Yo! Sisters!
Alors que la poésie de bistrot se développe en Suisse romande, à Paris, ce sont désormais les slameuses qui imposent leur style dans un milieu longtemps resté le pré carré des garçons. Avec leurs initiatives, elles donnent un nouvel élan de révolte à cet art oratoire.
Paris, parc de la Villette. Au Trabendo, mi-café-concert mi-hangar, le public est enthousiaste ce soir pour la dernière grande slam session de la saison. Organisée à grand renfort d’écrans géants, d’éclairages et d’intervalles musicaux puissants, cette soirée, une des meilleures scènes slam de Paris, vaut le déplacement. Au programme, une scène ouverte avec les règles habituelles: chacun a cinq minutes pour dire son texte, sans accompagnement musical. Suit un tournoi où le public peut voter pour son équipe préférée composée de 5 slameurs qui s’affrontent deux par deux. Pendant la scène ouverte, le public est bienveillant mais se met à hurler dès qu’un slameur devient trop lourd ou va trop loin. Ainsi, un «les filles qui se font violer doivent bien le chercher» sort sous les huées et les sifflets. La foule est étonnamment métissée: les rappeurs côtoient les bobos, filles et garçons sont en nombre plutôt égal. Cette mixité ne se reflète pourtant pas sur scène où, sur une trentaine de slameurs, quatre seulement sont des filles. «Normal, explique Amaranta, slameuse reconnue qui a gagné une petite dizaine de tournois, quand un mec vient de parler de sa queue pendant cinq minutes, les filles hésitent à monter sur scène.» Cela peut être insidieux: les filles pour être mises à l’aise sont présentées comme «la petite» Unetelle et pendant le tournoi un slameur dédicace son texte à «une paire de fesse» de l’équipe adverse. De fait, on perçoit bien un malaise chez celles qui se lancent. C’est une question de courage, diriez-vous. Fleur, qui fait du slam depuis cinq ans, raconte cependant que dans une cité de la banlieue parisienne, une fille qui avait parlé de sexe de manière crue s’est longtemps fait traiter de «salope». Pourtant, dans le principe, l’esprit du slam est de donner une totale liberté de parole à tout le monde.
Slam de fond
Certaines réagissent. Le collectif Slam ô féminin s’est rencontré dans un Café Culturel où l’on avait convié des slameuses à réaliser une prestation commune. Séduites par l’expérience, elles décident de continuer l’aventure, créent un spectacle suivi d’une scène ouverte pour favoriser les échanges. Depuis, sollicitées de toute part, les filles de Slam ô féminin enchaînent les interventions dont certaines sont même subventionnées par les mairies. Aux tournois, que Catherine juge «agressifs et réducteurs», le collectif privilégie les scènes ouvertes et les ateliers slam avec pour mot d’ordre «prendre la parole et écouter la parole des autres». Dans les cours d’alphabétisation pour femmes animés par le collectif, le travail sur les mots passe avant tout par une «démystification du bien écrire, de la norme, du correct». L’accent est mis sur les émotions et le relationnel. Une fois que les mots sont trouvés, les participantes retranscrivent par écrit et peaufinent leur texte pour que ces femmes qui n’ont jamais été scolarisées dans leur pays puissent «laisser une trace». Des ateliers sont également proposés dans les collèges où les élèves sont invités à slamer sur le rapport filles/garçons. «C’est important, explique Catherine, car c’est à cet âge que tout s’installe: les images, les schémas, la prévention, etc.»
Ouverture et partage
Pour Amaranta, «même s’il y a encore trop peu de slameuses régulières, le slam français est en train d’évoluer.» Pour accélérer le processus, elle propose deux mardis par mois une scène ouverte au 3e lieu, haut-lieu lesbien (et lesbien-friendly) de Paris. «Ici, ce sont les mecs qui demandent s’ils peuvent passer!», ironise Amaranta. Les filles peuvent ainsi se faire les dents aux côtés de slameurs confirmés qui viennent en guests, pour ensuite, pourquoi pas, rejoindre les scènes slam nationales. Dans la foulée, Amaranta aimerait que le 3e lieu participe au tournoi annuel national. Fini l’ambiance catch du Trabendo dans cette cave voûtée à l’ambiance feutrée. Les sessions slam sont entrecoupées de petits concerts bon enfant, l’atmosphère est intimiste mais tout aussi passionnée et conviviale. Pour les slameuses, c’est l’occasion trop rare de dire haut et fort ce qu’elles ont sur le cœur. Sexe, marginalité, identité… Cette fois les filles, étant majoritaires, s’expriment beaucoup plus librement. Et, comme au Trabendo, on est emporté par le rythme, les rimes et les messages. Un lieu vraiment ouvert, c’est tout ce qu’il fallait pour que se multiplient les slameuses.
3e lieu: 62, rue Quincampoix, Paris IVe
