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«Tire-pipes»

«Tire-pipes»

Ma grand-maman Odette avait l’habitude de dire, lorsqu’elle voulait qualifier quelque chose de vulgaire: «Ça

Ma grand-maman Odette avait l’habitude de dire, lorsqu’elle voulait qualifier quelque chose de vulgaire: «Ça fait tire-pipes!» Adolescent, cette expression produisait chez moi une forte impression. Dans mon esprit surgissaient les gros-plans des rares films pornos que j’avais pu voir, forcément hétéros, des mecs aux bites festives, dures et composites comme des godes se faire «tirer des pipes» par la Cicciolina, star porno des années 70-80. Lorsque ma grand-maman Odette, si élégante, prononçait ces mots, elle me plongeait dans de douloureuses rêveries.

À cette époque, j’aurais tout donné pour vivre une sexualité, mais rien, le désert jusqu’à mes dix-huit ans. Toute mon adolescence, j’ai eu le sentiment de ne pas vivre, d’être un fantôme, un mort-vivant: de ne pas avoir de corps. Personne dans la famille ne réagissait aux propos de grand-maman. On faisait semblant qu’elle n’avait rien dit et on continuait de savourer ses filets mignons aux morilles du dimanche. Permanente blond cendré, manteau de vison, immenses lunettes de soleil, Odette commentait les vitrines et égrenait ses «tire-pipes» devant les robes qu’elle n’aimait pas, en me donnant le bras. Grande dame, elle révélait ses origines populaires. Madonna? Odette la trouvait «tire-pipes». Marilyn Monroe pareil. J’ai mis longtemps à comprendre qu’elle ne voyait là aucune allusion sexuelle. D’où venait cette expression? Des stands de tir dans les fêtes foraines, aux couleurs criantes et joyeuses, où on dégommait des pipes en plâtre avec une carabine pour remporter des peluches ou des jouets.

La poésie fonctionne par associations, l’érotisme aussi. Depuis, sucer ou se faire sucer a un goût de fête foraine

La poésie fonctionne par associations, l’érotisme aussi. Depuis, sucer ou se faire sucer a un goût de fête foraine. Une autre association s’est opérée, plus inquiétante, mêlant le désir et l’effroi: les Luna Park m’ont toujours fait peur, ces lumières dans la nuit, la brusquerie du grand huit et des attractions propulsant les corps dans le vide. Pendant mon adolescence, avec le sida, un coup de carabine punitif pouvait vous donner la mort, vous «casser la pipe» parce que vous aimiez la vie, le plaisir et la queue des garçons.

Julien Burri est poète, romancier et journaliste. Il écrit sur les corps, la nuit et les glaces en bâton.