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«Je fais ce métier pour donner du flamboyant à des personnages fragiles»

«Je fais ce métier pour donner du flamboyant à des personnages fragiles»
Photo © Jules Faure

On ne cesse de s’émerveiller de le voir sur nos petits écrans. Avec Garçon Chiffon, Nicolas Maury ne se contente pas de briller face à la caméra. Il passe également derrière pour la réalisation de son premier long-métrage. Rencontre.

Nicolas Maury verra enfin son film en salles le 12 mai en Suisse. En attendant, nous avons conversé sur Skype avec le réalisateur pour parler de son film bien sûr, mais également de son personnage d’Hervé dans la série Dix Pour Cent, de son rôle du président du jury de la Queer Palm au prochain Festival de Cannes en juillet et des actrices et acteurs qui lui ont donné envie de faire ce métier avec autant de passion.  

Quelles sont les premières réactions du public à votre film? 
Je reçois beaucoup d’affection sur les réseaux sociaux, qui s’avèrent aussi des vecteurs d’affection, d’amour et d’amitié. Quand une dame de 65 ans vient me voir à la fin de la projection pour me dire «Jérémy, c’est moi!», je me dis que j’ai un peu gagné. 
 
Aucun petit écran ne remplacera jamais la salle sombre?
Ma maison de distribution, Les films du Losange, ne cède pas aux plateformes et défend la priorité des salles de cinéma. C’est peut-être old-school, mais c’est aussi une façon de préserver les exploitants indépendants, menacés de disparaître à cause des plateformes de type Netflix. Je me sens un peu comme dans une résistance poétique.
 
Le film sort enfin en Suisse le 12 mai, serez-vous là?
Le plus frustrant a été de ne pas pouvoir voyager avec mon film, mais je serai en Suisse pour sa sortie et j’en suis ravi. Mon prochain long-métrage, qui sera très différent de Garçon Chiffon, se déroulera en Suisse. C’est un film sur la rencontre entre un homme et une femme.
 
Revenons à Garçon Chiffon, dont les extraits rappellent un peu L’Effrontée (1985) avec Charlotte Gainsbourg dans son premier grand rôle.
Ce mal-être incarné… C’est exactement cela. Je n’ai pas fait ce film pour moi, mais pour les garçons et les filles chiffon et pour combler ce chaînon manquant dans le paysage actuel du cinéma français. 

Garçon Chiffon est aussi un film de guerre. Il faut être un vrai soldat pour partir avec moins de chances que tout le monde en venant de la province

 
Quelle était votre intention avec ce film?
Je souhaitais un personnage central masculin pétri de contradictions. Jérémy est parfois volontairement insupportable, mais on a envie de le lever et de le porter en tant que spectateur. J’y vois une dimension politique, dans le sens où il faut aussi montrer des héros masculins qui n’ont pas de casque de moto et une voix très grave.
 
Jérémy représente-t-il ces autres types de masculinités?
Garçon Chiffon est aussi un film de guerre. Il faut être un vrai soldat pour partir avec moins de chances que tout le monde en venant de la province. Quand on a rêvé longtemps dans sa chambre et qu’on l’ouvre d’un coup au monde, cela crée des surprises, des blessures, des incompréhensions et des phobies.
 
Une guerre contre qui, contre quoi?
C’est une guerre du pire des genres, car sans ennemi visible. Ce combat est épuisant car il prend beaucoup de temps. Il s’agit d’une guerre contre la facilité, la bêtise, le jugement moral. Jérémy n’est pas forcément une victime, je pense que son combat majeur, c’est lui-même. Au-delà de la société, on peut aussi se fragiliser soi-même. Devenir un être humain implique un travail de rigueur personnelle, ce chemin à parcourir entre soi et soi. 
 
Comment est née l’idée du film? 
J’ai toujours eu envie de mettre en scène et de cadrer le monde, je l’avais déjà fait au théâtre. Pour ce film, en faisant une analogie, j’ai voulu composer ma propre musique. C’est une continuité presque organique entre moi quand je suis acteur, le regard que je pose sur mes partenaires en train de jouer et les grands acteurs que j’ai pu aimer dans ma vie. Ma barque est remplie de films, de grandes actrices et de livres que j’ai lus, je ne suis pas auto-engendré. En l’occurrence, mon travail est de taire ces références. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus difficile, surtout quand elles sont fortes et nombreuses! Je n’aurais pas pu faire ce film il y a dix ans, j’étais trop embarrassé par moi-même. Là, je suis un peu plus en paix. Je me sentais assez concentré pour embarquer toute une équipe dans mon bateau.
 
Est-ce un film autobiographique?
Mis à part le petit flash-back où Jérémy écoute Vanessa Paradis dans sa chambre –
 une chose que j’ai pu faire – le film est totalement écrit, il est musical. C’est une comédie. Plus qu’autobiographique, c’est un film personnel. Jérémy est un acteur qui galère dès son arrivée douloureuse à Paris, ce qui n’a jamais été mon cas. Par contre, je raconte l’histoire à travers mes yeux et ça, c’est forcément autobiographique. Le film est un condensé des regards que je porte sur mes amis, sur les femmes, comme le personnage de la mère, incarnée par Nathalie Baye. Si je ne jouais pas moi-même dans le film et si j’étais un réalisateur inconnu à peine sorti d’une école, ça brouillerait certainement moins les pistes.


 
Que signifie le titre, Garçon Chiffon?
J’ai inventé cette dénomination, plutôt que de faire un film qui s’appellerait «Garçon Fragile». Dans le film, la mère de Jérémy l’appelle Chiffon, comme ma mère le faisait. Quand j’étais bébé, j’avais un coussin devenu tout petit au fil du temps à force de sucer mon pouce. J’emportais mon chiffon partout avec moi. C’est une figure poétique. Garçon chiffon, ça doit attiser l’oreille, les réponses sont dans le film… Si le chiffon est une matière froissable, est-il également défroissable? 
 
Vous sentez-vous plus à l’aise devant ou derrière la caméra?
J’ai été plus longtemps devant, c’est très différent. Quand je suis acteur, je fais mes devoirs à la maison pour me laisser envisager sur le plateau, m’abandonner à la caméra qui doit être une amie. Derrière, on travaille beaucoup en amont, il y a une préparation, une équipe, on sait quels cadres sont prévus tout en restant à l’écoute de l’instant.  
 
Le grand public vous a découvert dans la série Dix Pour Cent, où vous campez un Hervé d’une justesse incroyable.
J’ai 40 ans aujourd’hui et j’ai commencé ce métier à 16 ans, il y a 24 ans. J’ai fait beaucoup d’autres choses, Hervé est une petite fenêtre sur moi. J’ai déployé ce personnage qui, au début, était écrit de façon très annexe. Cédric Klapisch, le réalisateur de la première saison, a senti mon démon de comédie. À l’époque, j’étais un des rares à incarner un personnage gay à la télé française. J’ai aimé surjouer ce personnage.
 
Un personnage terriblement attachant!
C’est politiquement incorrect de le dire, pourtant c’est la vérité: les homos ont été les premiers à avoir la dent dure avec moi pour mon interprétation. Beaucoup estimaient que c’était terrible de jouer de cette façon hyper maniérée. Pourtant j’en ai rencontré, des Hervé! C’est un personnage qui donne le change, un acteur de lui-même qui s’amuse à s’auto-caricaturer. La question est, pour quelle raison? Par manque de confiance en lui. Derrière la façade se trouvent les grands gouffres. Personne ne lui a mis la main sur l’épaule en lui disant: «tu es quelqu’un de bien». Alors, il s’est construit. C’est là encore une vision politique que d’inviter à changer un peu de perspective et de regard sur les gens.

Nicolas Maury
Nicolas Maury dans Dix pour cent. Photo France 2
 
 
En quoi Hervé a changé votre vie?
C’est très fort d’entrer dans les maisons, dans les salons, sous les couettes même, puisque c’est maintenant au lit qu’on regarde les séries. Dans la rue, des mecs hétéros me disaient: «On fait un selfie? Je t’adore, mais c’est pour ma copine», haha! Hervé a aussi permis à un jeune homme de dire à son papa qu’il aime les garçons, après que ce dernier ait lancé un soir: «C’est bon on a compris, arrête de faire ton Hervé!». Son papa aimait le personnage d’Hervé. Je me souviens également de cet autre papa qui m’a dit un jour sur Instagram: «Je vous ai adoré dans la série et je pense que mon fils est un petit Hervé». Toutes ces histoires me bouleversent. Je pense que les grandes révolutions sont aussi intimes, dans les familles. Je fais ce métier pour donner du flamboyant à des personnages fragiles.
 
Y a-t-il un peu d’Hervé en vous?
Je l’adore Hervé, j’y mets de moi-même, de ma sensibilité et de mon impolitesse aussi. C’est une espèce de folie qui m’appartient. Dans ma vie tout va plutôt très bien, je ne suis pas si fragile que ça. Sinon je ne pourrais pas jouer le personnage. Par contre c’est un vrai travail. Au départ, mon agent ne voulait pas que je fasse Dix Pour Cent, il pensait que cela pouvait détruire les autres aspects de mon travail avec le cinéma d’auteur et le théâtre, tellement exigeant. Sans être une consécration, Hervé aurait pu être un danger dans mon destin d’artiste.
 
Le danger d’être enfermé dans un seul personnage?
C’est particulier pour un acteur de rencontrer un rôle très fort, cela pose des questions pour la suite. Je n’ai pas l’intention de faire un Hervé bis, bien au contraire.
 
On repense à l’interprétation magistrale de Michel Serrault dans La Cage aux Folles
Nous parlons souvent de son interprétation avec Laure Calamy (Noémie dans Dix Pour Cent). Ce qu’il a fait est hallucinant, c’est du clown pur. Seul un grand acteur est capable de faire rire avec un tel poids tragique, Michel Serrault est le maître absolu en la matière. La tragédie d’être au monde, c’est ce que j’appelle aussi le désastre. C’est sublime. Quand on joue, on doit tomber dans une interprétation.
 
Avez-vous vécu des situations professionnelles dans lesquelles on vous a fait sentir que votre homosexualité était inadaptée?
Oui évidemment, tout le temps. Le problème avec ça, c’est ce qu’on en fait, même intimement dans son énergie vitale. Dans son karma presque, surtout en art. Je fais une distinction entre les petites et les grandes humiliations. Et les manipulations. Il m’est arrivé qu’une metteure en scène très réputée au théâtre mette tout en doute de ma vie. Selon elle, j’avais l’âge où je devais mettre mes couilles sur la table. Elle ne parlait que d’interprétation, elle était protégée par une forme de fiction, le texte et un rôle. Ce sont des situations où tout devient glissant, jusque dans ma propre vie. Elle a tenté un travail de sape sur ma façon de me tenir au monde, comme si un homme fragile, c’est automatiquement une tafiole. C’est vraiment ses termes. Cette forme de dichotomie de l’ancien monde, cette peur de l’épanouissement, ça je l’ai reçu. Mon agent de cinéma en reçoit encore plus, du type: «Ah Nicolas, quel grand acteur! Mais il est trop folle pour jouer ci ou ça.» Il me protège.
 
Beaucoup de gens s’imaginent que les milieux créatifs sont privilégiés pour les personnes LGBTQ+…
Malgré une meilleure représentation de certaines minorités aujourd’hui, je crois qu’on a un peu trop rapidement tendance à penser que le cinéma est un endroit complètement bienveillant envers les personnes LGBTQ+. C’est d’ailleurs pareil dans la musique, où il reste beaucoup à faire. Il suffit de voir qui sont les gens à la tête des institutions…
 

Il faut être vigilant à ne pas croire que la cause homosexuelle soit entendue, surtout dans les milieux artistiques. Nous avons encore de très beaux jours de résistance et de combat devant nous.

Qu’observez-vous à cet égard?
Il m’arrive de croiser dans des dîners des gens en vue dans les magazines et bien sous tous rapports qui, dès que les questions liées aux communautés LGBTQ+ arrivent sur la table, te rétorquent: «Mais arrête de te plaindre enfin, il y a une mafia pédé à Paris. Systématiquement, je réponds: «Ah bon, une mafia pédé dans le cinéma? Mais de quoi parle-t-on là?» Dans ces cas-là, j’avale pour ne pas gueuler. Mais un jour je le dirai. Cette peur de la mafia pédé qui viendrait contrôler les médias, c’est n’importe quoi. Il faut être vigilant à ne pas croire que la cause homosexuelle soit entendue, surtout dans les milieux artistiques. Nous avons encore de très beaux jours de résistance et de combat devant nous.
 
Vous présiderez le jury de la Queer Palm 2021, prix LGBTQ+ décerné pendant le festival de Cannes du 6 au 17 juillet. Comment envisagez-vous le job?
Ce qui me plaît dans l’idée de la Queer Palm, c’est de récompenser et mettre en avant le désir d’un cinéaste, aussi vaste et dangereux soit-il et dans tout ce que cela suppose d’excitation. Pour moi, c’est ça le cinéma queer. 
 
Y a-t-il un film ou un réalisateur en particulier qui représente ce désir à vos yeux?
Deux cinéastes me viennent tout de suite à l’esprit. Le premier, également le plus évident, c’est Rainer Fassbinder. J’ai une passion pour lui. Chaque fois que je pense les avoir tous vus, il reste toujours un de ses films que je n’ai pas vu. Son œuvre est pléthorique, poétique, politique, en avance sur son temps. L’autre n’est pas étiqueté queer, il l’est pourtant absolument pour moi. C’est Douglas Sirk, qui avait fait de Rock Hudson une star, un des premiers gays de Hollywood. Sirk pour moi, ça se passe dans les décors, les femmes esseulées, les désastres, les solitudes, les destins brisés en costume impeccable. Ce sont ces hommes très beaux qui partent à la guerre, puis reviennent. Ces amours ratées, ce mélo. Son sens du mélo a beaucoup inspiré Almodóvar par la suite. Fassbinder et Sirk Ces constituent pour moi une sorte de matrice. Je vois aussi du queer chez Luis Buñuel, dans cet amour de n’être pas genré, cette impolitesse grinçante, provocante et habile. Il y a du panache et c’est gênant. 

Nicolas Maury
Photo © Jules Faure

 
Pensez-vous qu’il faille être gay soi-même pour incarner un personnage gay sur scène ou à l’écran?
Cette manière de penser est assez problématique pour moi, parce qu’elle implique que l’acteur est dépositaire de tout. Je trouve tout cela un peu vain, car c’est avant tout une question de regard. Avant l’acteur et le réalisateur, les personnages sont écrits. Si c’est mal écrit, on part avec peu de chances. Concrètement, Rock Hudson a été considéré toute sa vie plus hétéro qu’un hétéro à l’écran! Je me souviens d’une citation de Romain Duris dans une interview qui disait: «Pour être acteur il faut être actrice.» Notre métier est fait de ça.
 
À quand remonte votre première sensation de cinéma?
C’était un après-midi pendant les vacances de Noël, je devais avoir six ans. C’était une version filmée de Pinocchio que je rêverais de retrouver, c’est le tout premier film qui m’a happé. Dans mon souvenir, ça avait l’air d’être un film de l’Est, russe ou polonais. À un moment donné, j’ai commencé à lire les sous-titres, c’est ainsi que ma mère a réalisé que je savais lire. Ça me bouleverse de dire ça, car mes deux amours dans la vie, c’est lire et voir des films. Un texte sur un écran, c’est un peu l’ADN de cette passion.
 
Un acteur ou une actrice qui vous ont donné l’envie de faire ce métier?
Il y en a beaucoup! Au tout départ, j’étais totalement fan de Robin Wright dans Princess Bride (1987), l’actrice découverte dans Santa Barbara, également démentielle dans la série House of Cards, ainsi que dans She’s So Lovely (1997) de son ex-amoureux Sean Penn. Après il y a eu Isabelle Adjani, c’était très fort. Elle était pour moi la quintessence de ce qui représentait l’invasion, être envahie par un jeu, une histoire, des émotions, la plus haute attitude à avoir pour faire ce métier. Puis est arrivée Isabelle Huppert, la veine de ma construction volontaire d’être acteur et me retrouver sur les plateaux de théâtre les plus exigeants. J’ai admiré cette volonté de ne pas vouloir plaire à l’endroit où l’on demande généralement à une femme de séduire. C’est une interprète d’une excessive férocité dans sa façon de composer et d’écrire son image. L’acteur absolu, celui qui me touche, me trouble et me fascine, c’est Robert de Niro. J’ai vu tous ses films. On ne sait pas si le mec va sourire ou foutre une torgnole. J’aime ses yeux, son regard, sa façon d’être aussi fragile, d’être contradictoire, d’être parfois très viril sans forcément être à la hauteur de cette virilité.