Gérard Koskovich, un désir démesuré d’archives

Il est co-fondateur de la GLBT Historical Society, le musée et centre d’archives LGBTQI+ de San Francisco, historien indépendant, commissaire d’exposition, libraire et militant, et l’un des invité·e·x·s de la soirée d’ouverture du Mois de l’histoire LGBTIQ+ qui se tiendra au campus Battelle de l’Université de Genève le mardi 7 octobre prochain.
Gérard Koskovich a autant de casquettes que de trésors dans sa bibliothèque s’affichant en arrière-plan sur l’écran de l’ordinateur alors que nous échangeons malgré les 9000km et 9h de décalage nous séparant. En amont de sa venue en Suisse à l’occasion de l’événement « De Magnus Hirschfeld à aujourd’hui: les centres d’archives et de documentation comme centres de résistance face au fascisme », je découvre une petite fraction de l’immensité de son savoir, qu’il transmet d’anecdotes en anecdotes avec le même éclat dans la voix.
Difficile de dresser un court portrait pour quelqu’un d’aussi généreux, qui reconnaît d’ailleurs lui-même avoir “trop de choses à dire pour un·e·x journaliste”… À vous de venir le voir pour vous en apercevoir.
Etre archiviste et historien LGBTIQ+ sous Trump
“Si l’on se sent exilé·e du temps, on a un désir démesuré de se reconnecter avec tous les détails les plus inimaginables de notre histoire” se réjouit Gérard Koskovich face au succès des dernières expositions proposées par l’Historical Society de San Fransciso dans son musée ouvert depuis maintenant 14 ans.
“On ne marchande pas avec des fachos !”
En pleine offensive trumpiste, cette association collectant, préservant et exposant les archives LGBTIQ+ de la région de la baie où il a travaillé sans relâche dès sa création en 1985 est en ligne de mire. Touchée par le retrait des aides publiques ayant également entraîné l’arrêt brutal de beaucoup de programmes concernant la santé des personnes queers, l’Historical Society a directement répliqué en s’associant à une action de justice s’opposant à la mesure, car “on ne marchande pas avec des fachos !”.
Quand la censure renforce la mémoire
Cette répression touche également d’autres pans de son travail : 6 semaines après l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, un rapport titanesque édité par le service des parcs nationaux en 2016, co-écrit avec une trentaine d’autres historien·ne·x·s pour aider les personnes cherchant à classer un lieu de mémoire LGBTIQ+ , a été supprimé. “Quasiment tout de suite je me suis dit que cela démontre qu’on avait raison. Que nos histoires, les documenter, les comprendre de manière critique, les partager, les posséder, nous donne du pouvoir”.
“Iels ont l’accord et même la permission de l’État de s’attaquer aux personnes LGBTIQ+”
La censure faisant grand bruit, le rapport est rapidement repris sur des sites de bibliothèques municipales et universitaires, et même entièrement réedité sur le site de la National Parks Conservation Association. “Cela démontre que l’objectif du régime MAGA n’était pas la censure stricto sensu, mais plutôt démontrer le mépris, la haine envers nous et notre histoire. Que ça ne mérite pas le respect de l’État et du pouvoir” note Koskovich. “C’était un message donné aux LGBTIQphobes qu’iels ont l’accord et même la permission de l’État de s’attaquer aux personnes LGBTIQ+”.
Échos fascistes: de Hirschfeld à aujourd’hui
Avec son regard d’historien, difficile alors de ne pas tisser des liens : “entre l’histoire et l’actualité, il y a des échos”. Il cite l’autodafé de la bibliothèque de l’institut de sexologie de Magnus Hirschfeld par les nazis en 1933, qui signe la destruction de la première bibliothèque documentant les vies queers (si l’on s’autorise l’anachronisme) répertoriée. Figure au centre de la table ronde à laquelle Gérard Koskovich participera, Magnus Hirschfeld était un instigateur de l’émancipation homosexuelle et trans du début du 20ème siècle, écrivant de nombreux livres et donnant des conférences à travers le monde sur les questions d’identités de genre et de sexualité.
À travers l’écran, Gérard Koskovich me présente l’un des rares livres estampillé de l’institut ayant survécu à l’incendie. Un rappel bouleversant de l’importance de nos archives et de leur fragilité, et de la nécessité d’en jouir maintenant et de les protéger.
Archives = vie, archives = résistance
“Dès le moment où l’on a commencé à créer le centre d’archives à San Franscico, on a décidé que ce ne serait pas un centre d’archives universitaire réservé aux doctorant·e·x·s. C’est une histoire qui appartient à tout le monde et c’est à chaque individu de concevoir et d’utiliser cette histoire selon son gré. […] C’est un plaisir de se dire qu’un fond d’archives va déclencher des créations culturelles, de voir ces efflorescences de manières d’utiliser, traduire, diffuser ce qui traîne dans nos cartons”.
Romans, films, expositions pluridisciplinaires, les œuvres s’appuyant sur les archives queers, transmettant leurs histoires sans se limiter aux rigidités de l’Histoire normative, se multiplient actuellement comme autant de façons de résister aux offensives fascistes annihilantes en consolidant les savoirs et en portant leurs héritages.
Parallèlement, les centres d’archives locaux eux aussi foisonnent, se multipliant partout et sous toutes les formes. Une évolution que Gérard Koskovich remarque au fil des conférences itinérantes des LGBTQ Archives, Libraries, Museums and Special Collections, au nombre de participant·e·x·s toujours grandissant : plus de 400 personnes à la dernière à Berlin en 2019.
Derrière chaque carton, une histoire
Derrière chaque carton d’archives, une histoire aussi fascinante que son contenu se cache, qu’il se plaît toujours à raconter : archives personnelles sauvées des bennes à ordures en pleine épidémie de sida, photos d’un groupe d’ami·e·x·s lesbien·ne·x·s fin des années 1980 achetées 8$ dans un magasin de seconde main, collection de photos de musculation et de nus des années 1950 apportée par un petit-neveu cis-hétéro…
“Il faut se défendre bec et ongles (…) contre l’effacement de notre histoire”
Les milliers de cartons de l’Historical Society et tous les autres entassés dans les petits locaux associatifs à travers le monde regorgent de singularités à découvrir et à défendre avec la même ferveur que Gérard Koskovich : “Il faut se défendre bec et ongles tout de suite contre l’effacement de notre histoire, même face à un régime de plus en plus autoritaire. Il faut prendre le risque de le faire, car le risque de ne pas le faire est bien plus grand”.
Rendez-vous à Genève pour une table ronde sur les archives queers
Rendez-vous le 7 octobre à partir de 18h au Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève, Campus Battelle pour écouter Gérard Koskovich, Sam Bourcier et Thierry Delessert discuter plus amplement de la figure de Magnus Hirschfeld et des enjeux que recoupent les archives queers aujourd’hui. La table-ronde sera modérée par Taline Garibian.
La table ronde sera ouverte par Alfonso Gomez, Maire de Genève et Conseiller administratif en charge de l’Égalité et de la Diversité, et par Didier Raboud, Secrétaire général de l’Université de Genève. Cet événement est organisé par le Service Agenda 21 – Ville Durable de la Ville de Genève, en collaboration avec le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève (CMCSS).
