L’accroche-cœur de cible
La marque de cigarettes Brunette offre à des cobayes la possibilité de tester gratuitement ses produits, avec 50 balles en prime pour répondre à des questions. Des cobayes branchés bien sûr…
Quand la marque de cigarette préférée des femmes au foyer suisses, tendance «permanente et papote avec les voisines depuis le balcon du HLM», décide de se payer un lifting, elle sonde naturellement sa nouvelle mise en pli auprès de ceux qu’elle entend désormais séduire, son nouveau cœur de cible comme on dit chez les fils de pub. Quand Brunette lui a fait les yeux doux, le graphiste lausannois Vincent Turin a dit oui. Alors, comment ça pulse un cœur de cible? Portrait cardiaque…
360°: Ça bat comment un cœur de cible?
Vincent Turin: Ça va bien en ce moment, je te remercie…
Non, ça BAT comment ?
Ah… Un cœur de cible ça bat pas très vite, en principe avec beaucoup de passion, mais assez lentement.
Alors, quand une marque de clopes vient te chercher pour tester ses nouvelles cigarettes, qu’elle va refourguer ensuite à des gens qui sont censés te ressembler, d’une certaine façon, tu réagis comment ?
Pas vraiment flatté. Je trouve ça plutôt drôle qu’on vienne me chercher moi, qu’on me prenne quelque part comme une sorte de modèle, puisque c’est un peu ça l’idée. Mais c’est pas quelque chose d’important dans ma vie de tester des cigarettes…
Alors pourquoi l’as-tu accepté?
Je l’ai accepté bêtement parce que je fume, que ça coûte de plus en plus cher et qu’on m’a offert des cigarettes et qu’en plus on me donne un peu d’argent pour répondre à des questions assez simples…
Concrètement: combien, pendant combien de temps et quelles sont ces questions?
Cinquante francs par semaine, pendant huit semaines, et des questions du style «Est-ce qu’elles sont bonnes ces clopes, est-ce qu’elles sont mauvaises?», «Est-ce que le design du paquet est bien?», «Est-ce qu’il y a eu des remarques dans ton entourage sur ces cigarettes?», «Combien de fois es-tu sorti cette semaine? Où?» et avec des petites croix pour répondre.
Donc le consulting de Vincent Turin coûte 50 balles la semaine. C’est pas cher…
Non, le questionnaire prend 2 minutes pour y répondre. Donc huit fois deux minutes, en gros un quart d’heure, à 400 balles, ça fait 1600 francs de l’heure,
ça va…
En fait, tu as été choisi pour quoi? Pourquoi toi?
On m’a pas expliqué. J’ai deviné que je devais être ce qu’on appelle un opinion-leader, quelque chose comme ça…
A ton avis, qu’est-ce qui te définit toi en tant qu’opinion-leader sur la cible que tu représentes?
On considère que je suis quelqu’un qui est peut-être en avance, enfin… à la recherche des choses qui sont nouvelles ou qui sont peut-être… à l’avant-garde…
Tu as quel âge, tu fais quoi?
J’ai 25 ans depuis bientôt trois ans… et je suis photographe, graphiste, et donc de par mon métier je me tiens un peu au courant des choses qui se passent, j’essaie de les transmettre à des gens qui sont peut-être un tout petit peu moins au courant, mais le plus drôle c’est de transmettre aux gens qui sont déjà pratiquement au courant, parce qu’autrement…
Tu représentes donc le cœur de cible de Brunette en Suisse; ça fait quoi pour quelqu’un qui dit se tenir à l’affût des tendances internationales?
C’est pas une insulte en tout cas, je sais pas si on peut dire que c’est flatteur, quelque part c’est certainement une sorte de reconnaissance un peu bidon.
Après huit semaines de test, ton avis sur Brunette c’est quoi?
Je l’estime un peu moins qu’au début, mais ça reste un produit de qualité…
Non, sérieusement. Tu vas continuer à fumer ça?
Je ne pense pas que ce sera les clopes que je vais fumer tout le temps.
Et au niveau graphique, puisque tu es graphiste…
Je trouve que c’est une bonne tentative de remettre au goût du jour des trucs qui sont peut-être démodés d’une cinquantaine d’années, mais… peut mieux faire.