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Dans les méandres de l’humain

La saison théâtrale genevoise a de quoi réjouir. Les propositions agendées par le Poche et la Comédie feront subtilement converser l’intime et le politique.

Les deux théâtres majeurs de Genève ont dévoilé leur arsenal de surprises. Cette année Hervé Loichemol signe sa dernière programmation pour la Comédie alors que Mathieu Bertholet en est seulement à sa deuxième à la tête du Poche. Dans leur pratique, les deux directeurs partagent un amour viscéral pour les textes qui font écho à nos crises actuelles – économique, sociale, écologique et donc intime. Ces spectacles fonctionnent comme des lueurs précieuses pour appréhender notre société et redéfinir notre rapport à celle-ci.

Parmi ces lectures percutantes du présent, c’est pour «La boucherie de Job» du prodige italien Fausto Paradivino qu’Hervé Loichemol a décidé d’enfiler la casquette de metteur en scène en début de saison. Histoire d’un homme honnête dont les valeurs n’ont plus de sens dans une économie qui fait fructifier le néant, ce miroir impitoyable du basculement des valeurs s’inspire à la fois de la Bible et des spéculations bancaires pour nous livrer sa propre parabole.

Politique et musique
Dans les moments forts qui seront distillés par la Comédie, la révolution ne se limite pas aux mœurs, elle est aussi politique et musicale. On revivra notamment le chaos créatif qui engendra le chef d’œuvre de Bob Dylan, «Like a rolling stone». Dylan, en crise identitaire, défiera avec ce morceau tous les standards de l’époque quant à son style et à sa durée, qui ne permettait pas, au moment de sa sortie, d’être diffusé en entier par les radios. Plutôt qu’un moment de grâce de la démarche créative, «Comme une pierre qui…» en illustre particulièrement la partie d’aléatoire mêlée à l’acharnement.

La révolution, celle qui a fondé la démocratie française, est la matière première dont Joël Pommerat extrait sa fiction politique «Ça ira (1) Fin de Louis». Qu’est-ce qui pousse des hommes à renverser le pouvoir? Comment peut-on légitimer les actions des différentes parties prenantes au phénomène révolutionnaire qui débute avec l’infraction de la loi? Il ne s’agit pas de reconstruire fidèlement les personnages historiques, mais d’insuffler la force des idéologies, une force qui a été acclamée en France jusqu’à remporter les Molières du théâtre public, du metteur en scène ainsi que de l’auteur francophone de l’année.

Dans cette saison généreuse, ponctuée également par des concerts, on attend avec une grande curiosité la venue du Théâtre national palestinien qui promet avec «Antigone» de «ranimer le goût pour la lutte et la vie», ainsi que «Voyage au bout de la nuit» de Céline qui sera exceptionnellement présenté pour la deuxième fois pour savourer l’épatante interprétation de la comédienne Hélène Firla.

Radicalement moderne
Comme une sorte de formule magique, un terme allemand résonnait dans l’édito du programme de saison du Poche: zeitgemäss. «Je n’ai pas encore trouvé une traduction satisfaisante, precise le directeur Mathieu Bertholet, contemporain est un terme galvaudé et plus général. Zeitgemäss veut dire à la mesure de l’époque et nos pièces reflètent exactement la situation politique et sociale dans laquelle on vit».

Pour éclairer les remous de notre monde, le Poche défend exclusivement les auteurs contemporains dont les textes les plus inventifs et puissants sont attentivement examinés par un comité de lecture. A l’exception de «Waste», qui nous renvoie violemment à la figure les effluves toxiques de notre consommation numérique écervelée, toutes les propositions théâtrales de la prochaine année sont traversées par une veine d’humour. Des crispations caricaturales peintes par les auteurs belges Rémi De Vos et Veronika Mabardi, respectivement dans «Alpenstock» et «Loin de Linden», jusqu’à la famille parfaite à la dégringolade de «Dans le blanc des dents» signé par Nick Gill, esprit critique et poésie se mêlent très allégrement. D’outre-Atlantique nous parvient également un triptyque décapant. Bertholet et son équipe ont en effet sélectionné trois textes québécois, frais et grinçants, aussi agréables que le tintement des glaçons dans un long-drink. Les spectateurs pourront donc étancher leur soif d’idéal avec «Unité modèle», aspirés par le vortex d’une vie sublimée et gadgetisée. Cette course au dernier cri agira sur eux tel un parcours catarthique du consommateur. Ils seront ensuite passés au rouleau compresseur de deux créatures «Morb(y)des» et secoués dans le shaker du huit clos de «Nino», parodiant le modèle de mère, forcement omnisciente et sacrifiée.

Dans sa totalité, la cuisante actualité des textes proposés détonne. Comme «J’appelle mes frères» du suédo-tunisien Jonas Hassen Khemiri écrite en 2013 avant les attentats de Paris, mais qui dépeint déjà l’atmosphère de paranoïa provoquée par le terrorisme. En fouillant minutieusement la pensée contemporaine, le Poche nous invite à échapper au cynisme, aux constrictions et à tout autre imposture infligée à nos âmes.

» La Comédie, début de la saison le 4 octobre avec «La Boucherie de Job».
» Le Poche, début de la saison le 26 septembre avec «Waste».