Victime ou bourreau de la perfection? Dissection d’un corps pédé

Dans un corps pédé, l’obsession de la perfection prend souvent des airs de revanche: devenir désirable pour ne plus jamais être la cible. Mais à force de courir après une perfection fantasmée, une question s’impose: est-il encore victime de ces normes — ou en est-il devenu le meilleur relais?
Il y a ce moment précis dans un corps pédé où il cesse d’être un corps.
Il devient un projet.
Un truc à améliorer. À discipliner. À comparer.
Un objet que l’on regarde de l’extérieur, comme si on n’habitait plus vraiment dedans.
Chez nous les pédés, ce moment peut arriver tôt. Souvent avant même le désir.
Avant le sexe, avant l’amour, avant la fierté.
Parce qu’avant d’être désirés, nos corps ont été commentés.
Moqués. Diagnostiqués.
Rectifiés à coups d’insultes dans les vestiaires, dans la rue, dans les cours d’école. Trop maigre. Trop gros. Trop efféminé. Trop visible. Trop bizarre.
Alors on apprend vite:
le corps est une surface de négociation avec le monde.
Apprendre à être désirable pour survivre
À l’âge adulte, cette violence ne disparaît pas.
Elle change simplement de décor.
Elle se glisse dans les applis, dans les soirées, dans les regards qui scannent avant même de saluer.
Elle se cache derrière des préférences sexuelles — perso c’est juste une question de « goût » — qui finissent souvent par dessiner les mêmes hiérarchies:
Corps jeunes.
Corps musclés.
Corps blancs.
Corps valides.
Corps performants.
Et nous, au milieu, oscillant entre deux rôles:
celui qui souffre de ces normes
et celui qui les applique.
La violence change de camp
Car il faut le dire:
les corps pédés ne sont pas seulement les victimes de la tyrannie esthétique.
Ils en sont aussi les agents zélés.
On like.
On swipe.
On élimine.
Parfois avec une cruauté clinique, presque professionnelle.
Comme si reproduire la violence permettait d’en reprendre le contrôle.
Se conformer devient une stratégie de survie.
Exclure, une façon de ne pas être exclu.
Désirer, exclure, reproduire
Mais cette quête de perfection a un coût.
Et il est rarement visible.
Elle fabrique des corps sous tension permanente.
Des corps qui ne se reposent jamais.
Des corps qui doutent même quand ils “réussissent”.
Car la perfection, une fois atteinte, ne dure pas.
Elle exige toujours plus: plus sec, plus jeune, plus lisse, plus performant.
Et surtout: elle ne protège de rien.
Ni du rejet.
Ni de la solitude.
Ni du sentiment persistant de ne jamais être assez.
Quand la perfection ne protège plus
Alors la question revient, plus insistante:
sommes-nous les victimes d’un système qui nous dépasse,
ou les bourreaux consentants d’une norme que l’on continue d’alimenter?
La réponse est inconfortable, parce qu’elle est double.
Nous avons été blessés.
Et nous blessons à notre tour.
Victime et bourreau
Disséquer un corps pédé, ce n’est pas chercher un coupable individuel.
C’est regarder en face un héritage collectif: celui d’une communauté qui a appris à survivre en se façonnant, et parfois jusqu’à l’auto-effacement.
Peut-être que la vraie radicalité, aujourd’hui, n’est pas d’atteindre la perfection.
Mais de laisser nos corps redevenir ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être:
des lieux vivants.
Imparfaits.
Désirables autrement.
