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Est-il illusoire de croire que les prides sont des safe spaces?

Est-il illusoire de croire que les prides sont des safe spaces?

La communication de la Pride Radicale parisienne envers les journaliste·x·s a créé la polémique sur Twitter et a mis en évidence une vraie rupture sur notre manière d'exercer notre métier. Crevons l’abcès.

Alors que dans une ambiance caniculaire la France s’apprêtait à élire ses député·e·x·s, le 17 juin 2022,  un tout autre sujet enflammait la sphère LGBTIQ+ sur Twitter.  C’est un tweet de mon confrère Thomas Vampouille, rédacteur en chef de têtu·, qui a mis le feu aux poudres d’un réseau social que l’on sait prompt à s’enflammer et à condamner prestement.

Il y dénonçait – dans une comparaison peut-être maladroite avec les méthodes de l’extrême droite, mais ne nous arrêtons pas à cela – le communiqué envoyé la veille aux journaliste·x·s par la Pride Radicale ayant lieu le dimanche suivant.

Ce communiqué invitait – comprenez, obligeait – les journaliste·x·s désireux·euses de couvrir l’événement à un point presse pour, est-il écrit, «s’assurer que vous respecterez le consentement des manifestant‧e‧s et les mesures de précaution des diverses identités représentées». 

Joints au mail, un certain nombre de prérequis, des «bonnes pratiques», qui ont pu sembler lunaires à des journaliste·x·s LGBTIQ+ souvent militant·e·x·s, en tout cas habitué·e·x·s à couvrir des événements communautaires et averti·e·x·s en matière de droit à l’image: «Anonymiser les photos et images» – comme «flouter, faire des collages, dessiner/écrire sur les photos ou tout simplement ne pas prendre les gens directement en photo» –, préférer photographier les pancartes et les drapeaux, les collages et les tags, ou encore «photographier la rue une fois désertée».

L’objectif de ces «bonnes pratiques» est de prévenir d’éventuelles dérives «les médias quels qu’ils soient peuvent participer à l’outing, le harcèlement et la fétichisation des personnes handi et/ou racisées et/ou queer, que ce soit de leurs souffrances ou/et de leurs fiertés», comme on pouvait le lire en préambule. Préambule qui signalait également: «Il est aussi important de ne pas oublier le fait que, quand bien même cela ne représente pas forcément de l’argent direct, chaque image prend une forme de capitalisation, ne pas l’admettre est au mieux de la naïveté, au pire de la mauvaise foi.»

Souscrivant au fond du tweet de Thomas, j’ai lâché mon like ce qui m’a valu, avec plusieurs confrères, de me retrouver au cœur d’un shitstorm, pour ne pas dire d’une vague de cyberharcèlement d’une grande violence. Nous avions du sang sur les mains en forçant des jeunes participant·e·x·s à s’outer, nous les mettions en «danger de mort». Être identifié·x comme femme m’a permis d’éviter la qualification de «vieux cis gay blanc» (variante «rich white cis gay») ou de «vieux facho» à l’instar de mes confrères qui ont essuyé leurs lots d’injures et de menaces du type «je vais te détruire ton matos».

J’ai le cuir solide et je suis rompux aux cyber violences mais le plus dur à encaisser à été de lire d’autres journaliste·x·s cautionner ce harcèlement sur le mode du «qu’importent les méthodes». Pour moi, le cyberharcèlement n’est jamais OK.

Revenons-en au fond. Ce communiqué de la Pride Radicale interroge deux choses:

D’abord la liberté de la presse qui est un droit est circonscrit très clairement par des lois et des jurisprudences. Comme tout droit, il appelle des devoirs dont nous avons tous·tes·x une conscience chevillée au corps.

De manière très nette, ce communiqué a été perçu comme une insulte au journalisme tel que nous l’envisageons et pratiquons. Il témoigne d’un absolu mépris envers notre profession et nos engagements quotidiens. Certains l’ont vu comme une volonté d’intimidation.

Je refuse d’être assujettix au port d’un brassard pour couvrir un événement. Je me heurte aux attaques sur la «capitalisation» des images – que l’on soit d’accord ou non, le journalisme et par là même la médiatisation des événements rentre dans un système marchand qui nous permet d’exister. Et qui permet, aussi, de faire exister les événements que nous couvrons: que serait une manifestation sans relais médiatique et sans images? Que seraient nos revendications maintenues dans un entre-soi?

Ensuite, et parce que l’on ne peut pas toujours se réfugier derrière le droit et la jurisprudence existants et qu’il faut bien reconnaître que certain·e·x·s journaliste·x·s ne traitent pas des sujets LGBTIQ+ avec le respect et la pudeur nécessaires, ce communiqué et les réactions qu’il a suscitées nous invitent à questionner ce qu’est un événement public et éminemment politique comme une Pride Radicale.

Y participer, c’est de manière implicite, s’exposer. Parce qu’il s’agit d’occuper l’espace public en son corps, en son image, parfois en son nom. Personne ne force en rien les participant·e·x·s à y prendre part. Alors, évidemment, ce n’est pas à nous de décider pour d’autre·x·s s’iels doivent rester chez elleux ou préférer des espaces communautaires plus intimes. Personne ne peut imposer à d’autre·x·s ce qu’iels doivent symboliquement investir dans la Pride et dans ce qu’elle symbolise, ni bien sûr décider à la place des autres si iels souhaitent être out.

Certain·e·x·s espèrent illusoirement retrouver IRL le même pseudonymat (ne voyez rien de péjoratif dans ce terme) dont iels usent sur les réseaux sociaux. Cette simple assertion montre bien l’absurdité de la chose. Il suffit de sortir dans la rue pour être visible·x.

Parce qu’elles sont publiques et visent à faire l’objet d’une publicité au sens habermassien du terme, Les Prides – comme toute manifestation publique – ne sauraient exister vraiment sans médiatisation et sans images. À ce titre, il est illusoire de croire que des Prides soient des safe spaces. Ceci est d’autant plus vrai que rien n’exclut la possibilité qu’une photo soit prise par des non-journalistes et partagée à l’envi sur les réseaux sociaux.

Faut-il voir dans cette scission quelque chose de bien plus profond qui tiendrait de la rupture militante entre générations? J’en suis assez certaine et profondément bouleverséx. L’unité de la communauté queer – si tant est qu’elle ait existé un jour – ne semble plus être   qu’un mirage dont nous devons sans doute prendre acte pour avancer et strucurer nos combats. Nous gardons en effet des ennemi·e·x·s en commun et iels sont uni·e·x·s et fort·e·x·s comme jamais.