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Nina Bouraoui: «L’écriture est une pratique amoureuse»

Deux ans après le vif succès de La vie heureuse, Nina Bouraoui revient avec Poupée Bella, un journal composé de différentes strates amoureuses, du désir des femmes à celui de l’écriture. L’occasion pour l’auteure de revivre ses premières nuits au Katmandou, boîte lesbienne mythique à Paris, et de s’imposer comme l’une des figures de la littérature contemporaine.

Pour ce huitième ouvrage, pourquoi avoir opté pour la forme du journal?

N.B.: Avant l’écriture de ce journal amoureux, j’ai relu tous les journaux d’Annie Ernaux, celui de Woolf aussi, Journal d’un écrivain, le très beau Mausolée des Amants de Guibert, et le journal inédit d’Anaïs Nin, mon idole, Inceste, où elle parle de June, de son père, d’Henry… Je sais que Poupée Bella est un journal réinventé mais ce style littéraire me séduisait vraiment. Il y a quelque chose de très intime dans cette composition. C’est comme prendre la main de son lecteur. Et je parle de ce qu’il y a de plus important dans ma vie, de ce qui me constitue: Les femmes et l’écriture. Je l’ai écrit la nuit, pour retrouver l’excitation et le désarroi de ces nuits là.

Pourquoi vouliez-vous évoquer précisément cette époque de votre vie?
Ma première sortie au Katmandou est inoubliable. Je suis rentrée dans ma vie quand je suis entrée dans la nuit. J’ai trouvé ma place dans le monde. De mon désir, j’ai tissé un lien social. Je suis devenue moi dans un milieu, qui, de l’extérieur, semblait parler de moi. Bien sûr, chaque sexualité est unique. Bien sûr, le milieu des filles n’est pas une grande famille. Mais pour la première fois, là, je n’ai pas eu honte de ce que j’étais. C’était révolutionnaire pour moi. Le plus difficile, à vingt ans, c’est de rompre avec sa propre homophobie, c’est de s’aimer enfin. Chaque souvenir est revenu avec exactitude. Chaque personnage avait sa voix d’origine.

Vous proclamez l’égale souveraineté de la passion de l’écriture et de celle de l’amour. L’écriture est-elle pour vous une pratique amoureuse?

Oui, l’écriture est une pratique amoureuse. Chaque livre est un rendez-vous clandestin. J’ai trompé toutes les femmes de ma vie avec les personnages de mes romans! J’ai la même folie, la même obsession que lorsque je tombe amoureuse.
Je l’avoue, c’est insupportable pour les autres. Il y a des jours sinistres aussi, quand l’écriture ne vient pas. C’est la fin du désir alors, et c’est horrible! Je pense que les forces du désir et que les forces de l’écriture prennent dans le même brasier. Poupée Bella est un livre sur le milieu des filles mais aussi sur les secrets de l’écriture.

Vous restez l’auteure de la double appartenance. Dans Poupée Bella, vous allez et venez entre le milieu gay et le milieu lesbien…
Je suis fascinée par le monde des garçons, par leur grande liberté sexuelle, par cette circulation des corps. Les filles sont plus sentimentales… Mon meilleur ami était gay et je crois que nous avons formé un couple sans le savoir. Il y a une vraie relation miroir entre les filles et les garçons gays. Il y a de la jalousie et de la possession. Ensemble, nous allions au Boy et j’avais l’impression d’être sa reine, au Kat, il était toujours mon petit roi qui me serrait dans ses bras… Ce sont les filles qui m’ont brisé le cœur!

Dans ce journal, vous évoquez vos premiers jeux de séduction dans le «Milieu des Filles». Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce milieu?
Ce que j’aime dans ces nuits-là, c’est la place qu’occupent les femmes: elles retrouvent le pouvoir! Ce sont les seuls endroits où une femme peut sortir seule, se mettre au bar, prendre sa petite coupe de champagne, séduire ou danser. Souvent, j’ai eu l’impression de voler cette liberté aux hommes. Le milieu des filles est une bonne école. Sortir seule donne du pouvoir en fin de compte. Les femmes de ce milieu sont, sans le savoir, dans une mécanique féministe. Ce sont des affranchies.

Votre précédent roman, La Vie heureuse, a pu être considéré comme une «sortie du placard». Quelle a été la réception du livre autour de vous?
La Vie Heureuse a été un beau succès personnel. J’ai pu enfin dire combien j’ai aimé Diane, ma «meilleure amie» . J’ai réparé mon passé. J’ai retrouvé, par le net, deux élèves du lycée français de Zurich, deux filles que j’adorais et qui ont été surprises par cette révélation. Mes proches connaissent ma vie, mais ignorent toutes les souffrances de mon adolescence. Et puis je voulais écrire pour tous les jeunes gays. Il y a une immense solitude, à quinze ans, quand on tombe amoureux, et que l’on découvre ses premiers désirs. Il faut écouter, regarder ses enfants. L’homosexualité ne doit plus être vécue comme une maladie honteuse. A quand les cours d’instructions sexuelles à l’école? Oui, vous pouvez aimer un homme ou une femme, oui il y a plusieurs formes d’amour, oui, tout est normal. Je n’ai pas perdu mes lecteurs. J’avais déjà amorcé le processus avec Garçon manqué. J’ai reçu des centaines de lettres, toutes disaient: Merci! Vous avez raconté mon histoire. Mon éditeur, Jean Marc Roberts, est très fier de mes prises de position, de cette liberté. Quant aux autres, les «choqués» ou les «déçus», je les ignore.

Comment réagissez-vous quand on vous parle de «ghetto» et de «communautarisme»?
Le monde est encore profondément hétérosexuel. Nous devons nous serrer les coudes. Mais l’homosexualité n’a rien à voir avec l’intelligence, le talent ou la sympathie. L’homosexualité ne peut pas tout pardonner. Je n’aime ni la haine ni l’intolérance. Si le communautarisme permet à certains de mieux vivre leur homosexualité, alors tant mieux, je suis pour. Le mot ghetto rappelle de mauvais souvenirs. J’adore l’expression gay friendly!

Avec Garçon manqué, puis avec La Vie heureuse, vous avez conquis le public lesbien. Comment vivez-vous cet engouement?
J’ai lu dix fois Carol, puis le Puits de Solitude, j’ai dévoré les Claudine. Je suis heureuse et fière d’avoir un public lesbien. Les livres sur ces amours-là sont encore rares. La littérature entre dans les solitudes et par là, elle en devient miraculeuse.

Poupée Bella, Nina Bouraoui, Stock, 2004