Rosa Bonheur, portrait de l’artiste en icône queer
La peintre française aurait eu 200 ans cette année. L’occasion de revenir sur la vie d’une affranchie.
Rosa Bonheur… aujourd’hui, ce nom évoque pour beaucoup la guinguette parisienne située dans les Buttes Chaumonts et popularisée par Vernon Subutex de Virginie Despentes. Mais les créatrices de ce lieu aussi bobo que queer n’ont pas choisi son nom au hasard. En effet, à l’aune des récentes relectures de sa biographie, la peintre animalière Rosa Bonheur a tout d’une icône queer, libre et ambitieuse.
Un caractère bien trempé
Rosa naît en 1822 à Bordeaux dans une famille où l’art est presque une religion. Son père, Raymond, est peintre et c’est d’ailleurs en donnant des cours de dessin qu’il rencontre sa future femme, Sophie Marquis avec laquelle il aura quatre enfants dont Rosa, l’aînée. Enfant, Rosa est décrite comme un «garçon manqué». Disons plutôt que la gamine avait un caractère bien trempé et qu’elle n’était déjà pas de celles qui se soumettent sans broncher à une quelconque autorité!
Sous l’impulsion de Raymond, adepte du saint-simonisme, la famille emménage à Paris lorsque Rosa a dix ans. Alors que son père décide de rejoindre le couvent laïque des apôtres saint-simoniens durant six mois, Rosa voit sa mère se démener pour élever et nourrir convenablement ses enfants. Mais Sophie meurt en avril 1833. Si le décès de sa mère est vraisemblablement lié au choléra, Rosa préfèrera toute sa vie l’attribuer à l’épuisement et en fera un événement fondateur. Pour elle, se marier, élever des enfants, se crever à la tâche pour sa famille tue. Alors, Rosa sait qu’elle ne se mariera jamais.
Nathalie
Alors que ces frères sont en pension et que sa jeune sœur est placée chez une nourrice dans la région bordelaise, Rosa vit avec son père et suit avec ennui des cours de couture alors qu’elle n’a qu’une envie: être peintre. Son père finit par céder et la prend en apprentissage. Elle a alors quatorze ans. C’est à cette époque que Rosa fait une rencontre déterminante en la personne de Nathalie Micas de deux ans sa cadette. Elle est alors une jeune fille fragile que ses parents, craignant pour sa vie, décident de faire immortaliser par Raymond Bonheur. Les deux jeunes filles deviennent inséparables – Rosa vit même un temps chez les Micas lorsque son père se remarie. Puis, les deux femmes s’installent en «compagnonnage». Et ce n’est que la mort de Nathalie, 53 ans après, qui les séparera.
Célébrité
Rosa fait ses classes et accède vite à une certaine notoriété grâce à ses peintures animalières très réalistes. De salons en salons, d’expositions en expositions, de la France aux États-Unis, elle parvient à devenir célèbre et à vivre de son art. En 1865, Rosa est la première femme peintre à recevoir la Légion d’Honneur- la princesse Eugénie viendra même lui remettre la décoration en main propre, chez elle. Elle et devient également en 1894 la première femme promue Officier dans cet ordre.
Féministe!
C’est sans doute grâce à la célébrité et aussi grâce à l’argent que Rosa impose son mode de vie sans avoir à subir les foudres de l’opinion publique. Indépendante financièrement, elle peut se passer de la présence d’un mari. Et si par goût et par confort, elle choisit de s’habiller le plus souvent en homme – elle garde néanmoins toujours d’élégantes chaussures très féminines – elle doit demander une permission de travestissement, renouvelable tous les six mois auprès de la préfecture de Paris. Si sur la plupart de ses portraits, elle cède aux convenances et porte une robe, elle affiche toujours une coupe de cheveux courte. Rosa ne se revendique pas féministe, elle l’est, tout simplement!
Lesbienne?
Était-elle lesbienne? Même si l’Histoire a enterré cette partie de son histoire, tout porte à le croire. En effet, Rosa a partagé toute sa vie avec Nathalie Micas. Les deux femmes vivaient, travaillaient et voyageaient ensemble. Elles sont même enterrées ensemble au cimetière parisien du Père Lachaise ainsi qu’elles l’avaient souhaité. À propos de Nathalie, Rosa écrit dans son journal:«Si j’avais été un homme, je l’aurais épousée, et l’on n’eût pas inventé toutes ses sottes histoires.» Et d’homme, on n’en connaît pas à Rosa! Il n’y a que l’imagination de la biographe Patricia Bouchenot-Déchin pour lui inventer une passion hétéro. Manque de chance, il n’en reste aucune trace, Rosa aurait brûlé toutes les lettres… Comme c’est commode!
Après la mort de Nathalie, Rosa partage la fin de sa vie avec l’américaine Anna Klumpke, également artiste-peintre de talent, qu’elle nomme comme son héritière et légataire universelle. Dans le testament de Rosa, ces mots:«…n’ayant eu ni enfants, ni tendresse pour le sexe fort, ni ce n’est une franche et bonne amitié pour ceux qui avaient toute mon estime.» Anna sera aussi enterrée dans le caveau familial des Bonheur.
Si nous ne saurons jamais ce qui se passait dans le lit de Rosa, son amour pour Nathalie a laissé des traces. Les indices sur les préférences de l’artiste sont bien là, même si l’histoire les a passées au rouleau compresseur de l’invisibilisation des lesbiennes.
À lire: Rosa Bonheur et Anna Klumpke, Souvenirs de ma vie, texte établi, préfacé et annoté par Natacha Henry, Phébus, 485 pp.