées en France. Il y a un manque évident de volonté de la part des politiques et des administrations de s’occuper de la défense du droit à la santé des étrangers, alors qu’elles sont les principales touchées par l’épidémie. On est dans un déni volontaire de la situation, évidemment à cause de dynamiques xénophobes et racistes».

Les associations rencontrent des problématiques territoriales différentes, mais leur constat est unanime: l’organisation communautaire constitue une sorte d’autodéfense face à l’inertie de l’État. Entre Act Up, qui accompagne les personnes séropositives dans l’accès aux prestations sociales, Asile LGBTIQ+ qui se bat pour faire sortir les personnes migrantes des centres d’hébergement collectif, lieux dans lesquels elles sont de nouveau régulièrement victimes de violences affectant leur santé mentale, l’engagement est colossal. C’est aussi ce que rend compte l’activité florissante de l’association Acceptess-T, qui prend ancrage au sein d’un local associatif ouvert au public, et où l’équipe propose des dépistages IST, un accès à la PrEP [ndlr: traitement de prévention du VIH], des consultations avec des médecins, une permanence psychologique, l’assignation d’une médiatrice en santé… Ce vivier de riches initiatives ayant pour vocation de pallier aux (graves) manquements des administrations publiques.

«La lutte pour la santé est intrinsèque à la lutte contre la pauvreté et contre les violences»

Plus largement, c’est toute une conception de la question de la santé que les militant·e·x·s nous invitent à revoir, dans une logique systémique et croisée: «la santé n’est pas décorrélable d’autres enjeux», commente Giovanna. «Elle est fortement liée à l’accès au logement et au travail, par exemple. On ne peut pas dissocier le soin et la situation sociale. Apporter un soin sans prendre en compte les conditions de vie des personnes et ce à quoi elles font face matériellement dans leur quotidien, ça n’a aucun sens. La lutte pour la santé est intrinsèque à la lutte contre la pauvreté et contre les violences».

Pourtant, les associations de terrain ne manquent pas de marteler les mesures à mettre en place afin de desserrer l’étau insupportable dans lequel se trouvent les personnes concernées. Former les personnels de santé pour pallier à la «méconnaissance des enjeux de santé spécifiques de ces personnes» pour Asile LGBTIQ+, «abroger la loi française de pénalisation des client·e·x·s qui a entraîné un éloignement du système de santé des femmes trans* migrantes travailleuses du sexe» pour Acceptess-T, ou encore «supprimer les délais de carence pour l’accès à l’AME», une mesure facile à mettre en place puisque «ça a déjà été fait pour les personnes migrantes ukrainiennes spécifiquement», rappelle Act Up Paris. Des propositions concrètes, mais dont l’application réelle laisse peu d’espoir en l’état, au regard du manque de réactivité et de volontarisme de la part de nos représentant·e·s politiques.