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Les LGBT japonais sur le chemin de la visibilité

Cinéma, médias, services, marketing ou monde du travail: l’Archipel bouge lentement sur les questions de diversité sexuelle et de genre. La droite conservatrice, au pouvoir, reste frileuse.

Deux hommes qui s’aiment. L’un a les épaules nues et le regard fragile lorsqu’il regarde par la fenêtre après l’amour. L’autre lui lance un sourire ravageur dont il use sans doute un peu trop. Ils se sont connus dans la vapeur du sauna, c’est cliché, mais le reste ne l’est pas. Ils essaient de se rencontrer, de vivre ensemble, de se faire confiance dans un appartement qui domine la nuit tokyoïte. Sur l’écran de cinéma, leur relation surprend par son réalisme. Surtout, ce n’est qu’une relation parmi d’autres: «Ikari», l’un des films-phares de la rentrée japonaise, met en perspective trois couples, dont l’un s’avère être homosexuel d’une manière aussi anecdotique que frontale.

Oui, «Ikari» fera date en termes de visibilité LGBT au Japon, parce que le film met en lumière une relation non hétérosexuelle sans en faire l’axe principal de l’intrigue. Celle-ci, policière, met en scène des personnages qui soupçonnent un proche d’être un violent criminel. Ken Watanabe (en père inquiet) et Ryuichi Sakamoto (qui signe la somptueuse bande originale) apparaissent au générique, tandis que les hyper-stars Satoshi Tsumabuki et Go Ayano campent les deux amants masculins.

Boy’s Love
Le Japon est loin d’être exempt de représentations homosexuelles, cependant celles-ci prennent généralement place dans le cadre bien défini du BL (Boys’ Love), un style de mangas, d’animés et de séries télévisées qui s’adresse principalement à un public féminin. Le genre cultive des codes stéréotypés et paradoxalement hétéronormatifs, qui font souvent dire à la communauté LGBT que le BL ne reflète en rien la réalité quotidienne des gays et lesbiennes japonais et, en ce sens, dessert leurs intérêts.

Doté historiquement d’une structure de genre moins rigide que l’occident (le travestissement est pratiqué de longue date sur la scène du kabuki, plus récemment par la troupe de théâtre 100 % féminin Takarazuka), dépourvu de lois condamnant les relations entre personnes de même sexe (elles étaient socialement tolérées entre hommes durant l’ère Edo), l’Archipel a néanmoins embrassé les valeurs victoriennes, l’idéal du couple homme-femme et le modèle de la famille nucléaire depuis sa modernisation rapide, dès la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, si certaines poches de pop culture offrent des représentations alternatives, l’espace public, l’école, le monde de l’entreprise et l’institution de la famille traditionnelle n’encouragent pas la visibilité des LGBT.

Les signes d’une évolution se multiplient pourtant. Le film «Ikari» semble traduire l’expression d’un mouvement plus général qui inclut le marketing, les médias, plusieurs grands groupes industriels et une poignée de municipalités. La préfecture de Shibuya (Tokyo), la première du pays à avoir mis sur pied une union civile, vient de se doter d’un attaché aux minorités sexuelles et de genre. Les géants de la télécommunication et du commerce en ligne SoftBank, NTT Docomo et Rakuten offrent aux couples de même sexe des avantages similaires aux couples hétéros. Sony et Panasonic travaillent dans le même sens depuis cette année. La compagnie aérienne JAL permet à toutes les configurations de couples de mettre en commun leurs miles, tandis que l’assurance
Sompo Japan Nipponkoa a étendu les conditions des congés mariage aux employés en concubinage avec un partenaire de même sexe.

Avant même les ressources humaines, ce sont les départements de marketing qui se sont penchés sur le potentiel et les caractéristiques des populations LGBT japonaises. Dentsu, le plus important publicitaire du pays, a mené l’une des premières études de grande ampleur sur le sujet en 2012, étude réactualisée en 2015 sur un échantillon de 70 000 personnes, selon laquelle 7,6 % des Japonaises et Japonais se considèrent LGBT. Hakuhodo, une autre firme de communication, a établi il y a quelques mois un think tank baptisé LGBT Research Institute, avec le double objectif de donner davantage de visibilité aux minorités sexuelles tout en investigant leurs préférences de consommation.

Partis pris religieux
En mai, le bureau japonais de Human Rights Watch publiait un rapport alarmant sur le harcèlement à l’école. Non seulement les cas de violence et d’exclusion sont fréquents, mais le corps enseignant semble mal équipé pour répondre à ce genre de situations: selon les étudiants interrogés dans le cadre du rapport, les informations fournies par les professeurs sont souvent inexactes, subjectives plutôt que basées sur les droits humains ou la science, et teintées de partis pris religieux. Début octobre, l’organisation appelait le gouvernement à mieux inclure les questions de diversité sexuelle et de genre dans le curriculum scolaire.

Hélas, si la gauche d’opposition (le parti démocratique) poursuit une politique constructive dans ce sens, le parti libéral démocrate au pouvoir (LDP, droite conservatrice) est loin d’y être pleinement sensible. Le LDP, probablement pour faire bonne figure en amont des JO de Tokyo 2020, reconnaît bien l’importance de prendre en compte les difficultés auxquelles les personnes LGBT font face. Mais le parti est réticent à l’idée d’inclure dans la loi une protection contre les discriminations basées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Il promeut aussi une vision hétéronormative de la famille comme brique primordiale de la société, et rejette l’égalité des droits en matière de mariage. Enfin, le LDP affirme aspirer à une société dans laquelle les minorités ne ressentent pas le besoin de se rendre visible par le processus du coming out. La route sera encore longue.