Bisous: une campage utile?

A Genève, la nouvelle campagne d’affiches de Dialogai consiste à promouvoir une autre image de l’homosexualité auprès du public. Efficace? L’avis des professionnels.

Pour ceux qui ne les auraient pas (encore) vues, les affiches placardées sur les murs de Genève depuis le 24 mars dernier à l’initiative de Dialogai montrent des couples du même sexe qui se bécotent. Avec ce slogan pour soutien: «Ils s’aiment» ou «Elles s’aiment». Pourquoi une telle campagne? «Souvent, la revendication des droits des homosexuels est perçue par la population générale comme une démarche visant la seule reconnaissance de pratiques sexuelles hétérodoxes. L’idée qu’une relation homo puisse être mue par l’amour au même titre que n’importe quel couple est
encore mal perçue par beaucoup», explique Michaël Monney, chargé de la communication chez Dialogai. «De plus, notre enquête sur la santé des gays à Genève a révélé que 90% des sondés désirent vivre une relation, mais plus de 60% éprouvent de la difficulté à trouver un partenaire compatible.» Dans ce contexte, l’objectif de la campagne est double: «Une visibilité en douceur de l’homosexualité auprès du grand public qui, nous l’espérons, sera interpellé sans être choqué ; et puis, un message à l’attention des jeunes gays qui éprouvent des difficultés face à l’image dévalorisante de l’homosexualité que notre société véhicule encore.»
La démarche est estimable, mais le fait de devoir montrer l’homosexualité sous le couvert de l’amour et du romantisme pour la rendre tolérable ne risque-t-il pas de mettre mal à l’aise plus d’un gay qui s’assume, plus d’une lesbienne bien dans sa peau? Le message, à ce stade, n’apparaît-il pas comme une régression? Un argument qu’évacue Michaël Monney: «Quand on fait une campagne, on choisit un angle, forcément arbitraire. On ne peut pas représenter tout le monde au même moment. Et pour parler à la population générale, il faut, oui, la brosser dans le sens du poil.»
Reste à savoir si le choix du message et la réalisation auront l’impact escompté. Les professionnels de la branche, malheureusement, en doutent. «La photo est inesthétique et triste, commente Timo Kirez, directeur artistique de l’agence McCann-Erickson. La lumière naturelle donne l’effet d’une photo de presse ou issue d’un casier judiciaire. Le cadrage est bon. Le slogan n’est pas du tout pertinent et peu clair. J’y décèle un paradoxe: si le but est d’axer la campagne sur l’amour, pourquoi montrer un baiser? S’ils ne sont pas briefés davantage, les gens dans la rue ne retiendront que l’acte connoté sexuellement.» L’intention y est, mais la campagne est inaboutie, regrette le professionnel. Même avis à l’agence Simko. «Cette campagne paraît datée», déclare Frédéric Doms, directeur artistique. «Le slogan est redondant par rapport à l’image, poursuit son collègue, Boris Declerck, et n’informe en rien sur l’action de cette association. Le couple de femmes se perd dans le décor et n’est pas au premier plan. Il est étrange de mener une campagne qui se veut réaliste et faire poser aussi maladroitement ces amants. En outre, ces affiches seraient plus utiles dans des régions où les mentalités sont moins ouvertes. Cette association se fait une fausse idée des hétéros.» L’intention de Dialogai est évidemment louable; dommage cependant que ses affiches enfoncent des portes ouvertes.