Bars & Clubs

Happy Birthday, GT’s!

Lausanne, sam 27 avril, 19:00
Bars & Clubs
#non mixte

Disco Ribelle ft. Sappho’s Drama

Berne, ven 5 avril, 21:00
Bars & Clubs

Bordello Easter

Lausanne, dim 31 mars, 23:00

Bègles, ses gays et ses morues

Ce n’est plus un secret. Pour la première fois en France, deux hommes se sont mariés à Bègles, banlieue postindustrielle de Bordeaux à tendance politique verte. Dieu le Maire, en la personne de Noël Mamère, célébrait le jour même un second événement plus confidentiel: La Fête de la Morue. Retour sur un 5 juin pas comme les autres. Reportage.

8h22
Ma cousine et moi quittons notre wagon-couchette et débarquons du train à Bordeaux. En tant qu’envoyés «spécieux», notre travail débute dès que nous posons le pied sur le quai: «Pour le mariage des pédés, vocifèrent des hétéros de base, c’est par là-bas!». Nous leur sommes reconnaissants de cette précision, car il n’est pas évident de se repérer dans une ville inconnue, surtout lorsque nous avons plus de valises sous les yeux que sous les bras. Sans sourciller, nous nous dirigeons «par là-bas» en direction de l’Hôtel California.

9h38
Dans le bus qui nous conduit à la mairie de Bègles, nous sommes abordés par une encyclopédie homosexuelle post-soixante-huitarde. Contente de s’écouter parler, l’encyclo (qui est en réalité un homme) nous raconte qu’en dépit du catholicisme fortement implanté dans la région, Bordeaux a toujours été un haut lieu des sexualités hors normes. Elle nous cite par ordre chronologique inverse les personnalités qui ont marqué l’histoire de la ville. Longeant la Garonne et nous interrogeant sur ses affluents, nous arrivons à destination.

10h00
Devant les grilles et sous un soleil de plomb, une foule de badauds, de militants et de journalistes s’est déjà agglutinée. Les badauds sont des Béglais, mais tous les Béglais ne sont pas des badauds. A l’image de cette mère qui hurle à deux centimètres de l’oreille de son enfant d’à peine deux ans qu’elle porte dans ses bras: «Salauds de médias qui disent que les Béglais sont pour! Ce n’est pas un mariage, c’est de l’enculage public.» Consterné par les propos et la situation, un militant homophile modéré lui dit la voix tremblante: «Vous devriez avoir honte de dire ces choses-là devant votre enfant.» Pensant qu’il vaut peut-être mieux les dire au-dessus de la tête de son bambin qu’elle pose à terre, elle reprend en direction de la mairie: «Non au mariage! Non au mariage!» Dotés d’une ouïe aussi développée que celle de Steve Austin, des militants d’Act-Up fendent la foule et le brouhaha pour couvrir les «non» de la mère par leur «oui» avec une efficacité exemplaire. À leur colère, vient s’ajouter la compassion de quatre Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, venues du Couvent Atlantique Sud pour transmettre un message d’amour universel. Mais rapidement, ces groupuscules sont rejoints par leurs extrêmes opposés, portant T-shirts ou brandissant banderoles aux slogans aussi imaginatifs qu’offensifs: «Sauvons les enfants du Marais», «À quand le mariage zoophile?», «Je veux me marier avec mon chat», «Un père et une mère, oui; des tantes, non», «Mamère, la loi tu la prends par derrière».

10h45
Depuis notre arrivée, l’entrée dans le périmètre de l’Hôtel de Ville, officiellement accessible aux porteurs de bracelets, est contre toute attente obstruée par la présence d’un député du Front National de la région, venu avec quelques camarades empêcher la célébration. Malgré la densité ambiante, quelques privilégiés parviennent à se faufiler entre la horde de journalistes pendant que sourd la colère des laissés pour compte. Mais ce sentiment d’injustice est vite dissipé par l’arrivée providentielle de Philippe de Villiers, portant l’écharpe tricolore aussi bien qu’Elodie Gossuin. Il vient nourrir comme une mère des micros affamés, et ravir comme un faux frère la vedette au frontal nationaliste nommé ci-dessus. Montré du doigt et traité d’«homophobe» par les voix militantes d’Act-Up, de Villiers peine à faire entendre la sienne. Profitant de l’appétit médiatique pour des propos fascistes et d’une brèche formée dans le portail humain, nous nous insinuons, obtenons nos accréditations, laissant derrière nous le feu des débats.

11h00
Dans le parc de l’Hôtel de Ville, les voix des partisans et des opposants sont lointaines et se confondent. Des arbres offrent leur ombre, baignant les jardins d’une atmosphère fraîche et sereine. Des Verts solidaires d’un maire étrangement calme depuis quelques jours se confondent avec la pelouse. Des employés de la mairie impatients à l’idée de rejoindre la Fête de la Morue arborent son T-shirt officiel. Des caméras s’installent devant le perron sud de la mairie jouxtant la salle des mariages d’où s’échappent petits cris et applaudissements. Après leur arrivée par un portail secret dans une Rolls-Royce marron, les deux hommes se marient. Mamère est dans un état second. L’attaché de presse de la mairie fait des allers-retours entre la salle des mariages et son perron, annonçant l’arrivée imminente des époux dont le désir prolongé d’intimité rencontre l’avidité carnassière des médias dans un climat surchauffé. Soudain, les deux premiers homos mariés de France apparaissent et s’embrassent sous une pluie de grains de riz roses peints à la main. L’événement est historique, une émotion nous bercerait presque. Une séance de photos dans une ambiance chaleureuse, puis les mariés et leurs invités s’éclipsent. Intimité est le maître mot. Plus enclin aux déclarations publiques, Mamère raconte sa fierté d’être maire aujourd’hui. Nous prenons la mesure de sa témérité. Quoi que l’on pense du mariage ou de la médiatisation de ce dernier, ce moustachu vient de porter l’égalité des droits des homos sur l’autel de la Ve République.

12h00
Rassasiés de symboles, nous partons recueillir l’opinion concrète de tante Huguette, une arrière-grand-mère béglaise aussi verte pour son âge que par son orientation politique: «Des gays et des lesbiennes y en a toujours eu, dans quelques années on n’en parlera même plus». Elle est ravie pour les gentils époux et fière de Noël qu’elle trouve courageux. D’autres membres du parti écologiste venus apporter leur soutien partagent le même avis.
Les mariés partis, les militants et les journalistes se dispersent, les employés de la mairie séparent les graviers des grains de riz et les badauds se préparent à célébrer la morue.

13h30
Grimaçants au souvenir de l’huile de son foie, nous marchons jusqu’au Village de la Morue. Nous récoltons à chaud les réactions des habitants. Si les opinions sont partagées, le mariage n’alimente pas les discussions; les préoccupations sont à la fête. Entouré de gardes du corps, d’élus et de caméras et passant devant un stand de crêpes (la morue se décline aussi en beignets, en farce pour les tomates et les poivrons, ou en sorbet), Mamère reçoit un accueil cordial: «Bonjour Monsieur le Maire!» Rien ne semble avoir changé. Après avoir dégusté l’omelette géante à la morue, admiré des œuvres picturales sur peaux de morues séchées, observé la Cérémonie d’Intronisation de la Confrérie de la Morue, participé au Colloque de la Morue Savante et applaudi la lauréate du concours de morue-fleurs, l’indigestion est proche. Nous rentrons donc à l’Hôtel California pour nous reposer.

21h30
Retour en banlieue béglaise. Des dizaines de milliers de personnes sont venues participer à la célébration annuelle d’une activité moribonde, à savoir la sécherie de morue. Personne ne parle du mariage. Chacun essaie de satisfaire dans les rues ses besoins primaires: manger, boire et pisser. Après que ma cousine a échappé à un malaise vagal causé par un plat trop épicé, nous nous enfilons quelques «tit punchs» au stand antillais et nous dirigeons nos pas vers le bar des Radis Noirs (un club de rugby du coin) où l’ambiance semble joviale. Les Béglais dansent sur les tables, sur le 3e sexe d’Indochine. Nous sommes saisis.
À la fin de notre journée riche en symboles, en bruits, en morue et en rhum, nous croisons un groupuscule de gros lourds avinés et entendons l’un d’entre eux à notre encontre: «Eh! Ces deux-là ils se seraient pas mariés ce matin?» Imperturbables et préférant interpréter ces propos comme les premiers signes de banalisation plutôt que comme une nouvelle insulte, nous passons notre chemin. Ce jour à Bègles, les vedettes étaient encore les morues.

One thought on “Bègles, ses gays et ses morues

  1. excellent article, fin et plein d’humour. J’ai applaudi au courage de Noël Mamère, pour lequel j’ai voté lors de la dernière présidentielle (hélas, il a fallu ensuite voter pour le Jacques, mais entre une vilaine grippe et une peste léthale, pas d’hésitation :-)) ! et à celui des deux mariés que je félicite en leur souhaitant bonheur et joie de vivre (et des enfants si l’Etat se montre enfin un peu courageux…) Je suis hétéro mais je considère que c’est la liberté et la vraie décence républicaines qui sont là à l’honneur.

Comments are closed.